Les refus d’obtempérer explosent en France: faut-il autoriser les forces de l’ordre à tirer?

© AFP 2023 THOMAS SAMSONUn contrôle policier en France
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La police et la gendarmerie française subissent un refus d’obtempérer toutes les 30 minutes, selon un bilan que s’est procuré Le Figaro. Michel Thooris, secrétaire général de France Police-Policiers en colère, dénonce le danger d’un tel contexte. Il milite pour une nouvelle réforme de la légitime défense policière. Entretien choc.

Le Mans, dans la nuit du 5 au 6 août dernier. Éric Monroy, brigadier de police de 43 ans, est tué en service par un chauffard ivre de 26 ans qui tentait de prendre la fuite. Il était père de trois enfants.

​Cette tragédie illustre l’inquiétante augmentation des refus d’obtempérer que Le Figaro a récemment confirmée en publiant les éléments les plus explosifs d’un bilan du ministère de l’Intérieur. Selon le document, les policiers et gendarmes ont répertorié près de 24.000 refus d’obtempérer sur un an. Soit un toutes les 30 minutes. Et en tel cas, les policiers et gendarmes n’ouvrent que très rarement le feu. 

«Notre syndicat demande très clairement un texte où il est écrit noir sur blanc que le policier ou le gendarme est en état de légitime défense dès lors qu’il y a refus d’obtempérer. Dans un tel contexte, ces refus baisseraient de manière drastique. C’est le laxisme de la justice et des textes de loi flous qui font qu’il y a aujourd’hui autant de refus d’obtempérer», explique au micro de Sputnik Michel Thooris, à la tête du syndicat France Police-Policiers en colère.

Selon l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, déjà réformé en 2017, les agents de la police nationale ainsi que les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, en dehors de certains cas ayant pour but de disperser un attroupement, «faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée» dans cinq cas précisément énumérés, mais rédigés de manière floue:

© SputnikArticle L435-1 du Code de la sécurité intérieure
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Article L435-1 du Code de la sécurité intérieure
«Le flou de la loi actuelle sur la légitime défense [de la police, ndlr] empêche quasiment nos collègues d’ouvrir le feu en cas de refus d’obtempérer. Elle n’est pas précise et laisse le champ libre à tout type d’interprétation des tribunaux, notamment en matière de jurisprudence», critique Michel Thooris.

Le meurtrier d’Éric Monroy n’en était pas à son coup d’essai en la matière, comme l’a rappelé Delphine Dewailly, procureure du Mans. Elle a précisé qu’il avait déjà été condamné à deux reprises, «dont une pour des faits de conduite sous l'empire d'un état alcoolique et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, commis en 2015».

«Tout ceci devient un jeu»

Début juillet, c’est l’histoire tragique de Mélanie Lémée qui émouvait une grande partie du pays. La jeune gendarme de 25 ans a perdu la vie dans la soirée du 4 juillet lors d’un contrôle routier qui a mal tourné dans le Lot-et-Garonne. Elle a été percutée à très haute vitesse par Yassine E., délinquant multirécidiviste de 26 ans qui tentait d’échapper aux policiers. Sous la violence du choc, la jeune championne de judo a eu une partie de la jambe arrachée.

Un drame qui désole le patron du syndicat France Police-Policiers en colère:

«Quand les individus qui forcent les barrages de police se disent qu’ils ne risquent quasiment rien, tout ceci devient un jeu. Maintenant, on fonce sur les forces de l’ordre et l’on prend la fuite.»

Parfois, l’issue est moins terrible que dans les cas d’Éric Monroy ou Mélanie Lémée mais aurait pu l’être tout autant. Dans la soirée du mercredi 12 août, c’est un agent de la police municipale d’Amiens (Hauts-de-France) qui a été renversé par un chauffard qu’il tentait d’immobiliser. D’après France Bleu, le policier est passé par-dessus le capot et le toit de la voiture avant de retomber au sol. Plus de peur que de mal pour la victime dont l’état n’a pas nécessité d’hospitalisation. Quant à son agresseur, interpellé peu après, il présentait plus de deux grammes d’alcool par litre de sang et son permis avait été annulé.

Le lendemain, un policier a été percuté par une voiture qui prenait la fuite lors d’un contrôle routier à Saint-Malo en Bretagne. Le conducteur roulait sans permis dans une voiture volée. La victime s’est vu attribuer 10 jours d’ITT.

​Michel Thooris s’en prend également à sa hiérarchie:

«En plus des problèmes précédemment exposés, il est nécessaire de noter que circulent régulièrement des notes de service au sein des forces de l’ordre qui demandent à ce que les policiers ne prennent pas en chasse les fuyards. Les criminels de la route qui forcent les barrages se trouvent aujourd’hui presque dans une situation d’impunité.»

Le 5 juillet dernier, Le Parisien révélait que, devant le ras-le-bol des policiers, le préfet de Police Didier Lallement avait décidé d’autoriser à nouveau les courses-poursuites en région parisienne. Elles étaient interdites depuis… 2015. «Désormais, la poursuite des véhicules refusant d'obtempérer aux injonctions de la police pourra être engagée par un équipage», indique le préfet de police de Paris dans sa nouvelle préconisation, selon le quotidien de la capitale. «Il rappelle que celle-ci doit toujours se faire avec "le discernement nécessaire" et "fera l'objet d'un compte rendu immédiat au centre de commandement et d'information (SIC) qui évaluera le bien-fondé de cette intervention"», poursuit Le Parisien.

La litanie des refus d’obtempérer qui aurait pu tourner au drame continue. Le 1er août, ce sont cette fois trois policiers de la brigade motocycliste de Montpellier qui ont été blessés, percutés par un chauffard à scooter qu’ils tentaient d’arrêter. Ce dernier roulait à plus de 100 km/heure au lieu des 50 autorisés. L’auteur des faits, âgé de 25 ans, roulait sans permis ni assurance.

«Ensauvagement»

Côté gendarme, d’après les informations du Figaro, 220 d’entre eux ont été blessés par des voitures en 2019. Et la situation ne va pas en s’améliorant, à en croire le quotidien qui assure que ce chiffre a augmenté de 45% lors du premier semestre 2020.

«Nous assistons à un ensauvagement de la société lié en grande partie à un laxisme judiciaire sans précédent. Dès lors que des individus savent qu’ils peuvent agresser des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie sans être punis à la hauteur de la gravité de leurs actes, la situation devient très dangereuses pour nos collègues», analyse Michel Thooris.

Comme le souligne Le Figaro, la multiplication des refus d’obtempérer s’inscrit dans un cadre plus large de violences contre la police: «Les outrages à dépositaire de l’autorité publique ont quant à eux augmenté de 5,3% par rapport à 2018 pour s’établir à 28.558 l’année dernière. Dans la même période, 36.043 violences à dépositaire de l’autorité publique ont été enregistrées. Soit presque une centaine par jour. De manière non exhaustive, depuis le 1er janvier dernier, une dizaine de faits de violence, menaces ou de dégradation de leur bien ont en outre été recensés au préjudice de policiers, en dehors du service, en raison de leur fonction.» Le quotidien rappelle ainsi que 11.217 membres des forces de l’ordre ont été blessés en mission en 2019. Cela représente 30 par jour et une augmentation de 12% par rapport à 2017.

​Pour Michel Thooris, la récente nomination de l’avocat Éric Dupond-Moretti en tant que ministre de la Justice est «un très mauvais signal»:

«D’un côté, vous avez Gérald Darmanin, un ministre de l’Intérieur offensif sur un certain nombre de problématiques liées à la sécurité des Français, et de l’autre un garde des Sceaux qui a toujours été du côté des délinquants et contre les forces de l’ordre. Soit le gouvernement a pris conscience de l’ensauvagement de la société et il faut un ministre de l’Intérieur et un ministre de la Justice sur la même ligne répressive, soit ce n’est pas le cas et l’on n’aboutira à rien concernant la sécurité de nos concitoyens.»

Gérald Darmanin a récemment annoncé la mise en œuvre d’un «dispositif d’assistance» qui aura pour objectif de «répondre aux attentes des policiers et de leurs familles face à ces situations difficiles».

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Mais dans le détail, il ne s’agit que d’un numéro vert accessible tous les jours de 5 heures du matin à 23 heures et d’une adresse électronique dédiée. D’après Le Figaro, qui cite le ministère de l’Intérieur, «ses agents de tous les corps de la police nationale composent l’équipe chargée de répondre aux appels et aux demandes». «Le policier victime doit pouvoir avoir recours très rapidement à un interlocuteur qui l’écoute, le conseille et l’oriente dans ses démarches», ajoute-t-on place Beauvau.

Si Michel Thooris juge «impossible d’être contre ce genre d’initiative», il la trouve cependant «très insuffisante»: «Le sujet est bien plus profond. Nos collègues font face à une perte de sens au niveau de leurs missions. Ils ne savent plus pourquoi ils exercent leur métier. Une partie de l’opinion publique et des politiciens est contre eux. Ils ne sont pas soutenus par la justice et systématiquement montrés du doigt dès lors qu’il y a une intervention litigieuse que certains s’empressent de qualifier de bavure alors que c’est rarement le cas.»

Le secrétaire général de France Police-Policiers en colère conclut en appelant à une sévérité exemplaire au niveau de la justice:

«Le problème est avant tout judiciaire. Il faut appliquer la tolérance zéro et le 100% d’incarcération effective dès qu’une condamnation prévoit une peine d’emprisonnement comme cela se fait déjà dans plusieurs démocraties à travers le monde. La France a été phagocytée par cette idéologie gauchiste qui consiste à expliquer que la prison n’est pas la solution. La seule solution pour obtenir la sécurité est d’écarter les individus malfaisants de la société.»

Et le policier de conclure, lapidaire: «C’est un mal de société.»

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