Marrakech étouffe: ce cri de détresse face au Covid-19 qui secoue le Maroc

© AP Photo / Mosa'ab ElshamyCoronavirus au Maroc
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Alerte rouge dans la ville ocre. Depuis quelques jours, la colère gronde face à la gestion de la pandémie de Covid-19 qui s’intensifie de plus en plus ces dernières semaines au Maroc. À Marrakech, l’une des villes les plus touchées dans le royaume, le désarroi est à son comble. Analyse.

«La situation épidémiologique actuelle ne prête guère à l'optimisme et quiconque, cher peuple, vous dit le contraire est un affabulateur.» Cette alerte a été lancée par le roi Mohammed VI lui-même. Le souverain marocain s’était adressé, jeudi 20 août, aux Marocains à l’occasion du 67e anniversaire de la révolution du roi et du peuple. 

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Preuve que rien ne va plus dans le pays face au Covid-19, Mohammed VI a consacré tout son discours à la montée en flèche, ces dernières semaines, des cas de contamination et de décès. Au vendredi 21 août à 16h (heure marocaine, GMT+1), le Maroc totalise 47.638 cas positifs, 775 morts et près de 200 patients en réanimation. Face à ces chiffres, Mohammed VI a prévenu d’un possible retour au confinement total sur l’ensemble du territoire marocain.

La sérénité des premiers jours cède donc la place à la crainte du pire. C’est ce qui ressort aussi des réactions des médias et des citoyens marocains. Ils sont unanimes pour critiquer la gestion actuelle de la crise sanitaire dans leur pays, surtout à Marrakech.

Celle que l’on surnomme la ville ocre ou encore la perle du sud du royaume vit, depuis le début de ce chaud mois d’août, au rythme des sirènes des ambulances. Et pour cause, au cours de ces vingt derniers jours, la région Marrakech-Safi est passée de 3.717 cas confirmés à 7.679. L’inquiétude monte et les appels à l’aide se multiplient.

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Une série de publications, photos, vidéos et enregistrements audio surréalistes, largement relayés sur les réseaux sociaux, témoignent des graves difficultés que rencontrent les hôpitaux publics de Marrakech face à l’aggravation de la pandémie. On y voit des patients allongés dans les couloirs à même le sol ou installés sur des chaises, des tas de déchets médicaux jonchant le parterre ou encore un cadavre couvert d’un drap… Aussi poignants que ces images, les cris de détresse du personnel soignant désemparé et des malades en attente interminable de prise en charge témoignent d’une situation explosive. Face à ce chaos, des internautes ont lancé #مراكش_تختنق (#Marrakechétouffe), #أنقذوا_مراكش (#Sauvez_Marrakech) ou encore #Marrakech. Ces hashtags ont vite pris la tête des tendances sur Twitter au Maroc.

Cet internaute décrit la situation dramatique qui sévit à l’intérieur d’Ibn Zohr en l’illustrant par des images parlantes.

Dans la plupart des images publiées sur les réseaux sociaux, c’est l’hôpital Ibn Zohr de Marrakech qui est pointé du doigt. Cette vieille infrastructure hospitalière construite en 1913 est, comme en témoignent certaines séquences chocs, largement dépassée par le flux incessant des patients. D’ailleurs, le personnel qui y travaille avait déjà tiré la sonnette d’alarme lundi 17 août, en organisant un sit-in devant l’établissement, en vain. Il a fallu attendre que les images fassent le tour du monde pour qu’un semblant d’action soit mené par les autorités.

Ibn Zohr: Symbole de la catastrophe

Imad Soussou est vice-président de la Fédération nationale de la santé (FNS) de l'Union marocaine du travail (UMT) dans la région de Marrakech. Pour lui, cette situation «chaotique» est due à la gestion calamiteuse de la pandémie.

«Comment se fait-il qu’il n’y ait aucun centre hospitalier régional dans tout Marrakech? Il ne faut pas se leurrer, Ibn Zohr n’est qu’un hôpital provincial même si le ministère veut faire croire que cet établissement est un hôpital régional. Il ne peut pas l’être puisqu’il ne répond pas aux normes et ne peut supporter une forte demande, même en temps normal. C’est une structure qui souffre depuis très longtemps de dysfonctionnements graves à tous les niveaux. Le personnel qui y travaille frôle l’âge légal de la retraite et le peu d’équipements disponible n’est pas adapté», s’insurge le syndicaliste, en réponse aux questions de Sputnik.

Hors de lui, Dr. Soussou ajoute: «Cet hôpital est sans directeur. D’abord, le délégué provincial qui occupait ce poste a été démis de ses fonctions par le ministère. Même les deux autres qui ont suivi ont eux aussi mystérieusement posé leur démission», rappelle-t-il.

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Interrogé par Sputnik sur ces démissions en série, Lamia Chakiri, directrice régionale de la Santé à Marrakech, botte en touche: «Lorsqu’un responsable en arrive au stade où il ne peut plus assurer sa fonction, on ne peut pas lui imposer de rester. Il faut aussi que l’on comprenne que l’on ne peut pas voir tout le temps la vie en rose quand on tient un poste à responsabilités», lance-t-elle. Chakiri est catégorique. Pour elle, il n’y a pas de conflit interpersonnel. Avec le même ton, assuré, la responsable estime que Marrakech ne fait pas exception par rapport aux autres régions.

«Après l’Aïd El-Kébir, on s’attendait à une flambée du nombre de cas et c’est ce qui s’est produit. Les images qui ont circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux sont tout à fait normales. Elles s’expliquent par la pression que le personnel a dû gérer et peut-être aussi par le fait que la population est devenue trop consciente et trop exigeante. En plus, il y a des personnes qui ne présentent aucun symptôme et qui viennent pour se faire dépister», argumente-t-elle.

De tels raisonnements exaspèrent Imad Soussou. Pour lui, il ne fait aucun doute que ce sont les mauvaises décisions des autorités sanitaires qui ont conduit à la catastrophe Ibn Zohr. «Malgré la liste interminable de failles qui handicapent l’établissement, il a été décidé que tous les Marrakchis y soient conduits pour des consultations Covid ou non Covid, en plus des tests de dépistage. Les afflux ainsi créés ont transformé cet hôpital mythique en symbole de la catastrophe sanitaire», regrette Imad Soussou.

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Pour calmer les esprits et faire face à la pluie des critiques, le ministre de la Santé marocain Khalid Ait Taleb s’est rendu en urgence à Marrakech dans la soirée du mercredi 19 août. Alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il visite l’hôpital Ibn Zohr, Ait Taleb s’est plutôt rendu à Ibn Tofail.

Certains témoins affirment que le ministre a à peine vu le parking de cet établissement où sont admis en réanimation certains patients Covid-19. Il a ensuite promis lors d’un bref point de presse de «rationaliser les structures hospitalières» et de «restructurer» la prise en charge des patients infectés. Lamia Chakiri résume ainsi les «mesures urgentes» décidées par le ministère: «Nous allons réorganiser la situation en revoyant le circuit Covid. Nous avons tracé une feuille de route pour éviter la saturation en augmentant la capacité en lits. Nous avons aussi affecté des médecins en renfort pour soulager le personnel.»

Crainte du pire

En réaction à ces affirmations, le vice-président de la FNS, qui est urgentiste au CHU Mohammed VI de Marrakech, décrit les mesures annoncées par le ministère comme «superficielles».

«Le saut de monsieur le ministre à Marrakech n’a été que symbolique, pour ne pas dire autre chose. Il n’y a eu ni dialogue, ni contact direct avec le personnel, ni réelle visite des zones meurtries. Il est venu très tard le soir et n’a même pas pris la peine de visiter Ibn Zohr. Résultat: les décisions qui ont découlé de cette pseudo visite sont en déconnexion totale avec la réalité du terrain», déplore-t-il.

Le médecin marrakchi estime que le «chaos» commence à se généraliser, dans l’indifférence générale. «D’une part, il y a le relâchement chez les citoyens. De l’autre, il y a la stratégie défaillante du ministère de la Santé. Ces deux facteurs font exploser les chiffres et sacrifient de plus en plus de personnel soignant. Si certaines images ont pu être filmées et vues par le grand public à Marrakech, dans d’autres grandes villes la situation est tout aussi critique», souligne-t-il, la voix enrouée.

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Ce constat est partagé par Mountadar Alaoui, secrétaire général du Syndicat indépendant des médecins du secteur public (SIMSP) qui est le plus représentatif du personnel de la Santé au Maroc. Pour lui, le pire ce sont les nombreuses contaminations du personnel soignant qui sont enregistrées les unes après les autres.

«Nous payons tous les frais d’un système de santé défaillant. Personnellement, je sens que j’ai contracté le virus. J’ai fait le test mardi et j’attends toujours le résultat», confie Imad Soussou. Ce médecin affirme qu’il travaille au sein du service Covid-19 du CHU de Marrakech sans répit depuis le début de l’épidémie dans le royaume à la mi-mars. Il confie, avec un grand soupir, que son épouse et sa fille âgée d'un an et demi lui manquent terriblement.

«Nous manquons déjà de bras dans le secteur, je ne sais pas comment on va faire avec toutes ces contaminations de nos collègues. Le comble, c’est que nous nous approchons dangereusement du point de rupture. D'après les échos que nous recueillons auprès des professionnels dans les grandes villes, le pire pourrait advenir dans quelques jours seulement», alerte-t-il.

Même le roi Mohammed VI a prévenu dans son discours qu’à défaut d’un respect rigoureux et responsable des consignes sanitaires, le nombre de contaminations et de décès irait crescendo. Et le souverain de conclure: «Et alors, malgré les efforts importants des pouvoirs publics et du secteur de la santé, les hôpitaux ne seraient plus en mesure de faire face à la pandémie.»

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