Vaccin chinois contre le Covid-19: détails exclusifs sur le partenariat sino-marocain

© AFP 2023 SothemaPhoto de l'un des laboratoires de recherche de la société pharmaceutique Sothema qui accompage le Maroc dans cette opération inédite.
Photo de l'un des laboratoires de recherche de la société pharmaceutique Sothema qui accompage le Maroc dans cette opération inédite. - Sputnik Afrique
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C’est officiel, le Maroc vient de s’inviter dans la course mondiale aux vaccins contre le Covid-19. Dans cette compétition vitale, le royaume mise sur la Chine à travers le laboratoire pharmaceutique Sinopharm CNBG. Un flou total entoure encore le sujet. Éclairages.

«La collaboration sino-marocaine permettra au royaume d’assurer au citoyen marocain d’être parmi les premiers servis en matière de vaccination contre le coronavirus.» Cette promesse de taille a été donnée par le ministre de la Santé marocain lui-même, jeudi 20 août à Rabat. Khalid Ait Taleb s’était exprimé à l’occasion de la signature, par visioconférence, de deux accords de coopération entre le Maroc et le laboratoire pharmaceutique chinois Sinopharm CNBG (China National Biotec Group Company Limited).

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Des deals sans précédent qui portent principalement sur la participation du royaume aux essais cliniques de phase III (phase de tests sur les humains) du vaccin contre le Covid-19 développé par le groupe basé à Pékin. «Les essais se feront, dans un premier temps, sur des volontaires dès la semaine prochaine», a annoncé Ait Taleb. Et le ministre, tout aussi laconique, d’ajouter: «Le Maroc sera à même, probablement très prochainement, de produire un vaccin dans le cadre de l’échange d’expertise entre Rabat et Pékin.»

Khalid Ait Taleb n’en dira pas plus, même après les nombreuses interpellations, notamment de représentants du personnel de la Santé et des députés de l’Istiqlal (parti de l’opposition). Il n’a pas non plus répondu aux questions de Sputnik. La partie chinoise n’a, quant à elle, rien dit ni écrit sur ce partenariat sur son site officiel. Il a fallu chercher les détails ailleurs.

Naturellement, la participation marocaine aux essais cliniques de Sinopharm fait les choux gras de la presse du royaume depuis près d’une semaine. Sauf qu’en l’absence de précisions de la part du département concerné, les spéculations l’emportent sur l’information. Ainsi, chaque média y est allé de son chiffre concernant le nombre de «cobayes».

Sputnik a contacté Lamia Tazi, la présidente-directrice générale de Sothema. Ce laboratoire pharmaceutique privé accompagne le ministère marocain de la Santé dans l’opérationnalisation du partenariat avec les Chinois.

«Ce sont de longs essais cliniques, en double aveugle et contre placebo, qui débuteront fin août au sein de ces trois centres hospitaliers: le CHU Ibn Rochd de Casablanca, le CHU Ibn Sina de Rabat et l’hôpital militaire de la même ville. Ils porteront sur 600 volontaires des deux sexes confondus, âgés de plus de 18 ans et s’étaleront sur 12 mois», détaille Lamia Tazi, qui était présente à la cérémonie de signature des accords.

Les Marocains devront donc prendre leur mal en patience en attendant l’inoculation salvatrice. Le ministre de la Santé le décrit comme étant «très prometteur» puisque, selon lui, «il a déjà été approuvé par plusieurs pays». Une affirmation pour le moins approximative. 

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Pour l’instant, seuls les essais cliniques ont été approuvés par les États «partenaires» dans la campagne mondiale de test menée par le groupe CNBG, mais pas encore le vaccin lui-même.

Les pays dont il s’agit sont le Pérou, le Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Argentine. Tous ont déjà entamé les essais cliniques de la phase III du vaccin chinois. Lamia Tazi, en sa qualité de docteure en pharmacie, insiste sur l’importance de cette dernière étape qu’elle qualifie à la fois de primordiale et de décisive. «La phase III a pour objectifs principaux de confirmer l’immunogénicité et l'innocuité du vaccin ainsi que le suivi des effets indésirables», explique la PDG de Sothema.

Un inquiétant vaccin à l’ancienne

Médecin généraliste et pharmaco-économiste marocain, Othmane Boumaalif estime, en réponse à Sputnik, que les résultats «encourageants» des phases I et II des essais cliniques de Sinopharm ont dû jouer un rôle déterminant dans la décision des autorités de s’inviter dans la phase III. Surtout que le vaccin chinois aurait généré «une réponse immunitaire satisfaisante», selon le Journal of the American Medical Association (JAMA).

«Sinopharm a opté pour la technique ancienne du vaccin inactivé. Ce procédé repose sur l'injection d’une version morte du virus, qui a perdu tout son pouvoir infectant après un procédé physico-chimique pour faire réagir le système immunitaire et lui faire produire des anticorps. Les vaccins contre la poliomyélite, la coqueluche, la diphtérie, le tétanos, l’hépatite A et même la grippe ont tous été développés avec cette technique. Ce type de vaccin est réputé avoir une grande innocuité, mais il peut présenter certains dangers au niveau des conservateurs, stabilisateurs et antibiotiques nécessaires à sa fabrication», explique le docteur Boumaalif.

Sans aller jusqu’à parler de dangers, certains internautes marocains, comme Omar El Hayani, disent avoir peur du vaccin chinois. Cet élu local de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) à Rabat, très suivi sur Twitter, a exprimé ainsi son inquiétude:

Un sentiment partagé également par cet autre internaute connu:

​De son côté, le parti politique marocain de l’Istiqlal a interpellé le ministre de la Santé à travers une question écrite rédigée par ses parlementaires. Ces derniers s’indignent de voir le département d’Aït Taleb «faire des Marocains des cobayes dans cette course mondiale au vaccin menée par les grandes puissances». Les députés istiqlaliens reprochent à la tutelle de ne pas s’impliquer directement dans les recherches et lui demandent de garantir la sécurité des volontaires aux essais cliniques.

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Le PDG du groupe chinois Sinopharm Liu Jingzhen, qui avait lui-même participé en tant que volontaire aux deux premières phases d’études cliniques du vaccin de son propre laboratoire, se veut rassurant. Dans une déclaration à des médias de son pays, il a certifié qu’une injection donnerait «une garantie de protection de 97% du virus» et qu’une deuxième, administrée 28 jours plus tard, assurerait «une immunité à 100%».

La taille du laboratoire chinois est elle aussi avancée comme argument de «vente». Ce groupe emploie près de 128.000 personnes et a une capacité de production de plus de 300 millions de doses par an. Il est derrière deux des 31 projets de vaccins recensés actuellement par l’OMS à différents niveaux d’essais cliniques.

Et l’éthique dans tout cela?

À la suite de l’annonce de la participation du Maroc aux études cliniques de Sinopharm, la question qui revient le plus, notamment sur les réseaux sociaux, est celle liée à l’éthique.

En déplorant le manque de transparence du ministère de la Santé sur les modalités de cette opération, Boumaalif exhorte les autorités à respecter le cadre réglementaire. «Participer à des études cliniques de ce type est certes souhaitable, mais à une condition essentielle: celle du respect des garanties éthiques et réglementaires. Maintenant, tout ce que l’on demande en tant que professionnels, c’est que ces essais puissent se dérouler en toute transparence, dans le respect strict des règles déontologiques stipulées par les réglementations le régissant à l’échelle nationale», martèle-t-il. Le médecin généraliste fait allusion à la loi 28-13 relative à la protection des personnes participant aux recherches biomédicales.

Interrogé sur la question, Lamia Tazi assure que les essais cliniques se feront «conformément à la réglementation en vigueur qui implique l’aval du comité d’éthique ainsi que d’autres instances».

«Le recrutement des participants se fait sur la base du volontariat. Les bénévoles doivent signer un consentement libre et éclairé. En vertu de ce consentement, l’autorité sanitaire est tenue de leur présenter clairement tous les risques de la conduite de ces tests», précise-t-elle à Sputnik. 

Au-delà du vaccin…

Les accords conclus à Rabat le 20 août vont au-delà des essais cliniques. «Ils s’articulent autour de trois volets: la coopération en matière d’essais cliniques de phase III du vaccin, une coopération globale et la volonté de s’ouvrir au Sud et au Nord», avait énuméré le ministre marocain de la Santé, sous le regard approbateur de son collègue en charge des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Nasser Bourita.

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«Cet accord sino-marocain est une victoire scientifique pour le secteur de la recherche au Maroc et en Afrique», s’enthousiasme Kaouthar Lbiati en réponse aux questions de Sputnik. Cette spécialiste des politiques internationales de santé est conseillère auprès de l'Institut marocain de l’intelligence stratégique (IMIS). Pour elle, il s’agit d’un partenariat gagnant-gagnant qui passe par la participation des chercheurs marocains à l’évaluation clinique du vaccin proposé. «Cette collaboration nourrit et diversifie les possibilités de coopération transfrontalière marocaine avec la Chine», poursuit-elle, rappelant que dans ce sens, de hauts responsables marocains et chinois avaient signé, en mai 2016 à Pékin, un partenariat stratégique en présence du roi Mohammed VI et du Président Xi Jinping.

Question élémentaire

Ce partenariat stratégique pourrait-il permettre au Maroc d’avoir une offre préférentielle de la part des Chinois? Personne ne semble avoir encore de réponse. Mais d’ores et déjà, on sait que le futur vaccin coûterait moins de 1.000 yuans (121 euros), selon Liu Jingzhen. C’est l’équivalent de plus de 1.330 dirhams. Un prix qui serait inabordable pour l’écrasante majorité des Marocains.

Serait-ce pour faire jouer la concurrence que le ministre marocain de la Santé avait déjà laissé entendre que le royaume participerait à des essais cliniques avec d’autres pays?

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