Amende pour usage de drogues: un «nouvel outil de contrôle»?

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Mesure-phare du gouvernement pour lutter contre le trafic de drogue, l’amende de 200 € pour usage de stupéfiants est désormais appliquée sur l’ensemble du territoire. Béchir Saket, juriste et porte-parole de l’organisation L630, spécialisée dans le droit des drogues, dénonce au micro de Sputnik une «dérive autoritariste de la politique pénale».

Promesse tenue. Après l’expérimentation dans quatre villes françaises, ce mardi 1er septembre 2020, l’amende forfaitaire de 200 euros pour usage de stupéfiants est dorénavant généralisée à l’ensemble du territoire. Le contrevenant aura 45 jours pour la régler: elle passera à 150 euros en cas de paiement sous quinze jours, mais sera majorée à 450 euros en cas de non-respect des délais impartis.

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Lors d’un déplacement à Nice, fin juillet dernier, le Premier ministre Jean Castex avait annoncé une généralisation à la rentrée afin de lutter «contre les points de revente qui gangrènent les quartiers». Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a enfoncé le clou le 20 août dernier, en expliquant que «tout consommateur de stupéfiants sera sanctionné par une amende importante, que ce soit pour une barrette de shit ou un gramme de cocaïne.»

Lutter contre le trafic de stupéfiants

Et d’ajouter que, «ce sera vrai partout en France, dans les quartiers de Créteil comme dans le XVIe arrondissement de Paris». Selon lui, c’est une «technique qui consiste à tuer tout trafic de drogue.»

​Interrogé par Sputnik, Béchir Saket, juriste en droit public et porte-parole de L630, organisation qui travaille sur les politiques concernant les drogues, estime que «cette amende ne permettra pas de lutter contre le trafic, ni même contre l’usage de stupéfiants». En effet, l’exécutif se tromperait selon lui de cible:

«On ne lutte pas contre le trafic en s’attaquant à la demande, mais en luttant contre le blanchiment d’argent, contre l’organisation des réseaux, contre le trafic d’armes, contre le trafic de stupéfiants. On pense qu’en attrapant quelques personnes, on va éradiquer le trafic de stupéfiants. C’est une chimère», argue Béchir Saket.

D’autant plus que la livraison à domicile de produits stupéfiants connait un essor important. Et pour cause, ce procédé est jugé plus simple et moins dangereux par les consommateurs.

Rappeler l’interdit social

Une pratique qui conviendrait à «des personnes qui ne sont pas à l’aise à l’idée de se rendre dans les “fours”, ces lieux de deals établis dans des endroits un peu chauds», explique à Slate le sociologue David Weinberger, chercheur à l’Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice (INHESJ).

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Alors pourquoi une telle mesure? Éric Poulliat, député LREM, co-auteur d’un rapport parlementaire qui a inspiré l’amende, considère que l’un des objectifs est de «rappeler l’interdit social», notamment dans la consommation de rue. Et de poursuivre, «après, on n’est pas chez les gens. L’idée, c’est d’avoir cette forme éducative. Très clairement, quand on fume dans la rue en toute impunité et que l’on n’est pas sanctionné, on renvoie le message que l’on peut enfreindre la loi sans risque», a-t-il détaillé à LCP.

​Néanmoins, les premiers chiffres semblent, pour le moment, ne pas démontrer une grande efficacité. Alors qu’en France, la consommation de cannabis concerne 3,9 millions de personnes, dont 1,2 million de consommateurs réguliers, depuis le début de l’expérimentation mi-juin dans les quatre villes-tests, 545 amendes ont été dressées, dont 173 à Rennes, à la date du 26 août.

Seuls 32% de taux de recouvrement

Sur ces 173 verbalisations, «166 portaient sur du cannabis et 7 sur de la cocaïne», a précisé dans un communiqué Philippe Astruc, procureur de la République de la ville de Rennes. «70% des avis d’infraction ont été transmis aux contrevenants, dont 32% se sont déjà acquittés du paiement de l’amende», a ajouté le procureur.

Comme l’explique Béchir Saket, «une personne sur trois qui s’acquitte de sa contravention, c’est un chiffre aberrant, parce que l’amende est à 150 euros. Cela veut dire que pour 2/3 des gens, il va falloir faire des procédures très longues pour recouvrir les amendes.»

«Du côté des forces de l’ordre, on va gagner du temps, mais on en perd du côté de la justice, car recouvrer une amende à 200 euros, qui va être majorée, c’est très compliqué. Finalement, puisqu’elle s’applique de manière inégalitaire, elle vise les plus pauvres, ceux qui sont insolvables, débancarisés.»

Sans compter que ce nouveau procédé pourrait accentuer les tensions entre les forces de l’ordre et les citoyens.

Une réduction du rôle du juge

En outre, Béchir Saket fustige un «nouvel outil de contrôle. C’est une condamnation sur le trottoir», car «l’amende forfaitaire est délictuelle.» Or, «dans la grande majorité des cas, les gens ne vont pas la contester. Puisqu’ils ne la contesteront pas, elle est réputée devenir une condamnation.» Et notre interlocuteur de poursuivre:

«Il y a une dérive parce que l’on rentre dans la déjudiciarisation. Progressivement, on maintient les délits, mais on laisse la liberté aux policiers, dans l’espace public, sur le trottoir, de procéder à la condamnation. On réduit l’office du juge, comme si finalement on craignait le juge parce qu’il serait peut-être trop laxiste», regrette le juriste en droit public.

Une position partagée par l’Union syndicale des magistrats (USM). Dans une interview à l’AFP, Jacky Coulon, secrétaire général de l’USM, déplore que le dispositif «transfère le pouvoir d’appréciation du parquet au policier» et avec lequel «on ne se pose pas la question du soin».

«C’est une dérive autoritariste de la politique pénale. Cette amende forfaitaire délictuelle est véritablement une atteinte à la séparation des pouvoirs», conclut Béchir Saket.
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