Des centaines de terroristes islamistes bientôt libérés: «cela va poser des problèmes de surveillance»

© REUTERS / Yohan ValatDes membres de la Garde républicaine, place de la République à Paris, pour un hommage aux victimes des attentats de janvier 2015
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Alors que s’ouvre ce 2 septembre le procès des auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015, où la menace djihadiste en est-elle en France? Pour le ministre de l’Intérieur, elle demeure «extrêmement élevée sur le territoire». Le docteur Karim Ifrak, islamologue et chercheur au CNRS, livre son analyse à Sputnik.

Des chiffres qui donnent le tournis: 49 jours d’audience, 171 tomes de procédures, 14 accusés, 94 avocats, cinq magistrats professionnels de la Cour d’assises spéciale, 200 parties civiles et des médias venus de nombreux pays étrangers. Ce 2 septembre, s’ouvre aux assises de Paris le procès des attentats à Charlie Hebdo, à l’Hyper Cacher et à Montrouge, qui ont vu la mort de 17 personnes entre le 7 et le 9 janvier 2015.

«Moins visible, mais toujours là»

La série d’attaques avait plongé la France dans l’horreur et ouvert une période noire qui aura également vu les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice. Cinq ans plus tard se pose la question de la permanence de la menace du terrorisme islamiste en France. Le groupe État islamique (EI)* et Al-Qaïda*, malgré leurs revers au Moyen-Orient, sont toujours au centre des attentions des services de renseignement.

Le «risque terroriste d’origine sunnite» demeure «la principale menace à laquelle est confronté notre pays», a martelé Gérald Darmanin.

Pour le ministre de l’Intérieur, de passage au siège de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), c’est clair: la France n’en a pas fini avec la menace du terrorisme islamiste.

​Récemment invité de Franceinfo, Jean-François Ricard, procureur au parquet national antiterroriste (PNAT), a déclaré qu’«il y a eu plusieurs attentats déjoués» ces derniers mois. «Une demi-douzaine», selon celui qui assure que le «risque terroriste est encore très important» en France.

Le Docteur Karim Ifrak, islamologue et chercheur au CNRS, abonde au micro de Sputnik:

«Dernièrement, nous n’avons que peu entendu parler des attentats terroristes qui ont été commis par Al-Qaïda et Daech. La vague de Covid-19 a fait que les gens se sont concentrés sur d’autres problématiques, mais ce danger lié au terrorisme est toujours présent. Il est certes moins visible, mais toujours là.»

Gérald Darmanin assure que «la menace représentée par des individus adeptes de l’islam radical» devient «un défi croissant pour les services de renseignement, qui assurent aujourd’hui le suivi de 8.132 individus inscrits au FSPRT [fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, ndlr].»

Une menace qui a changé

Le ministre de l’Intérieur estime que «malgré la défaite militaire de l’État islamique* […], la composante extérieure de la menace [action terroriste élaborée à l’étranger et projetée en France, ndlr], même si elle a diminué, devait continuer à faire l’objet de toute notre attention.»

«Fort regrettablement, je ne peux que partager la crainte du ministre de l’Intérieur. Sa position est totalement légitime. Il fait bien de revenir sur cette question du terrorisme islamiste. D’autant que les mesures de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, sont applicables jusqu’au 31 décembre 2020. Il faut maintenant regarder vers la suite.»

Le 17 juin 2020, un projet de loi visant à proroger d’un an la durée de validité de ces mesures a été déposé.

​Du côté des motifs d’optimisme, les services de renseignement français jugent «limitées» les capacités d’action des groupes terroristes d’ampleur à agir en Europe et à entretenir des liens avec leurs sympathisants. «Je rejoins totalement cette analyse. La bataille de Mossoul en Irak, qui a lieu sur plusieurs mois entre 2016 et 2017, a presque mis fin à toute l’organisation terroriste de Daech* qui a été affaiblie tant au niveau de l’Irak qu’à l’international», répond Karim Ifrak, également conférencier sur les questions d’islam.

«Les différents acolytes de Daech* qui sont implantés un petit partout ont besoin de ces relations avec l’organisation mère. Elle est aujourd’hui, fort heureusement, très fragilisée», poursuit-il.

Reste que le groupe État islamique (EI)* et Al-Qaïda* disposent toujours de nombreuses «franchises» locales qui restent très actives.

​«La menace terroriste a été incarnée cette année par des personnalités isolées, non repérées par les services de renseignement en raison des modalités de leur action et de leurs contacts réduits, voire inexistants, avec les réseaux djihadistes identifiés», explique le parquet national antiterroriste (PNAT) à Paris.

Karim Ifrak relève un autre point d’inquiétude soulevé par Gérald Darmanin: la libération prochaine de «505 détenus terroristes islamistes en lien avec la mouvance islamiste», et de «702 détenus de droit commun susceptibles de radicalisation». Un «défi sécuritaire majeur» selon le locataire de la place Beauvau, qui a ajouté qu’en 2020 «les prévisions de libération sont évaluées à 45 détenus pour des faits d’association de malfaiteurs terroristes», et en 2021 à «63 terroristes islamistes condamnés».

«Cela va poser des problèmes de surveillance. Quand on sait que suivre complètement un individu susceptible de traduire son idéologie islamiste par la perpétration d’actes violents nécessite une vingtaine d’agents…», prévient Karim Ifrak.

Des chiffres d’autant plus inquiétants quand on les met en rapport avec les données que le Centre d’analyse du terrorisme (CAT) a communiquées cet été au Sénat. Les données mentionnées par Le Figaro font froid dans le dos.

De nouveaux moyens pour la DGSI

L’étude, qui porte sur le taux de récidive de 166 ressortissants ou résidents français partis combattre en Afghanistan (de 1986 à 2011), en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) et en Irak (de 2003 à 2006), affirme que 60% d’entre eux ont été condamnés par la suite en France ou à l’étranger pour d’autres méfaits de nature terroriste. Le document informe également qu’une partie importante des 40% qui n’ont pas récidivé sont devenus des référents religieux ou idéologiques pour les jeunes générations.

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Le tableau est préoccupant. L’étude ne concerne pas les individus ayant fait allégeance à Daech*, ces derniers étant pour la plupart encore incarcérés. De quoi poser de sérieuses questions concernant le suivi de tels individus.

Récemment invité à s’exprimer dans Le Figaro, François Molins, ancien procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, en poste au moment des attentats contre Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre 2015, a souhaité faire preuve d’un peu d’optimisme: «Je pense que les informations circulent mieux aujourd’hui au sein de la communauté du renseignement, et entre le renseignement et le judiciaire.»

Afin de faire face à la menace, Gérald Darmanin a souligné que la DGSI verrait ses effectifs augmenter de «1.260 agents dans tout le quinquennat». En novembre dernier, Ouest-France notait que le service de renseignement comptait 3.200 personnes en 2014 et 4.300 au moment de la rédaction de l’article. Le quotidien régional rappelait que les effectifs de la DGSI pourraient monter à 5.500 «à l’horizon 2022-2024».

​La direction du service pourra également bénéficier prochainement de nouveaux locaux à Saint-Ouen. En début d’année, l’État y a acquis des terrains auparavant occupés par Le Parisien. Une opération «à plus d’un milliard d’euros», selon Gérald Darmanin.

Ce ne serait pas du luxe, à en croire Karim Ifrak:

«Là, on parle de plusieurs centaines de personnes susceptibles de passer à l’acte, sans évoquer les milliers d’autres fichés pour radicalisation à caractère terroriste. Sur le terrain, le nombre des agents qui doivent s’atteler à la surveillance de ces individus est tout simplement énorme.»

*Organisations terroristes interdites en Russie

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