Explosion des violences contre les maires: l’État viendra-t-il vraiment à leur secours?

© AP Photo / Francois MoriÉric Dupond-Moretti
Éric Dupond-Moretti - Sputnik Afrique
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Confrontés à une vague d’agressions sans précédent, les maires de France tirent la sonnette d’alarme. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, les a assurés de son soutien et a promis des mesures. Francis D’Hulst, maire délégué de Portbail, dans la Manche, a récemment été victime de violences. Il estime au micro de Sputnik qu’il est urgent d’agir.
«Ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre, aux élus, ne passeront pas.»

Emmanuel Macron avait le ton solennel ce 4 septembre, au Panthéon. Alors qu’il prononçait un discours pour célébrer les 150 ans en République, le Président a eu un mot pour les édiles victimes d’une vague de violence inédite. D’après les chiffres de l’Association des maires de France (AMF), 233 maires ont été agressés de janvier à juillet 2020. Un climat délétère qui commence à prendre racine. En 2019, 383 édiles avaient subi des coups ou des insultes, contre 361 en 2018.

«Des circulaires, il y en a déjà eu»

Francis D’Hulst, élu de la localité de Portbail, en a été victime. Le 6 août, il demande à trois jeunes qui font du camping sauvage de quitter les lieux. Il est alors insulté, menacé et frappé à la nuque et dans le dos. Le maire délégué de cette petite commune de la Manche se dit totalement remis physiquement et motivé comme jamais, a-t-il confié au micro de Sputnik:

«Pendant quatre ou cinq jours, j’ai eu quelques douleurs dans le dos et derrière la nuque. C’est passé. Je n’ai aucune séquelle psychologique. Au contraire, je suis boosté! Je n’ai pas du tout envie de démissionner. Si cela peut servir la cause des autres maires, je suis prêt à porter le flambeau.»

Comme beaucoup de ses collègues, il en appelle aux autorités afin de monter au créneau. Le 2 septembre, Éric Dupond-Moretti a annoncé une circulaire visant à renforcer la sécurité des maires. Les insultes contre les édiles seront notamment considérées comme des outrages. «Nous allons suggérer aux parquets de retenir cette qualification, car le maire qui est insulté, c’est un maire qui, au sens du droit pénal, est un maire outragé», a déclaré le garde des Sceaux.

​Il a rappelé que la qualification d’injure, souvent retenue dans ce type d’affaires, ne permettait pas la mise en œuvre des TIG (travaux d’intérêt général), contrairement à l’outrage.

«C’est un début, réagit Francis d’Hulst, avant d’ajouter: nous en avons peu appris à propos de cette fameuse circulaire qui sera prochainement publiée, mais tout ce qui va dans le bon sens est à prendre.»

D’après le ministre de la Justice, la circulaire contiendra «un certain nombre de mesures qui nous permettent de dire aux maires à quel point nous sommes à leurs côtés», sans donner plus de détails.

«Des circulaires, il y en a déjà eu et il y en aura sûrement d’autres. Le plus important est de faire appliquer les lois existantes. Il se ne suffit pas de les énoncer et de les rappeler, il est nécessaire qu’elles soient appliquées», martèle Francis D’Hulst.

Le traitement judiciaire de sa récente agression a déclenché la colère de nombreux maires. Alors que l’édile avait porté plainte, l’agresseur n’a écopé que d’un simple rappel à la loi. Éric Dupond-Moretti l’assure, les choses vont changer: «Cela implique que la justice donne une réponse proportionnée, bien sûr, systématique et immédiate, bien évidemment.»

La loi, pas appliquée? «Parfois, taper sur quelqu’un, c’est gratuit»

«Le fait que la qualification d’outrage soit retenue si l’on insulte un maire est positif. Mais le plus important reste que les délits soient réellement pénalisés. Si vous sortez dans la rue sans masque, vous prenez 135 euros d’amende. C’est encore plus pour les responsables de bar et de restaurant. Parfois, taper sur quelqu’un, c’est gratuit», s’insurge Francis D’Hulst. L’édile souligne qu’il est primordial que «chaque agression soit systématiquement sanctionnée». Pour lui, il y a péril en la demeure, tant son cas est loin d’être isolé.

Gérald Darmanin - Sputnik Afrique
«Fous le camp bougnoule»: un nouveau maire menacé et des élus à bout

Laurent Simon, maire de Chalifert, en Seine-et-Marne, a été attaqué alors qu’il rentrait chez lui en voiture par un administré qui lui reprochait un problème de stationnement. L’élu a reçu plusieurs coups au visage et dans les côtes.

Dans la soirée du 7 août, c’est Gérard Dué, maire de Croisilles (Pas-de-Calais), qui a été violemment agressé à la suite d’une intervention dans un ensemble de logements sociaux de sa ville. Après une chute, l’édile de 69 ans a eu un poignet luxé et a dû lutter contre des douleurs à un coude et dans le dos. Et la litanie des agressions d’élus continue.

Les maires, «une espèce en voie de disparition»?

Le 27 juillet, Williams Dufour, maire de la commune rurale de Miribel-les-Échelles (Isère), s’est retrouvé légèrement brûlé à la main et a reçu un coup au visage après avoir demandé à des jeunes de cesser de tirer des feux d’artifice sur la place du village. Une situation qui désole Francis d’Hulst:

«Un élu prend du temps pour sa ville. Je suis grand-père, j’ai 13 petits-enfants et au lieu d’aller risquer de me faire taper dessus, je ferais mieux de passer plus de temps avec eux, ce que je ne fais pas. Cela demande des sacrifices d’être maire. Nous demandons donc une réponse immédiate et systématique en cas d’agression.»

Si les autorités n’agissent pas, il craint pour l’avenir des maires de France, lui qui rappelle que dans de nombreuses communes, une seule liste avait été déposée aux dernières élections municipales.

«Je vais un petit peu paraphraser monsieur Dupond-Moretti lorsqu’il parle des chasseurs. Il est évident que les maires sont une espèce en voie de disparition. Il est urgent de les protéger», souffle-t-il.

La multitude d’agressions contre les édiles de France serait-elle un symptôme de l’«ensauvagement» du pays? Le terme, employé par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, semble gêner au sein du gouvernement, comme en témoigne la récente prise de distances du Garde des Sceaux avec le terme polémique.

«On peut appeler cela comme on veut, mais il est évident qu’il y a de plus en plus de comportements qui ne sont pas compatibles avec la vie en société. Mais je pense qu’il ne faut pas s’arrêter sur les mots employés par les uns et les autres», répond Francis D’Hulst.

En attendent, Jean Castex a exigé plus de «fluidité» dans les échanges entre le préfet, le procureur de la République et les élus. «À cet effet, les préfets devront désormais systématiquement signaler aux parquets les faits dont les élus sont victimes et qui sont susceptibles de recevoir une qualification pénale», indiquent les services du Premier ministre dans un communiqué.

«Les victimes sont celles qui reçoivent les coups, pas ceux qui les donnent»

Le maire délégué de Portbail dit être «déterminé». Pas question que «le fait que taper sur quelqu’un, élu ou pas, devienne quelque chose considérée comme normal». Ainsi, Francis D’Hulst souligne-t-il que les édiles sont loin d’être les seuls concernés par la violence qui mine la société française: «L’important, c’est le résultat. Et cela ne concerne pas que les maires. Les infirmières et infirmiers, mais aussi les policiers ou les pompiers sont agressés. Il faut garder à l’esprit que les victimes sont celles qui reçoivent les coups, pas ceux qui les donnent.»

Il appelle en conséquence à mettre fin à la culture de l’excuse:

«Cela suffit de trouver des excuses aux auteurs, comme le confinement ou une enfance difficile. La sanction ne doit pas être automatiquement la prison, mais il existe des peines applicables rapidement pour punir les auteurs. Et elles doivent inciter à ne pas recommencer.»
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