«Situation extravagante», «paysage surréaliste»: la bourse américaine au bord du krach?

© AP Photo / Richard DrewLa bourse de New York
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Les coups de semonce enregistrés sur les marchés américains les 3 et 4 septembre précédent-ils un krach boursier? C’est l’avis de plusieurs observateurs, qui redoutent un éclatement de la bulle financière. Pour l’ancien banquier Jean-Michel Naulot, les marchés finiront par chuter. Il livre son analyse à Sputnik.

Début de panique ou simple correction? Les marchés américains ont vécu une fin de semaine difficile les 3 et 4 septembre. Portés par un rallye haussier historique depuis le krach du mois de mars, les indices boursiers new-yorkais étaient encore en pleine euphorie à la clôture du 2 septembre. Le S&P 500 et le Nasdaq finissaient sur des records, quand le Dow Jones clôturait au-dessus des 29.000 points pour la première fois depuis le mois de février.

​Mais le lendemain a vu les principaux marchés américains fortement plonger: le Dow Jones a perdu 2,78%, le S&P 500 3,51% et le Nasdaq 4,96%. Les valeurs technologiques, qui flambent depuis plusieurs mois, ont sérieusement accusé le coup: l’action Microsoft a perdu 6,19%, Google 5%, Amazon 4,63% et Facebook 3,76%. Apple, avec sa capitalisation boursière record de 2.000 milliards de dollars, a subi une perte de 180 milliards de dollars.

«Déconnexion entre économie réelle et marchés financiers»

Comme le relève le magazine Barron’s, média spécialisé dans l’analyse financière, il s’agit ni plus ni moins de la plus importante perte jamais enregistrée par la marque à la pomme sur une séance. Le 4 septembre aura bien vu les principaux indices boursiers américains effacer une partie des pertes de la veille, mais le Dow Jones lâchait tout de même 0,56% quand le Nasdaq, à forte valeur technologique, cédait 1,27%.

Jean-Michel Naulot, ancien banquier et ancien membre du Collège de l’AMF (Autorité des marchés financiers), relativise ces baisses au micro de Sputnik:

«Parler de forte chute est excessif. Nous avons assisté à un petit courant d’air.»

Les marchés financiers évoluent à des niveaux de performances inédits, malgré une économie américaine en grande difficulté. Le Produit intérieur brut de l’Oncle Sam (PIB) s’est effondré de 31,7% au deuxième trimestre en rythme annualisé.

«Je parle depuis plusieurs années de l’exubérance des marchés financiers. Mais actuellement, nous avons une situation extravagante et un paysage surréaliste. Nous sommes face à une crise très grave, d’une ampleur semblable à celle des années 30 et pourtant les marchés montent. La déconnexion avec l’économie réelle est totale», analyse Jean-Michel Naulot.

Si en août, le taux de chômage américain est repassé sous la barre des 10% pour la première fois depuis le mois d’avril (8,4%), il reste bien plus élevé que les 3,5% d’avant l’épidémie. Et les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Début août, l’institut de recherche Aspen, dans le Colorado, tirait la sonnette d’alarme: «Les États-Unis pourraient être à l’aube de la crise du logement la plus grave de leur histoire.» D’après l’organisme, près de 40 millions d’Américains incapables de payer leurs loyers pourraient être expulsés d’ici la fin de l’année.

«L’économie américaine est entièrement financée par la dette. Le déficit budgétaire devrait se situer entre 15 et 20% du PIB en 2020. La dette publique va exploser. Sans parler de la progression des créances douteuses pour les banques», prévient Jean-Michel Naulot.

En juin dernier, c’est l’assureur-crédit Coface qui y allait de sa sombre prévision concernant l’économie américaine. Il anticipait une augmentation des défaillances d’entreprises de 43% d’ici 2021 aux États-Unis. Comment un contexte aussi sombre voit-il des indices boursiers tutoyer les sommets? Jean-Michel Naulot rappelle que depuis l’élection de Donald Trump, le Dow Jones a progressé de plus de 50% et le Nasdaq a doublé.

La création monétaire dans le viseur

Pour l’ancien banquier, «l’explication qui veut que les GAFA [Google, Amazon, Facebook et Apple ndlr] profitent de la crise de la mondialisation n’est pas convaincante». D’après Jean-Michel Naulot, la situation actuelle ressemble à celle de l’année 2000, à la veille de l’explosion de la bulle Internet: «à l’époque, Alan Greenspan, l’ancien directeur de la FED, avait émis l’idée que la révolution technologique allait faire disparaître les cycles économiques. Les niveaux de capitalisation des valeurs technologiques américaines étaient immenses. Et nous vivons la même chose aujourd’hui avec des anticipations extravagantes de la part des investisseurs qui résonnent souvent en termes de chiffre d’affaires et non de profit.»

​Mais pour le spécialiste, c’est clair: la politique de la FED est bien la principale responsable de cette déconnexion entre marchés et économie réelle:

«Depuis 10 ans, nous avons assisté à un changement très fort dans les politiques des Banques centrales. Avant, en cas de crise, elles fournissaient les marchés en liquidités et remplissaient ainsi leur devoir de prêteur en dernier ressort. Mais la planche à billets n’a jamais fonctionné à de tels niveaux que depuis 10 ans.»

L’économiste Patrick Artus explique qu’en 2020, les Banques centrales des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) augmenteront la quantité de monnaie offerte de 10.000 milliards de dollars, «c’est-à-dire de 70% (14.000 milliards de dollars au début de 2020, 24.000 milliards de dollars à la fin de 2020).»

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En termes de création monétaire, les États-Unis font figure de champion. Afin de ne pas enrayer la machine économique, la Réserve fédérale (FED) et le gouvernement américain ont mis des sommes colossales sur la table. Washington a déjà déboursé 2.200 milliards de dollars et d’autres mesures destinées à la relance sont en discussion. La FED applique quant à elle des taux directeurs proches de zéro, permettant un endettement à bas coût et injecte régulièrement des milliards de dollars dans le système économique sous forme de rachats d’actifs.

Entre le mois de mars et le mois de juin, son bilan est passé de moins de 3.500 milliards de dollars à plus de 7.000 milliards. Son montant est aujourd’hui équivalent à plus de 30% du PIB américain. Et la récente décision de laisser occasionnellement l’inflation dépasser les 2% montre que la Banque centrale américaine ne compte pas resserrer sa politique monétaire de sitôt.

«La théorie économique dit que lorsque la création monétaire dépasse largement les besoins de l’économie réelle, il existe dès lors un risque de basculement dans une dépression économique. C’est exactement ce qu’il s’est passé en 1929», alerte Jean-Michel Naulot.

Récemment invité à s’exprimer sur CNBC, Ron William, stratégiste financier et fondateur de RW Advisory, a expliqué que les marchés américains pourraient bientôt être frappés par un «moment Minsky» du nom de l’économiste Hyman Minsky. Ce terme fait référence à une chute brutale des marchés actions suite à l’éclatement d’une bulle. D’après Ron William, un tel événement pourrait faire baisser les actions de «20 à 30% ou plus».

«Explosif à terme»

«Le jour où les investisseurs vont avoir un début de doute sur l’engagement des Banques centrales, les marchés risquent de chuter comme la pierre. Ce doute arrivera inévitablement, car les Banques centrales n’ont pas de possibilité d’action illimitée, ne serait-ce qu’au titre de la stabilité financière», souligne Jean-Michel Naulot.

«Il arrivera un moment où les investisseurs prendront conscience de la dette qui est dans le marché et que les Banques centrales ne peuvent plus agir. Elles auront donc perdu leur crédibilité», poursuit-il.

L’ancien membre de l’AMF note également un autre effet collatéral de la création monétaire sans limites: le creusement des inégalités. Jean-Michel Naulot explique que la «sur inflation sur les actifs financiers rend encore plus riche les riches pendant que les marges de manœuvre budgétaire des États sont insuffisantes pour combler les inégalités, notamment pour les classes moyennes.»

​Plusieurs milliardaires américains ont vu leur fortune s’accroître depuis le début de l’année. L’appréciation de la valeur des actions d’Amazon a permis à Jeff Bezos, patron de la firme, de devenir fin août le premier individu de l’époque moderne à voir sa fortune dépasser les 200 milliards de dollars.

Pour Jean-Michel Naulot, un tel paradigme financier conduira forcément à la catastrophe:

«Tout ceci est explosif à terme. Nous ne faisons que décaler la crise.»
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