Conflit frontalier dans l’Himalaya: face à la puissance militaire chinoise, l’Inde se tourne vers l’Occident

© AP Photo / Aijaz RahiDonald Trump et Narendra Modi
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Alors que les relations frontalières se corsent entre la Chine et l’Inde, difficile de ne pas observer le discret, mais bien réel, soutien occidental à New Delhi. Retour sur les enjeux géopolitiques de ces tensions avec le général Alain Lamballe, spécialiste de l’Asie du Sud.

«Plusieurs pays voisins sont incités par les États-Unis à affronter la Chine» affirme le journaliste Hu Xijin, dans le Global Times, cité par Le Monde. Visant clairement le voisin indien, le quotidien chinois appelle également sa population à avoir «vraiment le courage de s’engager calmement dans une guerre dont le but est de protéger les intérêts fondamentaux, et être prête à en supporter le coût».

Des propos belliqueux qui illustrent à merveille les tensions entre Pékin et New Delhi, suite à plusieurs accrochages le long de leur frontière commune dans l’Himalaya, à 4.000 mètres d’altitude. Le 20 juin, un choc dans la région du Ladakh entre les deux armées a fait 20 morts côté indien. Et malgré les déclarations d’apaisement de part et d’autre, une nouvelle escarmouche a eu lieu le 8 septembre, chacun s’accusant mutuellement d’avoir effectué «des tirs de sommation».

Si une guerre conventionnelle entre les deux puissances nucléaires semble exclue, des «dérapages locaux» pourraient toutefois aggraver leurs relations bilatérales, estime le général (2S) Alain Lamballe. Et comme le dénonce le journal chinois, les États-Unis pourraient-ils s’engager aux côtés de l’Inde afin d’isoler encore davantage Pékin? Le spécialiste de l’Asie du Sud au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et à Asie 21 a répondu aux questions de Sputnik.  

Alain Lamballe est catégorique. À propos des accrochages de plus en plus réguliers dans le Ladakh et l’Aksai Chin, le «pays agresseur» est la Chine. Celle-ci tenterait de «récupérer le plus possible de territoire» le long de cette frontière très mal définie, la «presque totalité de l’Aksai Chin» étant entre les mains des Chinois.

«La Chine est beaucoup plus puissante que l’Inde sur le plan militaire»

Selon le général, Pékin poursuit deux objectifs: «couper l’Inde du Xinjiang», cette région désertique et montagneuse du nord-ouest de la Chine, et l’élargissement de la frontière avec son allié pakistanais.

«Les Chinois cherchent à encercler l’Inde par le corridor qui est en train de se créer au Pakistan –corridor économique qui relie le Xinjiang à la mer d’Arabie– et par des corridors semblables du côté de la Birmanie. Il y a aussi une certaine volonté de la Chine d’encercler l’Inde par le Bangladesh.»

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Une politique qui s’est solidement structurée depuis des années, contrairement aux négligences indiennes, «parce qu’ils ne croyaient pas vraiment à une menace chinoise». Le spécialiste de l’Asie du Sud énumère ainsi les carences militaires à New Delhi, du désordre du haut commandement jusqu’aux déficits d’effectifs, de matériels et de logistique.

«L’Inde n’est absolument pas en mesure de faire face à la Chine. La Chine est beaucoup plus puissante que l’Inde sur le plan militaire. Elle également est beaucoup mieux équipée en infrastructures routières. Du côté du Xinjiang comme du côté du Tibet, les réseaux routiers sont excellents, ce qui permet aux Chinois d’acheminer des soldats extrêmement rapidement s’ils le veulent sur cette frontière indéterminée. En plus, les Chinois ont construit des bunkers extrêmement sophistiqués, paraît-il, chauffés, c’est-à-dire que les troupes sont en parfait état de combattre si nécessaire.»

Ainsi donc, l’Inde ne serait pas en état de mener un conflit de haute intensité avec Pékin. Suite à un tel constat de faiblesse, New Delhi se serait progressivement tournée vers l’Occident.

Les Indiens «cherchent des alliés côté occidental»

Premier client de l’industrie de l’armement française depuis une dizaine d’années, avec plus de 13 milliards d’euros de commandes, l’Inde tente de moderniser tous azimuts ses équipements militaires. À l’occasion d’une visite-éclair, Florence Parly s’est rendue le 10 septembre sur la base aérienne d’Ambala (extrême nord), aux confins du Pakistan, du Cachemire et de la Chine. Le ministre des Armées accompagnait ainsi la livraison de cinq avions de chasse Rafale, dans le cadre d’une commande de 36 appareils. «Nous écrivons un nouveau chapitre des relations de défense entre l’Inde et la France», qui partagent «une amitié solide et durable», a-t-elle déclaré.

L’Inde entretient aussi, comme le rappelle Alain Lamballe, une proximité de longue date avec Moscou. Mais la Russie étant également «très proche de la Chine», il considère qu’un développement supplémentaire de leurs relations serait «délicat». «Les Indiens se considèrent agressés et ils cherchent des alliés côté occidental», justifie le spécialiste qui minimise toutefois les rapports actuels avec Washington:

«Les Indiens développent leurs relations militaires, notamment avec les États-Unis. Les États-Unis vendent du matériel militaire à l’Inde, ce qui n’était pas le cas avant […] Il ne s’agit pas d’une véritable alliance, en réalité. Il s’agit de liens qui concernent la fourniture de matériels, des exercices communs, et évidemment l’appui américain extrêmement puissant dans le domaine diplomatique.»

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Les relations personnelles entre Narendra Modi et son homologue américain sont d’ailleurs au beau fixe. On se rappelle de leur meeting géant en février 2020 en Inde, intitulé «Namaste Trump» dans un stade de cricket accueillant plus de 100.000 personnes.

Depuis Barack Obama, la Maison-Blanche a lancé la stratégie du pivot, qui vise à recentrer la politique étrangère américaine sur l’Asie, prenant en compte l’affirmation géopolitique de la puissance chinoise. Avec sa guerre commerciale, Donald Trump n’a fait que perpétuer cette tendance, avec pour objectif de contenir voire d’isoler Pékin dans la zone indo-Pacifique, notamment en mer de Chine du Sud.

C’est dans ce cadre que «les États-Unis ont tout intérêt à s’allier à l’Inde, parce qu’ils veulent contenir la Chine», conclut Alain Lamballe.

Ainsi, l’encerclement de l’Inde par la Chine pourrait bien finir par se retourner contre celle-ci.

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