L’écologie vue par la droite radicale: plongée au colloque annuel de l’Institut Iliade

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Qu’est-ce qui pousse la droite identitaire à s’intéresser à la question de l’écologie? Réponse ce samedi 19 septembre à la Maison de la Chimie, à Paris, lors du colloque annuel de l’Institut Iliade, consacré pour sa septième édition à l’écologie. Reportage.

«Depuis cinquante ans, on a laissé l’écologie politique à la gauche!», lance d’emblée François Bousquet, rédacteur en chef de la revue Éléments et cofondateur de La Nouvelle Librairie, à Paris.

Pour la septième édition de son colloque annuel, le très à droite Institut Iliade a décidé de consacrer ses débats à l’écologie. «La nature comme socle, pour une écologie à l’endroit», lit-on sur des affiches à l’esthétique soignée. Une manière de réinvestir, si ce n’est de reconquérir, le champ de l’écologie, phagocyté par la gauche d’après les différents intervenants, qui évoquent le concept d’«écologie intégrale».

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Citée et défendue par le pape François dans son encyclique Laudato Si’, publiée en 2015, cette «écologie intégrale» est un courant de l’écologisme visant à réconcilier écologie environnementale et écologie humaine. Autrement dit, il s’agit d’opérer un retour à la loi naturelle en faisant respecter un certain conservatisme bioéthique. Alors si l’Institut Iliade s’inscrit plutôt dans la tradition «folk» et néopaïenne née avec la Nouvelle droite des années 1960, les rapprochements théoriques avec les catholiques traditionalistes ne sembleraient donc plus impossibles.

À vrai dire, l’écologie n’est pas si récente à la droite de la droite: au moins depuis les années 1980, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (le GRECE), un laboratoire d’idées qui a été l’un des incubateurs de la «Nouvelle Droite», avait promu des thèses écologistes et décroissantes. Question de logique: sans doute serait-il bien difficile de promouvoir «l’enracinement» face à la mondialisation sans assise écolo.

«Écologie mondialiste délirante»

Du matin au soir, les prises de paroles se succèdent; les animateurs rappellent régulièrement l’obligation de porter le masque, «y compris» dans la salle de conférences, faute de quoi la journée pourrait s’interrompre plus tôt que prévu. Visiblement, le public semble plutôt réfractaire aux normes hygiéniques imposées par le gouvernement.

Entre deux chopes de bière bon marché dégorgées pendant la «pause méridienne», l’ennemi désigné par les différents intervenants se discerne sans peine: l’idéologie dite «libérale-libertaire». Comprendre: l’alliance du libéralisme économique et de la libération des mœurs culturelles, sur le modèle du consumérisme américain.  

«L’idéologie libérale-libertaire étend aujourd’hui ses ravages: elle arraisonne la nature et défigure sans pitié notre monde au nom de la logique marchande, tout en promouvant une écologie mondialiste délirante, déterminée à culpabiliser les Européens, pour mieux “déconstruire” leur identité et leurs traditions», annonce l’Institut Iliade.

Les chantres de cette «écologie déracinée» sont d’ailleurs bien identifiés: la droite libertarienne américaine, Tea Party et Sarah Palin en tête et, plus proche de nous, les écolos d’Europe-Ecologie-Les-Verts, qui cherchent à imposer une «vision muséale du vivant en le sanctuarisant», d’après le réquisitoire de François Bousquet. Ni gauche ni droite, l’Institut Iliade?

Suivre un tel colloque, c’est plonger dans l’univers des intellectuels identitaires. Les termes utilisés par les intervenants sont savants, pour ne pas dire parfois jargonneux, et le néophyte peut s’y perdre assez vite: «holisme», «écosophie» (à distinguer de l’écologie), «biopolitique» (Foucault), «sotériologie» (relatif au salut de l’âme), «univers orphique» (Mallarmé), «titanomachie», «principe d’entropie» (on vous invite à consulter Wikipédia pour en savoir plus), et ainsi de suite.

La pianiste russe Katerina Verbovskaya nous extirpe toutefois de certaines considérations trop sophistiquées, le temps d’un très beau récital inspiré par le thème de la nature (une ballade, un prélude et un impromptu de Chopin).

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Plus prosaïquement, c’est aussi le localisme et les traditions qui sont à l’honneur dans les discussions. Tous les intervenants s’accordent sur un point: l’écologie, ce n’est pas simplement le tri sélectif et Greta Thunberg. Ce qui est prôné, c’est ni plus ni moins qu’un retour à la Nature à travers une définition du vivant, une méfiance systématique envers le progressisme institué, voire –plus étonnant– contre le conservatisme («une valeur bourgeoise, de gauche», en tout cas pour l’universitaire et sociologue Michel Maffesoli, à distinguer de la figure du «réactionnaire»). Lequel rappelle le «principe de Gabor», du nom de ce physicien hongrois technocritique, qui postule que «tout ce qui est techniquement faisable sera réalisé nécessairement, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable».

Le diagnostic est posé, mais qu’en est-il de son application dans le champ politique? À vrai dire, la mouvance néo-droitière n’apprécie guère ce terrain, ayant depuis belle lurette emprunté à la gauche révolutionnaire le concept de «métapolitique» –gauche qui l’avait elle-même chapardé au contre-révolutionnaire Joseph de Maistre (1753-1821). La priorité de l’Institut Iliade reste donc le «combat culturel» et la «formation des cadres de la renaissance européenne», selon ses propres termes.

«Défendre notre identité en refaisant peuple»

Malgré tout, l’Institut a fait appel à deux intervenants: Hervé Juvin, eurodéputé du Rassemblement national et conseiller écologie de Marine Le Pen, et Julien Langella, cofondateur de «Génération identitaire» et animateur à l'Academia Christiana, un institut de formation politique catho-tradi. D’après ce dernier, articuler combat écologique et protection de l’identité européenne est nécessaire, tant les deux sont intimement liés:

«Il s’agit de défendre notre identité et notre liberté en refaisant peuple. Pour cela, nous devons lutter contre l’extension infinie de l’empire du marché en affirmant notre autonomie alimentaire.»

Un éloge du localisme corroboré par Hervé Juvin, qui y voit «une possibilité pour le politique de reprendre la main» contre «l’économie financière qui transforme tout en son équivalent marchand». Le député européen, chaudement applaudi par la salle après chacune de ses prises de parole, rappelle également que «les deux tiers de ce qui permet notre vie sur la planète, donc notre subsistance, ce sont des biens communs purement gratuits produits par la nature», avant de s’en prendre à la «société de droits individuels» dans laquelle nous vivons selon lui:

«Nous sommes dans une société d’individus de droits. Chaque individu est défini par les droits auxquels il postule. Résultat: tous les hommes sont identiques. C’est l’inverse de l’écologie dans son sens initial, qui suppose la diversité des écosystèmes et des cultures.»

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Identitaire et enracinée, cette lecture de l’écologie sera donc le mot d’ordre de cette journée. Henri Levavasseur, docteur en histoire et linguiste, résume en trois phrases la teneur des échanges: «L’émergence d’une culture est toujours liée à un territoire, ce qui suppose l’existence de frontières et de limites. Or l’homme est façonné par sa culture, qui informe ensuite son monde intérieur. C’est la raison pour laquelle il faut cultiver la spécificité de l’homme européen».

La préservation de l’identité européenne: c’est précisément le mantra de la Nouvelle Droite, longtemps incarnée par l’historien Dominique Venner, dont le souvenir est convoqué à de nombreuses reprises lors du colloque, puisqu’il avait demandé à ses proches de créer l’institut avant de mettre fin à ses jours devant le maître-autel de Notre-Dame de Paris, en 2013. Ainsi le rappel de la nature par cet institut est-il indissociable du «Grand Effacement» de la conscience européenne, qui s’avère selon eux la «matrice du Grand Remplacement», cher à l’écrivain controversé Renaud Camus.

«Antimoderne», l’écologie de l’institut Iliade?

Un discours sulfureux? Au milieu d’une audience acquise d’avance à la cause des intervenants, nous avons croisé par hasard un essayiste libéral. «Curieux» d’entendre ce que pensait la droite radicale, celui-ci a souhaité préserver son anonymat pour répondre à nos questions. Curieux, mais critique, celui-ci pointe du doigt les «poncifs réactionnaires» d’une droite qu’il qualifie d’«antimoderne»:

«La théorie qui voudrait que la modernité soit à l’origine de tous nos maux est à côté de la plaque: les êtres humains n’ont jamais été autant en bonne santé et l’espérance de vie est en hausse partout […] La droite antimoderne n’est jamais très loin d’une forme de technophobie en rejouant le mythe rousseauiste du paradis perdu, qui est pourtant une attitude de gauche!», lance-t-il.

Jean-Yves Le Gallou, cofondateur de l’Institut, récuse pour sa part toute approche «technophobe» au sein de l’Iliade. Il se dit en tout cas «très satisfait» de cette journée à la Maison de la Chimie, qui a réuni «environ 800 personnes» et un public «très jeune» par rapport aux autres années. Et ce, malgré les conditions sanitaires rendant «difficile» la tenue du colloque.

Quel sujet pour le prochain colloque, prévu en avril prochain? «L’économie au service des peuples», glisse M. Le Gallou. Une nouvelle manière de fixer le cap idéologique de la mouvance identitaire.

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