Présidentielle ivoirienne: la «désobéissance civile» fera-t-elle bouger les lignes?

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Pour faire barrage au Président sortant Alassane Ouattara qui brigue sous le feu de la critique un troisième mandat, l’opposition ivoirienne a appelé à la «désobéissance civile». Mais cette mesure, bien que saluée par de nombreuses organisations syndicales et de la société civile, pourrait ne pas être «productive», selon certains observateurs.

Réunis le 20 septembre au siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à la suite de l’appel à une «unité d’action» proposé par Guillaume Soro, ex-président de l’Assemblée nationale, les principaux partis d’opposition, rejoints par des mouvements de la société civile, ont appelé les Ivoiriens à la «désobéissance civile» sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Une action censée «sonner le glas pour Alassane Ouattara», qui a décidé de briguer un troisième mandat «contraire à la Constitution».

«Face à la forfaiture, un seul mot d’ordre irréversible, irrépressible: la désobéissance civile dans l’unité́ d’action et dans la bonne programmation», a déclaré l’ancien Président Henri Konan Bédié, chef du PDCI, et doyen des leaders de l’opposition.

Henri Konan Bédié n’a pas donné de détails sur les modalités pratiques de cette démarche, mais elle devrait s’articuler notamment autour de nouvelles manifestations comme il y en a déjà eu à travers le pays depuis l’annonce, le 6 août, d’Alassane Ouattara de vouloir rempiler à la tête de l’État.

Un contexte sociopolitique toujours plus tendu

Sur les 44 déclarations de candidature à l’élection présidentielle du 31 octobre transmises par la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée d’organiser les élections), le Conseil constitutionnel a annoncé le 14 septembre n’en avoir retenu que quatre.

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Il s’agit de celles d’Alassane Ouattara (78 ans, au pouvoir depuis 2011), de l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’guessan (67 ans), d’Henri Konan Bédié (86 ans, qui a dirigé le pays de 1993 à 1999) et enfin de l’ex-conseiller de ce dernier, le député Kouadio Konan Bertin (dissident du PDCI, qui se présente en indépendant).

La grande majorité des 40 candidatures écartées par le Conseil constitutionnel l’a été pour nombre insuffisant de parrainages.

En ce qui concerne l’ancien Président Laurent Gbagbo –actuellement en liberté conditionnelle en Belgique et dans l’attente d’un éventuel procès en appel devant la Cour pénale internationale (CPI)– et Guillaume Soro –qui a été l’un des grands artisans de l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara et un soutien indéfectible de sa réélection en 2015–, le rejet de leur candidature a été justifié par leur radiation en août 2020 des listes électorales, consécutive à leur condamnation par la justice ivoirienne à 20 ans de prison et à la privation de leurs droits civiques. La condamnation de l’ancien Président ivoirien est intervenue dans le cadre de l’affaire du «braquage» de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale ivoirienne, alors que Guillaume Soro a été condamné pour recel de deniers publics détournés et blanchiment de capitaux.

​Pour l’opposition ivoirienne, qui considère le rejet de la candidature de ses leaders et la validation de celle d’Alassane Ouattara comme un «coup d’État institutionnel», la «désobéissance civile s’impose».

Elle exige par ailleurs, en préalable à toute élection, le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara, la dissolution du Conseil constitutionnel pour le remplacer par une «juridiction véritablement impartiale», la dissolution de la CEI «inféodée au parti au pouvoir», l’audit international des listes électorales, la libération de tous les prisonniers politiques, civils et militaires, et le retour sécurisé de tous les exilés, dont Guillaume Soro, actuellement en France.

«Henri Konan Bédié, ainsi que toute l’opposition, a pris une décision historique que nous saluons. Elle est conforme aux revendications que porte notre collectif depuis sa création. Nous avons toujours demandé de différer la Présidentielle et d’organiser un tour de table pour mettre en place les conditions d’un scrutin transparent, crédible, inclusif et apaisé», a déclaré au micro de Sputnik Célestine Dabah, porte-parole de «Non et non ça suffit», un mouvement de la société civile né début août en contestation de la candidature d’Alassane Ouattara.

Du côté de Générations et peuples solidaires (GPS, mouvement politique fondé par Guillaume Soro), on se réjouit également de cette «dynamique» qui réunit opposition et société civile.

«Tous ensemble, nous sommes unanimes pour nous lever contre l’imposture. Une présidentielle où le Président sortant, inéligible à un troisième mandat, choisit lui-même ses adversaires, c’est tout sauf la démocratie. Chaque citoyen se doit alors de se tenir debout pour dire non à la forfaiture, non à l’exclusion de candidats, non à un scrutin truqué d’avance. Le 31 octobre, aucune élection ne saurait avoir lieu avec Alassane Ouattara candidat», a déclaré Diack Gassama, un cadre de GPS joint par Sputnik.

Il a ainsi appelé Alassane Ouattara «au dialogue, au sens de la responsabilité». «Il est encore temps de s’asseoir tous ensemble autour d’une table pour trouver des solutions idoines pour la paix. Il faut qu’il comprenne que face à toute forfaiture, le peuple ivoirien aura toujours la victoire», a-t-il ajouté.

Une unité d’action qui pourrait ne pas suffire

Malgré cet enthousiasme affiché, Sylvain Nguessan, directeur de l’Institut de stratégies d’Abidjan, interrogé par Sputnik, estime qu’«il ne faut pas rêver»: la désobéissance civile décidée par l’opposition n’empêcherait pas une possible réélection d’Alassane Ouattara. De plus, selon lui, cette décision «n’est pas tenable sur la durée».

«Faute de leaders sur le terrain pour orchestrer ce genre d’opération, cette désobéissance civile devrait vite s’essouffler», a-t-il déclaré.

Par ailleurs, même s’il doute d’une telle éventualité, Sylvain Nguessan a soutenu qu’en cas de boycott du scrutin par les trois candidats de l’opposition, le Président sortant serait réélu et «le débat basculerait de la légalité à la légitimité».

De nouvelles violences sont à craindre

Depuis la décision d’Alassane Ouattara de se porter une nouvelle fois candidat à l’élection présidentielle, la Côte d’Ivoire est en ébullition. Les manifestations contre la «candidature anticonstitutionnelle» du Président sortant ont déjà fait, depuis août, une vingtaine de morts et près de 200 blessés. Et plusieurs responsables de l’opposition et de la société civile interpellés sont actuellement détenus.

​Le pays semble basculer chaque jour un peu plus vers le pire. Un nouveau conflit armé, de l’ampleur de la crise postélectorale de 2010-2011 qui avait occasionné plus de 3.000 morts, selon le bilan officiel?

​Beaucoup d’observateurs craignent ce scénario, d’autant que le pouvoir ne fait aucun geste d’apaisement à l’endroit d’une opposition déterminée à empêcher coûte que coûte Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat.

«Nous exhortons Alassane Ouattara à faire preuve de dignité et à renoncer à son projet de violation de la Constitution pour que la Côte d’Ivoire retrouve la sérénité. En cas d’entêtement de sa part, et s’il poursuit la répression des manifestations comme il l’a fait depuis son annonce du 6 août dernier, les jours à venir seront douloureux pour notre pays et nous sommes inquiets», a lancé Célestine Dabah.

Au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, le parti au pouvoir), on considère comme «un appel à la révolte, dangereux et insensé», la désobéissance civile prônée par l’opposition.

«On aurait pu croire à une prise de conscience avec tout ce que nous avons vécu lors de la crise postélectorale, mais non, certains choisissent d’inciter les Ivoiriens à la révolte, après la décision souveraine du Conseil constitutionnel. Il faut qu’il sache qu’ils trouveront sur leur chemin les forces de l’ordre pour maintenir la sécurité et la quiétude des populations», a déclaré Joël Nguessan, cadre du RHDP joint par Sputnik.

Inébranlable, le parti d’Alassane Ouattara est déterminé à lui assurer la victoire à la Présidentielle.

«Certains parlent à Paris [en allusion à Guillaume Soro, ndlr], d’autres ici donnent des mots d’ordre, qu’ils parlent, mais nous irons aux élections. Le RHDP est déterminé à ne céder à aucune provocation parce que nous allons gagner cette élection», s’entête Adama Bictogo, directeur exécutif du parti, lors d’une rencontre avec des militants, au lendemain de l’appel à la désobéissance civile dont l’issue, quelle qu’elle soit, risque d’être décisive dans ce bras de fer de tous les dangers.
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