Au Maroc, ras-le-bol général contre la vague d’infanticides qui endeuille le pays

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Chaussures d'enfant (image d'illustration) - Sputnik Afrique
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Toujours sous le choc de l’assassinat barbare à Tanger du petit Adnane, les Marocains sont à nouveau secoués par une autre affaire de meurtre d’enfant. Cette fois, la victime est une fillette de la ville de Zagora, dans le grand sud du Maroc. Internautes et associations se mobilisent et poussent les pouvoirs publics à assumer leurs responsabilités.

Il n’avait que 10 ans, elle n’en avait que 5. Adnane Bouchouf et Naïma Arouhi, deux enfants marocains qui ont en commun la fin tragique de leur courte vie. Leurs assassinats ont été annoncés à quelques jours d’intervalle seulement.

Lundi 7 septembre dernier, Adnane a été séquestré, violé, asphyxié puis enterré dans le quartier de Bni Mkada de la ville de Tanger, située dans l’extrême nord du royaume. Quelques semaines après, la petite Naïma a été assassinée dans des circonstances non encore élucidées dans la commune rurale de Mezguita, dans la province de Zagora au sud du pays. Comme c’était le cas pour Adnane, le corps inerte de la petite Naïma a été, lui aussi, retrouvé tout près la maison familiale.

Une onde de choc

Ces découvertes macabres ont créé une véritable onde de choc au Maroc. À l’émotion s’ajoute l’effroi, puis l’indignation. Surtout qu’en parallèle de la capture des tueurs présumés du petit Adnane et de la petite Naïma, les tristes nouvelles de nouveaux cas de pédocriminalité et d’infanticide se sont succédé ces dernières semaines dans le royaume.

La dernière affaire en date remonte au mardi 29 septembre, quand la chambre criminelle près la cour d’appel de Tanger a condamné à la peine capitale un couple accusé d'homicide volontaire à l'arme blanche et de mutilation du cadavre du petit Mohamed Ali, âgé d’à peine de sept ans. Ce nouveau drame s’ajoute à la lugubre liste déjà longue des très jeunes victimes de meurtre du pays et fait craindre le pire. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les internautes qui crient au scandale en s’indignant face à l’impassibilité et l’immobilisme du gouvernement. Certains parlent d’explosion du phénomène.

​D’autres s’insurgent contre «l'indifférence des autorités publiques» face aux infanticides et viols d’enfants en série.

Partageant cette colère, les associations qui combattent ce fléau au Maroc tirent elles aussi la sonnette d’alarme. Ces ONG notent la multiplication à vue d’œil des cas d’infanticide à travers le pays. Leurs militants dénoncent le laxisme et l’opacité qui entourent le phénomène en le qualifiant de «catastrophe occultée». Parmi les revendications prioritaires exprimées, la mise en place d’un dispositif d’urgence de protection des enfants.

Élaborer un Code de l'enfant

«Le royaume ne dispose toujours pas d’un "Code de l’enfant"», signalait déjà l’Unicef il y a cinq ans. Ce texte est toujours inexistant, même si son élaboration avait pourtant été proposée dès 2003. Les autorités se sont contentées de ne lancer que des «réponses fragmentées» à travers des initiatives ou des programmes que les ONG jugent parcellaires. Le code tant attendu pourrait pourtant permettre d’encadrer et de coordonner l’ensemble des mesures mises en place pour contrer la calamité des agressions, viols et meurtres visant des enfants à l’échelle de tout le pays.

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Interrogée par Sputnik, la militante des droits des enfants et présidente de l’association «Touche pas à mon enfant» Najat Anwar se dit scandalisée par la non-reconnaissance par les autorités marocaines de ce phénomène en tant que problème grave de sécurité publique. «Durant nos 16 années d’activité sur le terrain, nous avons noté malheureusement une hausse alarmante de ce fléau. Depuis la création de notre association en 2004, nous ne cessons de répéter à qui veut l’entendre que la situation des crimes contre l’enfance marocaine est gravissime, qu’il faut agir et vite à travers des actions concrètes. Nous avons même écrit au chef du gouvernement, en vain. Nous sommes aujourd’hui en 2020 et ces tragédies perdurent», s’indigne-t-elle.

«Il ne faut surtout pas voir les abominables crimes qui ont coûté la vie à Adnane et à Naïma comme des cas isolés, mais plutôt comme faisant partie d’un phénomène social grave. Ces enfants sont partis trop tôt à cause du manque de conscience collective et de l'incompétence de l'État marocain en matière de protection de nos enfants», déplore-t-elle.

Au Maroc, les données chiffrées sur les infanticides sont rares. Les seules statistiques officielles disponibles sont celles données par le ministère de la Justice et ne concernent que les poursuites. Dans son rapport de 2017, ce département indique que 57 cas d’infanticide ont été déclarés cette année-là dans le royaume. Un bilan qui date, mais qui est néanmoins révélateur.

Créer un dispositif Alerte-Enlèvement

Pour Najat Anwar, il devient vital aujourd'hui plus que jamais de prévenir ces crimes qui mettent en péril la vie d’innocents citoyens. «Cela passe par un travail de longue haleine qui intègre la sensibilisation des enfants eux-mêmes à ce danger, l’application stricte des lois existantes, l’harmonisation de ces mêmes textes avec les conventions internationales, la coordination intersectorielle entre la société civile et les institutions gouvernementales», détaille-t-elle. 

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La présidente de «Touche pas à mon enfant» insiste également sur la mise en place d'un Code de l’enfant, la réforme éducative devant inclure l'éducation sexuelle et la rupture avec les tabous.

Toujours selon la militante associative, d’autres dispositifs simples, peu coûteux et facilement applicables peuvent eux aussi sauver des vies:

«Nous appelons à l’activation du système Alerte-Enlèvement qui pourrait porter symboliquement le nom de ‘Adnane Alerte’, en mémoire de ce petit martyr de la pédocriminalité et de l’infanticide. Le concept est simple, après le signalement de disparition d’un mineur, le procureur du roi aurait la possibilité, avec l'accord de la famille bien sûr, de demander aux médias, aux opérateurs téléphoniques ou aux sociétés d’affichage urbain de diffuser en continu ou à intervalles réguliers le signalement des enfants disparus. Le tout avec les informations nécessaires à l'identification de la victime: âge, taille et apparence de l’enfant, les vêtements qu’il portait lors de sa disparition…»

Elle poursuit: «L’activation de cet outil pourrait nous éviter de nous retrouver avec de longues périodes de recherche qui finissent par l’horrible découverte de la dépouille des enfants disparus. Dans le cas d’Adnane, on a retrouvé le garçon sept jours après sa disparition. Pire, pour la petite Naïma, c’était au bout de quarante-deux jours.»

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Najat Anwar donne l'exemple de la France où le dispositif a été inspiré par le plan «Amber Alert». Créé au Texas en 1996 puis élargi au reste des États-Unis, cet outil a été adopté en 2006. «96% des enfants ont été retrouvés vivants grâce à ce système qui marche très bien en Europe et en Amérique du Nord. Pourquoi ne pas faire de même chez nous, nos enfants ne le méritent-ils pas?», s’insurge-t-elle.

Des cris de colère comme celui de Najat Anwar pleuvent partout sur les réseaux sociaux. La protection des enfants est à la tête des tendances au Maroc et les journaux suivent le mouvement. La mobilisation est telle que le ministre marocain chargé des Droits de l’Homme et des relations avec le Parlement, Mustapha Ramid, a réagi sur sa page Facebook. Le soir même de la découverte du cadavre de la petite Naïma, il a indiqué que son département suivait les affaires de «crimes graves et odieux commis récemment contre des enfants, qui ont fortement choqué l’opinion publique et ont suscité des vagues d’indignation».

Voulant calmer les esprits, il a annoncé que son département tiendrait prochainement «une série de consultations sur le sujet avec les différents secteurs gouvernementaux, les institutions et les organes spécialisés pour étudier le bilan en matière de protection des droits de l’enfance». Cette promesse, sans réelle portée, n’a fait qu’attiser la colère des commentateurs et des ONG comme «Touche pas à mon enfant». Tous jugent la réponse ministérielle «décevante», voire «insensée».

«On dirait que ces responsables vivent dans une autre planète. De quel bilan veulent-ils débattre? Est-ce celui du chiffre effarant de nos enfants violés et tués ou celui des quelques actions timides menées qui ne protègent nullement ces petits? Et est-ce vraiment le moment de débattre? Nous réclamons des actions concrètes, des décisions cruciales et non pas des paroles en l’air. Nous avons trop tardé et nos enfants en paient le prix avec leur innocence et parfois avec leur vie», proteste-t-elle.

Dans ce contexte bouillonnant, l’Observatoire national des droits de l’enfant (ONDE), institution chargée du suivi de la mise en œuvre de la Convention des Nations unies pour les droits de l’enfant en vue de promouvoir la protection de l’enfant au Maroc, a annoncé une nouvelle série d’actions de prévention et de lutte contre les violences faites aux enfants, avec un focus sur les abus sexuels.

L’ONDE va appuyer des organisations de la société civile aux niveaux national et local en «leur fournissant des moyens techniques et financiers s’élevant à près d’un million de dirhams (plus de 90.000 euros) en vue de mener des programmes de sensibilisation ciblant les enfants et leur famille pour ancrer la culture des droits de l’enfant et encourager la culture de prévention et de dénonciation».

Faire de l'enfant une ligne rouge

Dans le cadre cette même initiative, l’Observatoire a renforcé ses partenariats avec les CHU afin d’améliorer l’accompagnement et la prise en charge médicale et psychologique des petites victimes. Dans la foulée, des sessions de formation ont été annoncées au profit des enfants eux-mêmes et des acteurs institutionnels et associatifs, avec la création de commissions ad hoc régionales composées d’enfants parlementaires pour assurer le suivi-évaluation de la situation de l’enfance.

«Nous avons besoin d’un changement radical et positif au niveau de la définition et du statut de l’enfant. Un saut qualitatif au niveau sociétal et institutionnel s’impose pour faire de l’enfant une ligne rouge et instituer le caractère sacré de la protection de l’enfance pouren faire une responsabilité partagée», souligne Lamia Bazir, la directrice exécutive de l’ONDE, citée dans un communiqué dont Sputnik détient copie.

Adhérant à la «nouvelle dynamique» lancée par cet observatoire, présidé par Lalla Meryem, sœur du roi Mohammed VI, les ONG concernées réclament aussi et surtout des actions d’urgence de la part du gouvernement pour sauver les petits. Sauf que l’exécutif semble être totalement pris par la lutte contre le Covid-19 qui continue à tuer les grands. 

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