IVG à 14 semaines: «ce projet de loi est dangereux et n’améliorera pas l’accès à l’IVG en France»

© Photo congerdesign / PixabayFemme. Grossesse. Image d'illustration
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102 voix pour, 65 voix contre. Malgré l’opposition des gynécologues et l’embarras de l’exécutif, l’Assemblée nationale a adopté à une large majorité l’allongement du délai légal pour recourir à l’IVG. Le président du SYNGOF, un syndicat français de gynécologues, fait part de ses réserves à Sputnik.

Une adoption au pas de charge: le 8 octobre, après une journée de débats, l’Assemblée nationale a voté en première lecture l’allongement à 14 semaines du délai légal pour recourir à l’IVG.

Les 102 députés qui ont voté pour (65 voix contre) l’ont fait au nom des droits des femmes, mais en dépit de l’opposition du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) et de l’absence d’analyse du Comité consultatif national d’éthique, qui n’a pas encore fourni son analyse.

Bertrand de Rochambeau, médecin gynécologue-obstétricien et président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (SYNGOF), livre à Sputnik des éléments d’analyse de cette réforme.

Conséquences médicales

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Pour le docteur, le changement s’opère à plusieurs niveaux: jusqu’à 12 semaines de grossesse, on parle d’un embryon, «à 12 semaines, cela devient un fœtus». Et ce changement de dénomination «correspond à une grosse poussée de croissance: le fœtus est un être vivant qui a commencé à se calcifier: son crâne, ses bras, ses membres, le thorax». Ainsi, un médecin qui devrait pratiquer une IVG après la 12e semaine serait-il obligé de réaliser une «dilacération fœtale».

«Pour interrompre la grossesse, il va falloir broyer le fœtus pour le sortir par un orifice le plus fin possible. Parce que si on dilate trop l’utérus, il va rester des séquelles à la mère, qui aura ainsi une béance au col et va être exposée pour ses futures grossesses à plus d’accouchements prématurés, voire de fausses couches tardives», explique Bertrand de Rochambeau.

Ainsi, sur le plan technique «la taille de fœtus change tout». Par conséquent, le médecin doit avoir «une certaine expérience, parce que le risque de ne pas tout retirer existe». Cette délicate opération nécessite un contrôle échographique et les risques pour la santé de la mère sont multiples. D’abord, le «risque de déchirer l’utérus». Aussi, celui de provoquer des complications hémorragiques qui «peuvent être gravissimes». Et par ailleurs, celui «d’une infection ou une hémorragie secondaire chez la mère, trois mois après», si on «laisse des débris». En effet, à mesure que l’IVG est retardée, les dangers s’accentuent:

«Ces risques de complications sont plus fréquents entre 12 et 14 semaines de grossesse qu’entre 10 et 12 semaines, qui sont à leur tour plus fréquents qu’entre 8 et 10 semaines», insiste le médecin gynécologue.

Ainsi, une IVG plus tardive nécessite-t-elle «une technicité supplémentaire». Des compétences qui existent bien sûr, puisque des interruptions médicales de grossesse (IMG) sont réalisées sur des cas de grossesses encore plus tardives, mais dans certains centres seulement.

Conséquences organisationnelles

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Bertrand de Rochambeau rappelle que les médecins qui pratiquent l’IMG «sont en accord avec cette pratique, sont formés et ont de l’expérience». Depuis la Loi Aubry-Guigou adoptée en 2001, un service d’orthogénie (qui assure les IVG en France) doit être présent dans chaque hôpital public qui dispose d’une maternité. L’adoption de la loi sur l’allongement du délai légal du recours à l’avortement pourrait bien contraindre à l’ouverture de «ce service» dans tous les hôpitaux publics.

«Déjà aujourd’hui –et c’est une cause du mauvais accès à l’IVG sur le territoire français– tous les hôpitaux publics n’offrent pas ces services d’IVG jusqu’à 12 semaines. Alors qu’à cause de l’absence de médecins, on n’est pas capables de le faire jusqu’à 12 semaines, on veut allonger encore [le délai, ndlr] et le passer à 14?» s’interroge Bertrand de Rochambeau.

Le médecin gynécologue assure qu’une telle mesure législative «n’améliorera pas l’accès à l’IVG pour la majorité des patientes». «Plutôt que d’allonger le délai légal, donnons les moyens aux hôpitaux de gérer toutes les IVG comme des urgences. […] Augmenter le délai légal parce que l’on n’a pas été capables de recevoir les femmes au moment de leur demande, est-ce améliorer les droits des femmes?» mentionne par ailleurs le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français dans un communiqué.

«Ce projet de loi est dangereux et n’améliorera pas l’accès à l’IVG en France. Au contraire, il va l’altérer», assure le gynécologue, qui explique pourquoi: «nos confrères qui aujourd’hui acceptent de le faire, parce qu’on le leur impose de le faire à 14, vont se retirer. Et ça va être encore plus difficile.»

Les menaces sur la clause de conscience font en effet craindre le pire aux médecins. Dans le communiqué de presse du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, la conclusion est claire: «Les mesures soumises au vote, y compris la modification de la clause de conscience pour l’IVG […] visent à un affichage politique qui serait acceptable s’il ne comportait pas un risque majeur de déstabiliser un système de soins qu’on pourrait par ailleurs aisément améliorer.»

Conséquences éthiques

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À son tour, notre interlocuteur rappelle qu’aujourd’hui, les médecins peuvent «se retirer, parce qu’ils ont la clause de conscience pour eux»; par conséquent, les «parlementaires qui proposent cette loi veulent abolir la clause de conscience pour contraindre les médecins.» Il cite «les rapports parlementaires» qui appellent à «contraindre les médecins» à pratiquer l’IVG jusqu’à 14 semaines partout sur le territoire au nom de l’«égalité d’accès aux soins».

«Ce raisonnement fait qu’ils veulent aussi abolir la clause de conscience. Nous, bien entendu, y sommes fermement opposés», martèle Bertrand de Rochambeau.

Il existe en France une clause de conscience générale pour tout acte médical (article R4127-47 du Code de la Santé publique), à laquelle s’ajoute une clause de conscience spécifique pour certains actes médicaux, dont l’avortement. Le médecin gynécologue rappelle que la clause générale s’applique à l’exception de deux situations: les cas d’urgence et ceux où le médecin manquerait à son «devoir d’humanité»:

«Une femme qui se présente pour une IVG juste la veille de son délai, ça devient une urgence. Alors, le médecin est contraint de pratiquer l’IVG, même si ses convictions le lui interdisent. Une femme qui vient le voir pour demander une IVG parce que sa grossesse la met en détresse, on pourrait reprocher au médecin qui la refuserait au nom de la clause de conscience un manque d’humanité vis-à-vis de cette patiente», explique Bertrand de Rochambeau.

Le gynécologue considère que la clause de conscience spécifique devrait être maintenue, «parce que si on contraint les médecins, les sages-femmes, on crée la maltraitance des femmes

La veille du vote, l’IFOP publie un sondage

45 ans après la Loi Veil, l’opinion publique reste inquiète quant aux conséquences de cet acte, comme en témoigne un sondage sur «les Français et l’IVG», commandé à l’IFOP par l’association pro-vie et opposée à l’avortement Alliance Vita, réalisé du 30 septembre au 1er octobre 2020. D’après ce sondage, 92% des personnes interrogées considèrent qu’«un avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes». En septembre 2016, ils étaient 89% à le penser. De surcroît, près de trois quarts des sondés (73% en 2020 et 72% en 2016) jugent que «la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse».

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