«Pour que le monde le sache!», le retentissant tir de sommation de l’opposition ivoirienne

© Sputnik . Roland KlohiMobilisation en faveur de la candidature de Laurent Gbagbo pour l'élection présidentielle ivoirienne
Mobilisation en faveur de la candidature de Laurent Gbagbo pour l'élection présidentielle ivoirienne - Sputnik Afrique
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Pour réaffirmer leur rejet de la candidature d’Alassane Ouattara et exiger une présidentielle inclusive, transparente et crédible, les partis de l’opposition ivoirienne organisent ce 10 octobre un grand meeting à Abidjan. Une démonstration de force souhaitée par tous, avec pour enjeu la prise de leadership de l’opposition.

«Tous au stade Félix Houphouët Boigny le samedi 10 octobre», tel est le mot d’ordre martelé en boucle sur les réseaux sociaux par les partis de l’opposition qui souhaitent «une grande mobilisation pour que le monde entier sache que le troisième mandat d'Alassane Ouattara ne peut pas se faire en Côte d'Ivoire», comme l'a indiqué Assoa Adou, secrétaire général du Front populaire ivoirien, le parti de Laurent Gbagbo.

Le pouvoir ivoirien semble imperturbable. Le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani, porte-parole du parti au pouvoir, a déclaré au média local Koaci.com qu'il n'y a «aucun inconvénient» à ce que l'opposition se réunisse au stade FHB où les pro-Ouattara ont organisé eux-mêmes la convention d'investiture du candidat Président, le 22 août 2020.

Ce meeting sonne comme le premier acte fort qu’entend poser, depuis son appel à la désobéissance civile le 20 septembre dernier, une opposition ivoirienne qui, en préalable à toute élection, exige le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara, la dissolution du Conseil constitutionnel pour le remplacer par une «juridiction véritablement impartiale», la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée d’organiser les élections) «inféodée au parti au pouvoir», l’audit international des listes électorales, la libération de tous les prisonniers politiques, civils et militaires, et le retour sécurisé de tous les exilés.

Désobéissance civile et leadership de l’opposition sous-jacents

Le 20 septembre, les principaux partis d’opposition, avec à leurs côtés des mouvements de la société civile, ont appelé les Ivoiriens à la désobéissance civile sur toute l’étendue du territoire. Une action –qui se veut «redoutable et irrépressible», mais avant tout «non violente et pacifique»– censée «sonner le glas pour Alassane Ouattara» qui a décidé de briguer un troisième mandat «contraire à la Constitution».

La décision de cette opération intervient après que le Conseil constitutionnel a annoncé le 14 septembre n’avoir retenu, pour l’élection présidentielle du 31 octobre, que quatre candidatures sur les 44 transmises par la CEI.

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Ces candidatures sont celles d’Alassane Ouattara (78 ans, au pouvoir depuis 2011), de l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’guessan (67 ans, président légal mais contesté du FPI, le parti fondé par l’ex-Président Laurent Gbagbo), d’Henri Konan Bédié (86 ans, qui a dirigé le pays de 1993 à 1999) et enfin de l’ex-conseiller de ce dernier, le député Kouadio Konan Bertin (dissident du PDCI –le parti de Bédié– et qui se présente en indépendant).

Parmi les 40 dossiers écartés par le Conseil constitutionnel figurent ceux de l’ancien Président Laurent Gbagbo (2000-2010) et de l’ex-président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro. Le premier est actuellement en liberté conditionnelle en Belgique et dans l’attente d’un éventuel procès en appel devant la Cour pénale internationale (CPI). Quant au second, grand artisan de l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara et soutien indéfectible de sa réélection en 2015, il est en exil en Europe.

Une réélection possible d'Alassane Ouattara

Le rejet de leur candidature a été justifié par leur radiation en août 2020 des listes électorales, consécutive à leur condamnation par la justice ivoirienne à 20 ans de prison et à la privation de leurs droits civiques. La condamnation de Laurent Gbagbo est intervenue dans le cadre de l’affaire du «braquage» de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale ivoirienne, alors que Guillaume Soro a été condamné pour recel de deniers publics détournés et blanchiment de capitaux.

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Pour l’heure, la désobéissance civile annoncée en grande pompe tarde à avoir un réel impact sur la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire. Déjà fin septembre, Sylvain Nguessan, directeur de l’Institut de stratégies d’Abidjan, prévenait au micro de Sputnik: «Il ne faut pas rêver, faute de leaders sur le terrain pour l’orchestrer, cette désobéissance civile n’est pas tenable sur la durée, elle devrait vite s’essouffler.» L’analyste politique a également ajouté que l’opération n’empêcherait pas une possible réélection d’Alassane Ouattara.

Khaza Kakry, secrétaire à la coordination de la branche pro-Gbagbo du FPI, n’en a cure. «Ce 10 octobre, c'est unis que les partis l'opposition diront non au troisième mandat d'Alassane Ouattara. Cette date va marquer le début des actions de la désobéissance civile lancée par l'opposition. La crise que traverse notre pays est entrée dans une phase très critique et nous ne voulons pas nous laisser distraire. Rien ne pourra nous détourner de notre objectif», a-t-il déclaré à Sputnik.

Interrogé par Sputnik, le politologue Diensia Oris-Armel Bonhoulou est formel: «Lors du meeting du 10 octobre, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N'Guessan auront un objectif commun qui s’articulera autour de la lutte pour le leadership de l'opposition dans une logique de crise électorale.»

«Ce rapprochement soudain d'Affi N'Guessan avec le reste de l'opposition, alors qu'il avait été écarté par le Président Henri Konan Bédié, dévoile les intentions des deux hommes. Rejeté par les pro-Gbagbo, Affi N'Guessan tient à réduire l'influence du candidat du PDCI sur l'ensemble de l'opposition. Il semble être dans une stratégie de conquête de l'électorat pro-Gbagbo actuellement favorable à Bédié au cas où l’élection se déroule effectivement le 31 octobre», a déclaré le politologue.

Il est d’avis qu’un boycott de la présidentielle, contrairement à ce que pensent certains, n’est pas à l’ordre du jour pour Henri Konan Bédié et a fortiori pour Pascal Affi Nguessan.

De son côté, Kouadio Konan Bertin, l'autre candidat, toujours droit dans ses bottes, s’achemine résolument vers le scrutin, en marge du mouvement initié par l’opposition.

Pourquoi Bédié ne devrait pas boycotter la présidentielle

Diensia Oris-Armel Bonhoulou avance trois raisons pour lesquelles Henri Konan Bédié ne devrait pas se retirer de la course à la présidentielle.

Il y a d’abord son expérience d'ancien chef d'État.

«Bédié sait pertinemment que le boycott n'a jamais été une stratégie efficace dans l'histoire électorale de la Côte d'Ivoire. En 1995, il avait réussi à se faire élire dans une situation similaire, face au boycott actif du Front républicain (alliance entre le Front populaire de Laurent Gbagbo et le Rassemblement des républicains, qui soutenait la candidature d’Alassane Ouattara face à Bédié) qui avait tenté d'empêcher le déroulement de l’élection. De plus, la Constitution de 2016 a permis au président Alassane Ouattara de fixer lui-même les conditions du scrutin, comme ce fut le cas sous la présidence de Konan Bédié», a expliqué Diensia Oris-Armel Bonhoulou.

La deuxième raison repose sur la longue absence du PDCI de Bédié de la compétition électorale (la formation n’a plus participé à un scrutin présidentiel depuis 2010).

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«La base du PDCI n'acceptera certainement plus une nouvelle absence de leur champion dans la course à la présidentielle», précise Diensia Oris-Armel Bonhoulou. La dernière raison, selon le politologue, est que Henri Konan Bédié cherche à se placer à la tête de l'opposition, dans son rapport de force avec Alassane Ouattara, «soit dans un scrutin électoral face au Président sortant, soit dans une perspective de crise électorale». En effet, abonde-t-il, «les crises électorales on le sait peuvent se manifester avant, pendant et après le déroulement du scrutin. Et seul le maintien de sa candidature permet à Bédié d'élaborer sa stratégie sur les trois cas de figure», a-t-il souligné.

Pour Diensia Oris-Armel Bonhoulou, en l’état actuel des choses, Alassane Ouattara demeure en position de force face à l’opposition, «à moins que l'armée ne se manifeste, finalement, en faveur de cette dernière».

«Dans l'histoire de la Côte d’Ivoire, les alternances de 2000 et de 2010 ont été acquises grâce au soutien de l'armée», a-t-il conclu.
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