ADP: «Poursuivre ce processus de privatisation, c’est être aveugle sur la situation»

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La crise sanitaire continue son travail de sape de l’économie française. Entre une hausse des contaminations et un tourisme international à l’arrêt, le groupe Aéroports de Paris prévoit une très forte baisse du trafic à Paris. Ces estimations pourraient-elles entraîner une vague de licenciements et enterrer la privatisation d’ADP?

Une situation morose. Après les compagnies aériennes, ce sont les gestionnaires d’aéroports qui sont dans le rouge. Ce vendredi 23 octobre, le groupe ADP a estimé que le recul du trafic pour l’année 2020 pourrait atteindre 70% à Paris. «La recrudescence de l’épidémie en France et en Europe nous amène à revoir à la baisse nos hypothèses de trafic pour Paris Aéroport en 2020 de -63% à une fourchette comprise entre -65% et -70% par rapport à 2019», a indiqué Augustin de Romanet, président-directeur général d’Aéroports de Paris, dans un communiqué.

Pis, le trafic dans les hubs parisiens ne pourrait revenir au niveau de 2019 qu’à l’horizon 2024-2027. Des prévisions qui devraient se traduire par une chute du chiffre d’affaires consolidé du groupe à hauteur de 2,3 et 2,6 milliards d’euros pour l’année 2020, ainsi que la probable fermeture de «certaines infrastructures à Paris-Orly et Paris-Charles-de-Gaulle», a indiqué Philippe Pascal, le directeur financier du groupe. Ces éléments inquiètent-ils les syndicats déjà en proie aux doutes face aux orientations stratégiques d’ADP?

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Interrogé par Sputnik, Daniel Bertone, secrétaire général de la CGT, souligne que «malheureusement, on connaissait déjà ces résultats pour l’année 2020». Selon lui, le plus inquiétant est la «situation qui semble se dégrader» alors que les employés s’attendaient à un «scénario d’amélioration à partir de septembre, notamment avec le retour des vols internationaux». Une reprise qui n’a pas eu lieu. En effet, par rapport à l’année 2019, le trafic des deux aéroports parisiens n’a atteint que 25%, soit 2,4 millions de passagers.

Ce maigre bilan pourrait-il générer des licenciements? Étant donné que des emprunts ont été réalisés, «on a encore une trésorerie qui donne une visibilité jusqu’à l’année prochaine, à l’été 2021», nuance Daniel Bertone. Néanmoins, un vaste plan d’économies, dont des suppressions de postes sous la forme de «départs volontaires», est déjà envisagé. Depuis le début de la crise sanitaire, ADP a en effet perdu plus de 2,5 milliards d’euros.

Plan d’économies «lourd»

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Pour tenter de limiter la casse, le gestionnaire des aéroports parisiens et d’une vingtaine d’autres dans le monde a présenté en juillet dernier ses «orientations stratégiques» aux syndicats. Les négociations se sont terminées cette semaine, les employés ont désormais jusqu’à novembre prochain pour donner leur réponse. Ce plan, composé de trois accords notamment sur l’activité partielle de longue durée (APLD), la réduction des effectifs via une rupture conventionnelle collective (RCC) et enfin un accord de performance collective (APC), doit permettre au groupe de réduire les charges courantes afin de «renouer avec une croissance rentable et durable».

«Si les accords sont signés, le nombre potentiel de départs volontaires est fixé à 1.150 (sur un effectif total de 6.300 personnes), il y aurait 700 postes qui ne seraient pas remplacés,  donc 11% de l’effectif. Pour les 450 restants, la direction s’engage à les pourvoir», détaille Daniel Bertone.

Le syndicaliste déplore que si effectivement des «licenciements au sens juridique du terme» ne sont pas prévus, l’accord de performance collective escompte un «plan d’économies assez lourd». Et pour cause, celui-ci «attaque des éléments de rémunération des salariés comme l’avancement, les indemnités kilométriques, la variable des cadres ou encore la prime vacances», énumère le secrétaire général de la CGT.

«Selon les situations, pour l’année 2021, l’impact sur les salaires est de 4% à 8%. C’est l’effort qui est demandé aux salariés pour 2021, 2022 et 2023. On estime qu’entre les départs et les mesures salariales, cela représente plus de la moitié de l’effort qui est demandé sur l’économie des charges courantes», fustige Daniel Bertone.

L’autre point qui inquiète le syndicaliste concernant ces prévisions est le ralentissement du secteur développement d’ADP, et notamment de l’ingénierie. D’autant que la dette est «actuellement de 9 milliards nets» et «devrait s’accentuer», affirme Daniel Bertone.

La privatisation d’ADP remise en question

Cette explosion de la dette pourrait avoir des conséquences sur le financement des investissements à venir: «Une grosse partie du personnel constitue le secteur du développement d’ADP. S’il y a un arrêt des projets sur les plateformes, cela remet en cause une grande partie de notre modèle», redoute le représentant du personnel.

«Et là, on a un véritable souci pour le maintien des emplois et ce que l’on fera dans le futur. C’est une vraie question qui se pose aujourd’hui.»

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Du côté de l’État, cette crise sanitaire semble infléchir la position du gouvernement concernant la volonté de privatiser ADP. Bruno Le Maire a déclaré dans une interview donnée au Figaro que «les conditions économiques ne sont pas réunies. Et ma seule priorité est l’avenir économique des Français». Or, si la privatisation devait avoir lieu, celle-ci n’interviendrait «probablement pas» avant la fin du quinquennat.

«Vu la situation de l’entreprise et le cours de l’action, elle n’est pas privatisable en l’état, ils n’ont donc aucun intérêt à le faire. Mais ils sont toujours sur le même schéma économique. On a l’impression que la crise ne remet pas en cause l’idéologie qu’ils avaient développée au moment de leur décision», partage le syndicaliste.

«Aujourd’hui, on constate que c’est un secteur stratégique qui est certes fortement touché par la crise, mais dont dépendent beaucoup de secteurs économiques autour de l’aéronautique avec en plus un impact sur nos échanges internationaux», poursuit-il.

«Poursuivre ce processus de privatisation, c’est être aveugle sur la situation que l’on est en train de vivre», tonne Daniel Bertone.

Seul motif de satisfaction: l’engagement de l’État, en tant qu’actionnaire majoritaire, de se prononcer contre les versements de dividendes pour les exercices 2020 et 2021, dans le cadre des accords, sous réserve de signature. Une revendication formulée par plusieurs centaines de salariés du groupe lors d’une manifestation qui s’est tenue le 9 octobre dernier devant le ministère de l’Économie.

«Après, cela n’engage pas l’État à grand-chose puisque tel que c’est parti, il ne devrait pas y avoir pas de bénéfices en 2021. On pensait être à l’équilibre ou dégager un petit peu de profit, mais à mon avis, c’est encore un scénario de perte qui s’annonce», conclut Daniel Bertone.
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