Convention citoyenne sur le Covid-19, un remède à la crise de confiance dans la gestion de l’épidémie?

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Manifestation interprofessionnelle à l'appel des syndicats à Paris, 17 septembre 2020 - Sputnik Afrique
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Alors que les mesures sanitaires se durcissent, certains Français s’interrogent sur la gestion étatique de l’épidémie. Pour tenter de réduire cette défiance, François Ruffin propose la création d’une convention citoyenne sur le coronavirus. Le politologue Yves Sintomer passe en revue pour Sputnik les possibles effets d’un tel mécanisme.

Consulter les Français pour mieux gérer la crise sanitaire. C’est l’idée de François Ruffin. Dans une interview donnée au HuffPost, le député LFI de la Somme a évoqué la possibilité de créer une convention citoyenne sur le coronavirus. Selon lui, cet outil démocratique permettrait à la société civile de s’exprimer afin d’éviter que le Président de la République ne gouverne de manière «solitaire».

«On est dans l’ignorance sur l’état des stocks, des médicaments et du matériel. Je ne soutiens pas la méthode d’un homme seul à l’Élysée, qui ne consulte même plus son Conseil scientifique et qui “dévoile” des mesures soudaines venues d’en haut», a-t-il avancé.

Le rédacteur en chef de la revue Fakir a également argué du fait qu’il est nécessaire de mettre en place «un suivi régulier avec le Conseil scientifique, des épidémiologistes, des universitaires et un conseil social autour de chacune des mesures qui sont prises (le couvre-feu, le télétravail, le confinement ou autre).»

Une gestion de crise qui préoccupe des Français

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Des mesures anti-coronavirus, qui bien qu’impopulaires, restent malgré tout très suivies. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a d’ailleurs assuré que «le couvre-feu est très bien respecté là où on l’a décidé». Mais cela n’empêche que bon nombre de Français sont inquiets de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement. Ainsi, un sondage BFMTV, réalisé par l’institut Elabe, les 24 et 25 septembre dernier, montre que 65% des Français ne font pas confiance aux autorités pour lutter efficacement contre l’épidémie. Une situation dénoncée à l’Assemblée nationale par Boris Vallaud, député PS de la 3e circonscription des Landes, qui affirme que «Les Français sont inquiets de l’épidémie, mais ils le sont aussi des tergiversations dans la gestion de la crise.»

​La convention citoyenne pour le coronavirus pourrait-elle alors réduire la défiance des citoyens envers le gouvernement? Interrogé par Sputnik, Yves Sintomer, professeur de science politique à l’Université Paris VIII et auteur notamment de Petite histoire de l’expérimentation démocratique (Éd. La Découverte), estime que cela serait un «instrument démocratique fort», qui permettrait aux citoyens de «participer à une prise de décision capitale qui les concerne directement.»

«Jusqu’à présent, c’est tranché dans des cercles extrêmement étroits. D’après la presse, on sait même que certaines décisions sont prises quasiment par une seule personne: le Président de la République», souligne Yves Sintomer.

Le fait même qu’une telle proposition soit évoquée n’est-il pas le symptôme évident d’une défiance croissante des Français en leurs institutions?

Dévalorisation de la parole publique

Comme l’explique le professeur, on assiste d’une part «à une crise structurelle de la légitimité de la démocratie représentative en France». Et d’autre part, cette crise est renforcée «par une dévalorisation de la parole publique» directement «liée à la gestion du coronavirus».

«Cela renforce effectivement la méfiance par rapport à l’action gouvernementale. Dans une période comme celle que nous vivons, c’est très dangereux. En effet, si les comportements individuels ne sont pas positifs quant à la lutte contre la pandémie, la crise sanitaire ne pourra que s’accentuer.»

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Plusieurs éléments traduisent cette méfiance: les plaintes déposées contre l’État. Depuis l’épidémie de coronavirus, 90 plaintes ont été adressées à la Cour de Justice de la République (CJR). Néanmoins, seules neuf d’entre elles ont été jugées recevables. Elles visaient Olivier Véran, Édouard Philippe, Agnès Buzyn et Sibeth Ndiaye. Des perquisitions ont d’ailleurs eu lieu le 15 octobre au domicile d’Olivier Véran, ministre de la Santé, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en juillet par la CJR pour «abstention de combattre un sinistre». En outre, le collectif Victimes Coronavirus France, qui réunit 200 personnes, a également porté plainte au CJR en septembre contre Jean Castex, estimant que l’exécutif continuait de «naviguer à vue» face à l’épidémie.

Yves Sintomer rappelle qu’il y a eu déjà par le passé ce type d’action contre le gouvernement, notamment au moment de l’affaire du sang contaminé. «Mais à l’époque, la responsabilité de Laurent Fabius [ancien premier ministre entre 1984 et 1986, ndlr] était peut-être plus indirecte finalement que la responsabilité du gouvernement actuel», note le politologue.

«Cette défiance s’exprime dans les tribunaux. Je crois d’ailleurs que c’est positif: il n’y a pas qu’un canal qui permette de régler les choses. Il y a aussi les élections, bien sûr, mais le fait que la question soit débattue en tribunal est une bonne chose.»

«Cependant, un débat citoyen de type assemblée citoyenne ou convention citoyenne serait également très bienvenu», souligne Yves Sintomer. Pourtant, à l’image de la convention citoyenne sur le climat, rien n’indique que le gouvernement suive les propositions formulées, si un tel mécanisme devait voir le jour pour la gestion du coronavirus.

«Les promesses n’engagent que ceux qui y croient», ironise Yves Sintomer.

«On assiste en ce moment à un détricotage des propositions de la convention pour le climat. On ne sait d’ailleurs même pas si cela aboutira sur une loi et quel sera le contenu de celle-ci», poursuit-il. Si le politologue concède que la convention citoyenne «n’est pas une recette magique», avec «une pression venant des associations, des mouvements citoyens», son poids «serait plus grand».

«Il faudrait une mobilisation de cet ordre pour qu’une assemblée citoyenne sur la crise sanitaire puisse peser davantage», conclut Yves Sintomer.
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