Le vent de colère antifrançais souffle sur le Maroc

© REUTERS / Abdulmonam Eassa/Pool via REUTERSEmmanuel Macron s'est rendu au collège Bois d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, où enseignait le professeur d'histoire décapité, le 16 octobre 2020
Emmanuel Macron s'est rendu au collège Bois d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, où enseignait le professeur d'histoire décapité, le 16 octobre 2020 - Sputnik Afrique
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Les appels au boycott pleuvent ces jours-ci sur la France de la part du monde musulman en réaction au dernier discours du Président Emmanuel Macron. Au Maroc aussi, ce mouvement visant le «made in France» démarre alors que tombent de fermes condamnations officielles contre les caricatures du prophète de l’islam. Décryptage.

Partie des pays du Golfe, principalement du Koweït et du Qatar le 23 octobre, la campagne de boycott des produits français continue de gagner du terrain en «terre d’islam».

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Offusqués par le discours prononcé par le Président Emmanuel Macron le 21 octobre, lors de l’hommage officiel rendu par la France à Samuel Paty –le professeur décapité pour avoir montré en classe les caricatures du prophète Mahomet de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo–, les musulmans sont nombreux à exprimer leur colère contre la France. Et notamment contre l’engagement du Président français de «ne pas renoncer aux caricatures».

Au Maroc, les mécontents affichent surtout leur désapprobation sur les réseaux sociaux où les hashtags «BoycottFrance», «tout sauf le prophète de Dieu» et «le prophète est une ligne rouge» sont partagés à profusion. Ces publications sont accompagnées du portrait du chef de l’État français barré d'une croix rouge, ainsi que des produits français à boycotter. Le flux est tel qu’elles figurent à la tête des tendances sur les plateformes virtuelles Facebook et Twitter.

«#Moukatioun» bis?

Dans le royaume chérifien, ces invites au boycott de produits français rappellent le mouvement «#Moukatioun» («#nous_boycottons», en français). Lancé anonymement sur les réseaux sociaux en 2018, il avait surfé sur le ras-le-bol général dans le pays contre la cherté de la vie. En particulier une eau minérale, une marque de produits laitiers et un distributeur de carburants avaient été visés par ce boycott en raison de leurs prix «exorbitants».

L’impact s’était lourdement fait sentir sur les entreprises concernées. Celles-ci avaient dû mener de longues campagnes de communication de crise pour calmer les esprits. D’ailleurs, pour bien marquer le coup, certains adhérents à l’actuel mouvement de boycott dirigé contre la France font le parallèle avec «#Moukatioun».

Pour Mohammed Masbah, directeur du Moroccan Institute for Policy Analysis (MIPA), centre de recherche indépendant sur les politiques publiques basé à Rabat, ce nouveau mouvement a très peu de liens avec la campagne de 2018. Il ressemble plutôt, d’après lui, à d’autres appels au boycott lancés au Maroc en 2005. À cette époque, l’élément déclencheur était la publication par un média danois de caricatures de Mahomet.

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«Dans #Moukatioun, on défendait le pouvoir d’achat des citoyens tout en dénonçant l’avidité des entreprises boycottées et leur proximité avec le gouvernement. C’était donc un mouvement de protestation sociale, voire politique. Dans cette nouvelle campagne antifrançaise, la question est principalement d’ordre religieux», nuance l’analyste marocain au micro de Sputnik.

L’une des rares caractéristiques que ces deux mouvements contestataires ont en partage, selon le Senior Fellow au Carnegie Middle East Center, ce sont les réseaux sociaux. «Ils sont nés et ont été connus et reconnus dans la société grâce à ces plateformes, souligne Masbah. Toutefois, leur capacité de mobilisation n’est pas du tout la même.»

«Pour l’instant, il n’y a pas vraiment d’indicateurs de succès concernant le boycott des produits français par les citoyens marocains. La mobilisation est principalement virtuelle et ne se traduit pas en actions sur le terrain. D’ailleurs, nous ne voyons pas encore son impact sur les étals des hypermarchés ou des épiceries, comme cela a été le cas pour le mouvement de 2018», compare-t-il.

Politologue et sociologue marocain spécialiste de l’islamisme et de la sociologie politique, Mohammed Masbah estime qu’il faut néanmoins prendre ces appels très au sérieux.

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«Ce sont des réactions spontanées d’une catégorie conservatrice dominante de la société marocaine, qui peuvent être à tout moment amplifiées par un effet boule de neige. Surtout que les Marocains ont justement déjà vécu l’expérience réussie du boycott en 2018», prévient-il.

Mobilisation timide et critiques officielles

Au Maroc, en plus des appels virtuels au boycott, des voix officielles semblent réagir indirectement aux propos tenus par Emmanuel Macron en dénonçant les caricatures controversées. Le ministère marocain des Affaires étrangères a publié un court communiqué le 25 octobre. «Le Maroc condamne vigoureusement la poursuite de la publication des caricatures outrageuses à l’islam et au Prophète», peut-on y lire. Le royaume dénonce aussi «des actes qui reflètent l’immaturité de leurs auteurs».

Le pays rappelle que la liberté des uns s’arrête là où commencent la liberté et les croyances des autres. Le chef du gouvernement marocain Sâadeddine El-Othmani s’est contenté de partager sur son compte Twitter le même communiqué.

En analysant cette réaction officielle, Mohammed Masbah estime que le Maroc joue la carte de l'apaisement en interne. «Rabat a choisi d’adopter une stratégie spéciale qui vise principalement à absorber la colère citoyenne et à calmer les esprits», résume le chercheur du Carnegie Middle East Center. Il affirme que cette prise de position est surtout motivée par le facteur religieux:

«Le Maroc, en tant que pays à majorité musulmane où l’islam est religion d’État et où le roi est le commandeur des croyants, s’est senti obligé de se mettre sur le devant de la scène. Parce que c’est une affaire de positionnement religieux et théologique. D’autant que dans la société marocaine, en grande partie conservatrice, les questions religieuses sont politisées et l’État en tient bien compte. Rabat ne peut donc pas aller à l’encontre du sentiment général qui est dominé par le choc par rapport à la position officielle française», ajoute le directeur du MIPA.

Comme pour donner un fondement religieux à la réaction marocaine, le Conseil supérieur des Oulémas du royaume a rejeté lui aussi et dénoncé «toute forme d’atteinte à la sacralité des religions, à leur tête les prophètes qui ont transmis à l’humanité tout entière les valeurs d’amour, de fraternité et de solidarité entre les gens».

Tensions entre pays amis 

Interrogé sur l’impact de cette prise de position marocaine sur ses relations avec la France,  Mohammed Masbah affirme que si le royaume se permet de lancer une pique envers son vieil allié diplomatique et premier partenaire économique, il n’est pas non plus allé trop loin.

«C’est une prise de position mesurée de la part du Maroc. Le royaume a choisi de critiquer de façon virulente, mais indirectement, la décision française au niveau officiel sans pour autant appeler au boycott. C’est une liberté que le pays peut se permettre vu les bonnes relations qu’il entretient avec la France, même si Rabat sait très bien que ses critiques risquent de créer des tensions avec Paris. Les responsables marocains pourraient se dire qu’au pire, ce ne pourrait être qu’un épisode éphémère», conclut le politologue et sociologue marocain.

Pour le moment, la seule réaction politique du côté de Paris aux critiques du Maroc est celle de Nadine Morano exprimée via son compte Twitter. L’ancienne ministre française et députée européenne LR y invite le Royaume «à reprendre ses jeunes mineurs entrés illégalement en France».

Plus mesuré, le communiqué officiel du quai d’Orsay, publié le 25 octobre, se limite à demander aux gouvernements des pays du Moyen-Orient à faire «cesser les appels au boycott». Le Maroc n’est même pas directement ou indirectement visé.

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