Accélération de l’épidémie en prison: «Une fois que le virus est entré, c’est comme dans un Ehpad mais puissance 12»

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Non épargnés par la hausse des cas de coronavirus, les personnels pénitentiaires sont inquiets. Si le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a tenu à les rassurer, ils craignent que la situation sanitaire ne devienne incontrôlable dans les semaines à venir. Le syndicat UFAP-UNSA analyse pour Sputnik la situation au cœur des prisons.
«Le jour où il n’y a plus de personnel pénitentiaire, il n’y a plus de prison.»

Wilfried Fonck, secrétaire national du syndicat UFAP-UNSA, appréhende une possible recrudescence des cas de Covid-19 au sein des prisons. Selon les derniers chiffres de l’administration pénitentiaire arrêtés au 27 octobre, cités par Le Monde, il y aurait 171 détenus positifs au cours de la semaine, contre 117 une semaine plus tôt et 88 le 12 octobre. Les personnels sont également touchés puisque 431 personnes ont été testées positives contre 287 il y a huit jours et 188 il y a deux semaines.

«La situation est donc inquiétante à double titre: à la fois pour les personnels, parce qu’ils risquent de propager le virus chez eux et dans leur entourage familial. Mais ils peuvent également contaminer l’intérieur de l’établissement.»

Actuellement, comme l’explique le syndicaliste, le fonctionnement des prisons n’est pas encore affecté, notamment dans les grands établissements d’Île-de-France, «même s’ils tournent parfois en version dégradée». Néanmoins, «pour certaines structures en province, où les effectifs sont moins nombreux, cela peut devenir très rapidement compliqué», prévient Wilfried Fonck.

Pour tenter de prévenir une telle situation, les détenus ont désormais l’obligation de porter le masque en dehors de leur cellule. Suite aux annonces d’Emmanuel Macron lors de son allocution du 28 octobre, les personnels sont toujours «en attente de nouvelles directives».

«Une dégradation de la situation sanitaire va avoir des répercussions sur la sécurité des établissements et des personnels», souligne le secrétaire national UFAP-UNSA.

Et pour cause, «quand vous avez une équipe qui est contaminée par exemple, les deux autres qui sont cas contacts restent chez elles. C’est très compliqué de faire tourner 24 heures sur 24 trois services. Derrière, il faut demander des renforts et ce n’est pas toujours évident», détaille le syndicaliste.

«Effet boule de neige»

Un constat dont Éric Dupond-Moretti s’est fait l’écho dans une vidéo postée sur Twitter, dans la soirée du jeudi 29 octobre, en assurant qu’il est «très attentif à la situation des personnels pénitentiaires qui œuvrent en milieu ouvert ou fermé».

​«Dans le contexte actuel, la situation des prisons est un sujet de préoccupation majeure, compte tenu du nombre de personnes écrouées», a-t-il ajouté.

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En effet, le nombre de détenus a augmenté au dernier trimestre. Selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, au 1er octobre, 61.102 personnes étaient incarcérées contre 58.695 au 1er juillet. Après avoir chuté à 97% grâce aux ordonnances de l’ex-ministre de la Justice Nicole Belloubet, la densité carcérale s’établit désormais à 100,7%. Un taux qui a pour incidence de pousser certaines structures suroccupées à augmenter le nombre de matelas au sol.

Des conditions de détention qui pourraient servir d’accélérateur pour les contaminations. Wilfried Fonck explique que la promiscuité est un facteur aggravant, notamment dans les maisons d’arrêt où trois, voire quatre personnes partagent des cellules de 9 ou 12m2. «Le jour où il y en a un qui est positif au coronavirus, derrière, c’est l’effet boule de neige.»

«Une fois que le virus est entré, c’est comme dans un Ehpad mais puissance 12.

Le secrétaire national UFAP-UNSA rappelle que dès février, ils avaient «demandé à ce que les juges d’application des peines aient recours à des aménagements médicaux pour ceux qui étaient condamnés».

«On trouvait qu’il était plus judicieux quand on était positif ou malade d’aller se faire soigner soit chez soi, soit à l’hôpital plutôt que de rester à l’intérieur des établissements et de risquer de diffuser le virus», précise-t-il.

Nécessité de prendre des décisions fortes

Par ailleurs, le syndicaliste concède que l’administration pénitentiaire «essaie de prévenir la propagation du coronavirus» en mettant «des bâtiments complets en confinement pendant 14 jours dès qu’il y a un cas positif», mais «à un moment donné, il faut anticiper».

«Si on freine l’activité judiciaire et le nombre d’incarcérations, on va freiner automatiquement la progression de la surpopulation, donc la possibilité de propager le virus à l’intérieur.»

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Une piste qui ne semble pas privilégiée par le garde des Sceaux. «Dans les juridictions, les PCA [plans de continuation d'activité, ndlr] qui réduisent l'activité aux fonctions essentielles ne seront pas activés, mais un certain nombre de précautions devront être mises en place», a-t-il indiqué. Une décision bien différente de celle prise lors du confinement printanier: l’activité judiciaire avait été réduite aux urgences civiles et pénales, renvoyant ainsi des milliers d’affaires non prioritaires.

En outre, le ministre de la Justice a déclaré que «le respect des mesures sanitaires ne conduit pas à remettre en cause les conditions de vie comme les parloirs ou le travail en détention». Un choix pour acheter la paix sociale à l’intérieur des prisons? Une chose est certaine, cette décision «suscite une grande incompréhension», confesse Wilfried Fonck.

«On sait que les parloirs sont importants. On connaît l’impact que cela a lorsque les parloirs sont suspendus. Mais aujourd’hui, quand le Président de la République dit qu’il faut donner un coup de frein à main brutal pour endiguer la propagation du virus, il faut prendre les décisions qui s’imposent, quoi qu’il en coûte», estime le syndicaliste.

«Il va falloir en tout cas préserver à la fois les conditions sanitaires mais aussi les conditions de sécurité des personnels et des structures», conclut Wilfried Fonck.

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