Lutte antiterroriste: Darmanin réussira-t-il sa mission maghrébine?

© AP Photo / Michel EulerGérald Darmanin
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Le ministre français de l’Intérieur effectuera à partir du 6 novembre une visite à Tunis et à Alger pour négocier l’expulsion d’étrangers fichés «S» pour radicalisation à caractère terroriste. La tâche de Darmanin s’annonce difficile, il n’est pas certain que ces pays acceptent la venue d’individus représentant un danger pour leur sécurité interne.

Le Président français Emmanuel Macron a chargé son ministre de l’Intérieur d’une mission très complexe: obtenir l’accord des autorités tunisiennes et algériennes pour l’expulsion vers ces pays de terroristes ou d’individus radicalisés.

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Cette demande intervient dans le sillage des récents attentats terroristes qu’a connus la France depuis la mi-octobre 2020. Suite à la décapitation par un islamiste de Samuel Paty, professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine, le ministre de l’Intérieur a annoncé la décision d’expulser dans un premier temps 231 étrangers fichés «S» pour radicalisation à caractère terroriste, lors d’une réunion avec ses préfets, qui s’est tenue le 18 octobre. Sur les 231 étrangers, «180 sont incarcérés et 51 autres qui sont en liberté vont être interpellés». Darmanin n’a pas perdu de temps. Dès le lendemain, il s’est envolé pour Rabat afin de demander l’expulsion de neuf individus qui figurent sur cette liste.

Toutefois, et dans une interview donnée à BFMTV ce 2 novembre, Darmanin a expliqué qu’il existait actuellement une centaine d’étrangers «en situation irrégulière confondus de radicalisation» qu’il a demandé aux préfets de mettre dans des centres de rétention administrative (CRA).

Expulsions, une procédure complexe

Le 29 octobre, Brahim Aissaoui, un Tunisien de 21 ans, a été neutralisé par la police après avoir assassiné à l’arme blanche trois personnes, dont une a été pratiquement décapitée, en la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice. Ce nouvel attentat djihadiste renforce la détermination des autorités françaises d’accélérer le processus d’expulsion. Cette procédure est loin d’être une simple formalité, même si la majorité des personnes concernées est déjà sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF).

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Soumise à une décision de la justice française, l’expulsion nécessite l’accord du pays d’origine. C’est justement ce feu vert que Darmanin va tenter de décrocher auprès de Tunis et d’Alger, lors d’une tournée qu’il entamera vendredi 6 novembre. Le docteur Abid Khelifi, enseignant à l’université de Tunis spécialiste en islam politique et dans les mouvements terroristes, estime que cet accord ne sera pas évident à décrocher, même s’il y a fort à parier que la requête de Darmanin sera «soutenue par des pressions politiques et économiques.»

«Les autorités algériennes et tunisiennes ne seront pas forcément disposées à se charger de la surveillance de personnes potentiellement dangereuses», explique Abid Khelifi à Sputnik.

D’autant plus que Tunis qu’Alger ont l’habitude de résister en coulisses au rapatriement de leurs sans-papiers, en invoquant des difficultés liées à l’identification de leur nationalité, et cela alors même que ceux-ci ne présentaient aucun risque particulier sur le plan sécuritaire.

«Guantanamo à la française»

Selon Abid Khelifi, les autorités françaises ont toujours eu «la volonté d’expulser vers leur pays d’origine les terroristes qui ont purgé leur peine.» Mais la situation devient urgente pour la France qui, de plus, peine à identifier et à neutraliser les individus susceptibles de commettre des attentats. «Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour demander la création d’une prison sur le modèle de Guantanamo», indique Abid Khelifi en faisant référence au député Éric Ciotti, du parti Les Républicains.

​Lors de sa visite à Tunis, Gérald Darmanin devrait également aborder deux dossiers importants: l’entraide judiciaire et sécuritaire dans l’affaire Brahim Aissaoui, auteur présumé de l’attentat terroriste de Nice, et l’immigration clandestine. «Il est vrai que les Tunisiens se rendent en Italie, mais de par sa proximité géographique, ce pays n’est qu’une étape, car leur objectif principal reste la France», note Abid Khelifi, auteur du livre «Le Jihad parmi les mouvements islamiques contemporains» Ed. Safahat Publishers.

À l’aune de l’attentat de Nice, il est certain que Darmanin mettra en avant le fait que la Tunisie risque de se transformer en base arrière d’un terrorisme dont l’objectif est de frapper sur le territoire français.

«En France, les services chargés des investigations considèrent que cette opération terroriste a été planifiée à partir de la Tunisie. Les premiers éléments de l’enquête indiquent que le mis en cause a rejoint le territoire français via l’Italie dans des délais très courts. Il y a donc un processus d’entraide entre les deux pays pour lever le voile sur ce dossier», souligne Abid Khelifi.

À Alger, seconde étape de sa tournée maghrébine, Gérald Darmanin sera face à des responsables politiques et sécuritaires qui maîtrisent parfaitement la question de la menace terroriste sur le territoire français. Et pour cause, les deux pays ont mis en place, depuis plus de deux décennies, des mécanismes d’échange d’informations sur le terrorisme. Une collaboration qui a permis de déjouer plusieurs attentats sur le sol français.

Expulsions de terroristes, Alger fait la fine bouche

Mais les autorités algériennes sont très parcimonieuses en matière d’expulsion de terroristes, n’acceptant que les individus recherchés par la justice algérienne. C’est le cas notamment du terroriste Djamel Beghal, expulsé en juillet 2018 vers son pays d’origine après avoir purgé une peine de 17 ans de prison en France. En 2003, Beghal avait été condamné par contumace par le tribunal criminel d’Alger à 20 ans de prison. De retour en Algérie, il a été incarcéré durant 18 mois puis acquitté et libéré par le tribunal de Dar el Beida en décembre 2019.

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Mais le contexte politique et sécuritaire ne facilitera pas la tâche de Darmanin. L’état-major de l’armée algérienne, qui supervise la lutte antiterroriste, est très remonté contre les autorités françaises suite à l’affaire de la libération de 207 terroristes par les autorités de Bamako. Pour les militaires algériens, l’opération qui a conduit à l’échange de prisonniers et le versement d’une rançon pour la libération d’otages français et italiens a été supervisée par Paris, qui a pourtant rappelé à Bamako, par la voix de son chef de la diplomatie, son refus de toute négociation avec les terroristes. Cette affaire pèsera sans nul doute lors des discussions qu’aura Gérald Darmanin à Alger avec son homologue et les patrons des renseignements et de la lutte antiterroriste.

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