Haut-Karabakh: «La France est la risée du monde de par sa politique internationale», selon Tahhan

© REUTERS / CHRISTIAN HARTMANNRecep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron lors d'une séance photo au sommet de l'Otan à Watford, le 4 décembre 2019
Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron lors d'une séance photo au sommet de l'Otan à Watford, le 4 décembre 2019 - Sputnik Afrique
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Emmanuel Macron «demande fermement à la Turquie de mettre fin à ses provocations» et appelle à un «règlement politique durable» après l’accord de cessez-le-feu conclu au Haut-Karabakh. Pour le politologue franco-syrien Bassam Tahhan, également député du Parlement d’Arménie occidentale, «la France a perdu tout crédit» sur la scène internationale.

«Dans ce moment difficile, la France se tient au côté de l’Arménie.» Emmanuel Macron a pris la parole ce 10 novembre, au lendemain de la signature d’un accord de cessez-le-feu total entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Ce dernier, signé sous l’égide de Moscou, met fin à six semaines d’affrontements meurtriers pour le contrôle du Haut-Karabakh, région peuplée quasi exclusivement d’Arméniens et qui a fait sécession de l’Azerbaïdjan, entraînant une première guerre meurtrière au début des années 90.

​Si Emmanuel Macron a tenu à montrer du soutien à Erevan, c’est bien parce que l’accord signé entre Ilham Aliev, Président de l’Azerbaïdjan, Nikol Pachinian, Premier ministre de l’Arménie, et Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, consacrerait la victoire de Bakou dans le conflit. Le texte prévoit que les belligérants gardent «les positions qu’ils occupent» au terme de cet accord. Or les forces azerbaïdjanaises ont réussi à reprendre plusieurs territoires aux forces arméniennes. Ce cessez-le-feu sous forme de capitulation a entraîné de violentes manifestations en Arménie, notamment à Erevan, où une foule en colère s’en est pris à des bâtiments gouvernementaux.

«Les contradictions de la diplomatie française»

La présidence française a quant à elle tenu à renouveler son «amitié historique» à l’Arménie. Pourtant, pour le politologue franco-syrien Bassam Tahhan, également député du Parlement d’Arménie occidentale, «la France de Macron a abandonné l’Arménie»:

«Les prises de position d’Emmanuel Macron pouvaient laisser penser qu’il empêcherait l’Azerbaïdjan de prendre des terres au Haut-Karabakh.»

Bassam Tahhan fait notamment référence aux propos qu’a lancés le Président de la République début octobre. Emmanuel Macron affirmait disposer d’informations sur la présence de «300 combattants» djihadistes en provenance de Syrie sur le front du Haut-Karabakh se battant du côté azerbaïdjanais. «C’est un fait très grave, nouveau, qui change aussi la donne», avait souligné le locataire de l’Élysée.

«L’attitude de Macron le condamne plus qu’elle ne le sert. Il aurait très bien pu aider les Arméniens de plusieurs manières, notamment en envoyant des armes. La France ne s’était pas gênée pour armer la soi-disant opposition syrienne en violation du droit international. Nous voyons ici toutes les contradictions de la diplomatie française, si on peut encore appeler cela une diplomatie», se désole Bassam Tahhan.

Le 13 octobre, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, estimait que la France se devait de rester neutre dans ce conflit. Il rappelait la position de Paris en tant que co-président du Groupe de Minsk chargé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de trouver une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh. «Le mandat que nous a confié l’OSCE en 1994 avec la Russie et les USA pose une exigence d’impartialité de la France», expliquait alors le ministre.

​Un argument qui ne tient pas la route, selon Bassam Tahhan: «La Turquie fait également partie du groupe de Minsk même si elle n’officie pas en tant que co-président. On a laissé Erdogan armer l’Azerbaïdjan et importer des mercenaires djihadistes au Haut-Karabakh sans rien faire!» Le politologue franco-syrien, également d’origine arménienne, juge très sévèrement la diplomatie française et son chef:

«La France est la risée du monde de par sa politique internationale. Sur quel dossier avons-nous récemment réalisé des progrès? Tant que l’on continuera la diplomatie à la Jean-Yves Le Drian, la France ne sera pas souveraine.»

L’occasion pour lui de rappeler les célébrations qui se sont tenues le 9 novembre dans le pays pour les 50 ans de la mort de Charles de Gaulle. Emmanuel Macron s’est rendu à Colombey-les-Deux-Églises sur la tombe du général, dans une ambiance particulière de crise sanitaire, sans public, sans messe… et sans discours.

«Il ne sert à rien de faire des célébrations pour De Gaulle quand on trahit ses idéaux de souveraineté et la conception qu’il se faisait de la place de la France dans le monde», tempête Bassam Tahhan.

«Un travail devra être mené sans tarder pour définir les paramètres d’un règlement politique durable du conflit, qui puisse assurer le maintien dans de bonnes conditions des populations arméniennes au Haut-Karabakh et le retour des dizaines de milliers de personnes qui ont fui leurs habitations», souligne de son côté Emmanuel Macron. Il dit vouloir «poursuivre activement ses consultations avec la Russie» et il s’entretiendra «très prochainement» avec les dirigeants arménien et azerbaïdjanais.

Le locataire de l’Élysée a également adressé un avertissement à Ankara: «La France demande fermement à la Turquie de mettre fin à ses provocations au sujet du Haut-Karabakh, de faire preuve de retenue et de ne rien faire qui compromette la possibilité qu’un accord durable soit négocié entre les parties et dans le cadre du groupe de Minsk.» Pas de quoi faire peur au Président turc selon Bassam Tahhan:

«Ces déclarations n’ont aucun poids au niveau international. La France a perdu tout crédit depuis un certain temps face aux bravades de Recep Tayyip Erdogan sur plusieurs fronts, qu’il s’agisse du nord de l’Irak, de la Libye, de la Grèce, de la Syrie ou évidemment du Haut-Karabakh. Cela commence à faire beaucoup.»

D’après lui, Erdogan vient de gagner une bataille et en sort renforcé. «Demain, il pourrait remplacer la famille Aliev, au pouvoir en Azerbaïdjan, car elle est chiite et mettre à la place des dirigeants sunnites. Gardons à l’esprit qu’Erdogan se rêve en nouveau sultan ottoman», ajoute l’expert.

«Les Arméniens seront amenés à continuer le combat»

Pour Bassam Tahhan, l’attitude de la France est d’autant plus décevante qu’il ne s’agit pas d’«une défaite des Arméniens seulement», mais également d’«une défaite de tout l’Occident chrétien face à la Turquie.» «Nous assistons à une faillite de la diplomatie européenne face à un pays qui ne respecte pas les accords de l’Otan et qui est expansionniste. Un jour, nous allons le payer cher», avertit le politologue.

​Et pour la suite? Le député du Parlement d’Arménie occidentale assure que Erevan a perdu une bataille, mais pas la guerre. «La Russie a coupé la poire en deux, car elle se trouvait dans une situation délicate. Moscou ne voulait pas voir arriver les forces azerbaïdjanaises à Erevan», analyse-t-il. Dans un tel cas, Bassam Tahhan assure que «la Russie aurait été poussée à défendre militairement l’Arménie.» D’après lui, «Poutine a sauvé les meubles».

«Il s’agit d’un cessez-le-feu et non d’un traité de paix. Les Arméniens seront amenés à continuer le combat», prévient-il.
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