Conseil de Défense, le «cabinet noir» de Macron?

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La prise de parole de Jean Castex ce jeudi 12 novembre fait suite à un nouveau Conseil de Défense et de Sécurité nationale, un mode de fonctionnement jugé opaque par une partie de l’opposition. Ces arguments sont-ils recevables? Décryptage avec les constitutionnalistes Anne-Marie Le Pourhiet, Eleonora Bottini et Olivier Gohin.

40. C’est le nombre de Conseils de Défense et de Sécurité Nationale (CDSN) organisés par l’exécutif depuis le début de l’année 2020, soit environ une réunion de ce type par semaine.

Instauré par décret en 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce format permet au chef de l’État de réunir les membres du gouvernement qu’il choisit, ainsi que «toute personnalité en raison de sa compétence», afin de traiter de sujets liés au terrorisme ou à la sécurité du territoire. La composition des Conseils de défense est donc à la discrétion du Président de la République.

Un «abus de pouvoir»?

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La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a contribué à la multiplication de ces réunions en petit comité, qui se tiennent dans le salon Murat de l’Élysée. Au point de rendre le Conseil des ministres –qui se tient au même endroit chaque mercredi– obsolète, ou presque. Les CDSN ont la faveur d’Emmanuel Macron pour trois raisons: le nombre réduit de ses participants, estimé entre 10 et 15; un ordre du jour précis et ciblé, qui évite les débats à rallonge; et surtout, une confidentialité des échanges garantie par le «secret Défense». En effet, quiconque divulgue des informations sans y être autorisé encourt jusqu’à sept ans de prison…

C’est justement ce sceau du secret qui fait bondir une partie de l’opposition. Dans une tribune publiée dans Libération le 6 novembre, Jean-Luc Mélenchon dénonce un «abus de pouvoir» et une «extinction méthodique des libertés individuelles et collectives» avec le recours systématique du gouvernement aux Conseils de Défense, qualifié de «comité secret» par le président du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale.

​L’eurodéputé LFI Manuel Bompard va même jusqu’à dénoncer la «présidentialisation du régime [qui] mène à une dérive autoritaire du pouvoir».

Interrogée par Sputnik, Eleonora Bottini, professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, considère que ces arguments ne sont pas recevables, car «les décisions prises dans le cadre du Conseil de Défense doivent être traduites ensuite par des décisions juridiques issues du gouvernement», lesquelles sont bien «soumises au contrôle démocratique de l’Assemblée nationale».

Anne-Marie Le Pourhiet, spécialiste du droit constitutionnel et professeur des universités en droit public à l’université Rennes-I, confirme et rappelle que «le conseil de Défense ne prend pas directement de décision ni de décret». Par ailleurs, l’inflation du pouvoir juridique en France aurait plutôt tendance à contredire l’idée d’une opacité de ce mode de fonctionnement:

«Tout ce que le gouvernement fait ou ne fait pas peut désormais être contesté devant les tribunaux: il y a eu 90 saisines de la Cour de justice de la République [depuis le début de l’épidémie, ndlr]. Que M. Mélenchon ne nous dise pas ensuite que les décisions sont prises en secret en France!», persifle Anne-Marie Le Pourhiet au micro de Sputnik.

Fait notable, même à droite, cette gestion unilatérale est pointée du doigt. Lors de son audition devant le Sénat le 22 septembre dernier, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, avait dénoncé le «sentiment que le Conseil des ministres n’est plus là et que c’est maintenant le Conseil de Défense qui décide de tout», avant d’appeler à «respecter les institutions et les instances» françaises.

Gouvernance opaque?

Le manque de transparence est donc l’autre argument qui revient souvent à l’encontre du CDSN, car les Français ignorent tout de ce qui se dit et la composition de ces cénacles est elle-même tenue secrète.

«On peut voir une certaine opacité dans le déroulement des Conseils de Défense, car ils ne publient pas d’ordre du jour et ne donnent pas lieu à des comptes-rendus de ce qui se dit, contrairement aux Conseils des ministres, par exemple», souligne Eleonora Bottini au micro de Sputnik.

Olivier Gohin, professeur de droit public de la défense à l’université Paris-II Panthéon-Assas, préfère quant à lui tempérer ces critiques. «Ce n’est rien de plus qu’un Conseil des ministres restreint, une structure de concertation à l’intérieur de l’exécutif.»

La classification «secret Défense» des échanges lors des Conseils de Défense serait-elle un moyen pour leurs participants de s’exonérer de toute responsabilité pénale en cas de gestion litigieuse de la crise, comme l’affirment certains opposants?

​Ce n’est absolument pas le cas, rappelle Eleonora Bottini: «Ce n’est pas parce que le raisonnement qui mène à une certaine décision est couvert par le “secret Défense” que le gouvernement peut être exempté de la responsabilité d’avoir pris cette décision.» De quoi retoquer certains arguments avancés par l’opposition.

«Prédominance du Président de la République»

Mais si «ce mode de fonctionnement est parfaitement légitime et légal», il montre en revanche une chose: l’omniprésence d’Emmanuel Macron dans la gestion des crises. «Cela illustre la prédominance du Président de la République dans le système. Celui-ci s’occupe de tout», relève Olivier Gohin.

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«Est-ce une bonne idée de prendre toutes les décisions dans le cadre unique du Conseil de Défense? Cela pose la question de la légitimité des décisions qui sont prises en période de crise», poursuit Eleonora Bottini. L’universitaire estime en tout cas que ce mode de gouvernance «s’inscrit dans l’attitude martiale et guerrière de la lutte contre l’épidémie qu’a choisie le Président de la République depuis le début de la crise.» Mais ce volontarisme pourrait difficilement être reproché à Emmanuel Macron, «le Président de la Ve République à avoir connu le plus de crises depuis le général de Gaulle», d’après Anne-Marie Le Pourhiet:

«Ces Conseils sont des institutions collégiales: préfèrerait-on que le Président prenne les décisions tout seul dans son bureau? La concentration du pouvoir dans les mains de l’exécutif est parfaitement normale en période de crise», justifie Anne-Marie Le Pourhiet.

La «monarchie présidentielle» que se plaît à fustiger régulièrement Jean-Luc Mélenchon ou encore le risque de «l’exercice solitaire du pouvoir», récemment mis en avant par François Hollande dans la gestion des crises actuelles, sont-ils donc assumés par l’exécutif?

Pour Olivier Gohin, «ce débat est une assez mauvaise querelle», le Président de la République étant parfaitement dans son droit en convoquant à intervalles réguliers des Conseils de défense restreints.

Mais si le rôle du Parlement est relativement limité dans le fonctionnement de la Ve République dès lors que le pouvoir possède la majorité absolue à l’Assemblée, le pouvoir des juges est trop souvent négligé, signale Olivier Gohin:

«M. Combrexelle, le président de la section contentieux du Conseil d’État, a en revanche un pouvoir considérable, car il prend les décisions en référé. Si celui-ci décide d’annuler l’exécution d’une décision administrative, cela bloque le gouvernement, le Premier ministre et le Président de la République.»
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