F-35, frégates: les USA profitent des appétits grecs, qui paiera la note?

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La Grèce est en passe d’acheter une vingtaine de F-35. Un nouveau succès pour Lockheed Martin après les frégates MMSC et la mise à niveau de la flotte grecque de F-16. Au-delà de l’appétence de certains États européens pour les armements américains, le général (2 S) Jean-Vincent Brisset s’interroge sur le financement de toutes ces acquisitions.

Après les frégates et les hélicoptères, les avions. La Grèce a officiellement demandé à acquérir entre 18 et 24 avions de combat F-35A dans une lettre d’intérêt (Letter of Request) envoyée le 6 novembre au Pentagone.

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Selon le site Opex 360, qui reprend une information du quotidien athénien Estia, cette commande aurait été évoquée dans le cadre d’une visite de Mike Pompeo fin septembre. Le chef de la diplomatie américaine s’était alors rendu dans l’archipel, sur fond de tensions gréco-turques, afin de plaider en faveur d’une «désescalade en Méditerranée orientale».

À la différence du contrat des frégates MMSC, tout juste remporté à la barbe de Naval Group par le géant américain de l’armement Lockheed Martin, le projet de commande de 18 Rafale –pour lequel «aucun contrat n’a été signé» à l’heure actuelle, comme le rappelle le site d’informations militaires– ne serait pas menacé. Athènes, qui détient déjà des appareils militaires américains (F-16) et français (Mirage) compterait jouer sur les différents contrats afin de moderniser sa flotte face à sa rivale turque.

Armements: la boulimie grecque

Un choix qui n’apparaît «pas surprenant» aux yeux du général (2 S) de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset et chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Ce dernier rappelle qu’en 2017, la Grèce avait déjà signé avec Lockheed Martin pour moderniser à l’horizon 2027 une grande partie de sa flotte de F-16 «Fighting Falcon». Un programme visant à porter 84 des 150 appareils helléniques «aux standards Block 70, ce qui en fait des avions assez formidables» souligne le général Brisset, pour la modique somme de deux milliards de dollars.

Pour autant, si notre intervenant met également en avant la dimension «qualitative» derrière cette commande de F-35 ainsi que celle, éventuelle, de Rafale, il s’interroge sur leur «intérêt opérationnel». En effet, ces commandes ne portent que sur des poignées d’appareils, qui selon lui ne seront pas en mesure de faire la différence en cas de conflit ouvert. Toutefois, l’intérêt du F-35 n’est pas tant dans l’appareil en lui-même que dans le soutien politique derrière son acquisition, souligne Jean-Vincent Brisset, qui rappelle au passage qu’au premier semestre 2019, Athènes avait déjà signifié auprès des autorités américaines son intérêt pour le dernier-né de Lockheed Martin.

«Acheter des avions français ne donne aucune assurance sur le plan opérationnel. Le client de l’avion français sait qu’il aura des avions, sait qu’il aura un soutien technique et qu’il aura vraisemblablement un soutien logistique, même si l’arrêt du transfert des Mirage à Israël, il y a quelques années de cela, reste encore dans toutes les mémoires. Mais le fait d’avoir des F-35 veut dire que l’on appartient à un grand groupe de pays et que l’on bénéficie d’un soutien de la part des États-Unis qui va largement au-delà de la logistique», développe l’officier d’état-major.

Il souligne par ailleurs le recul que prennent les Américains vis-à-vis de leur allié turc, depuis la finalisation de sa commande à la Russie de systèmes antimissiles S-400. Estia abonde dans ce sens, allant jusqu’à évoquer un possible transfert en Crète de la base de l’US Air Force d’Incirlik, en Turquie. Cette immense base aérienne peut accueillir jusqu’à une centaine d’engins nucléaires américains.

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«On est là dans l’hypothétique», tranche pour sa part le général Brisset. Bien que côté américain le projet d’un retrait d’Incirlik semble être sur le feu, le général met en garde contre le fossé séparant les «discours et les faits». Dans un avenir plus certain, la presse grecque avance que six des appareils livrés à la Grèce pourraient être prélevés sur la commande turque annulée par Washington en juillet 2019.

Geste commercial doublé d’une belle aubaine? Les Américains tentent depuis de revendre à leurs autres alliés ces onéreux invendus que constituent les 100 appareils précommandés par Ankara, comme ils l’ont déjà fait à la Belgique. Bruxelles a en effet commandé 34 appareils américains au détriment d’une solution européenne.

Acheter américain, une assurance-vie?

Une revente à l’export d’autant plus capitale pour les États-Unis que le F-35 est décrié comme étant le programme d’armement plus coûteux de l’histoire américaine. Indépendamment de l’exclusion de la Turquie du programme, le F-35 est également dénigré pour les nombreuses lacunes et défauts régulièrement mis à jour (comme la non-fiabilité de son armement, en janvier dernier). Par ailleurs, le jet de Lockheed Martin soulève également une problématique de souveraineté à travers sa seule utilisation, via la dépendance vis-à-vis de l’industriel américain qui reçoit aux États-Unis et analyse pour les pays clients les données retransmises par cet appareil de combat présenté comme un «game changer».

«Le F-35 est un formidable appareil et il coûte moins cher qu’un Rafale neuf!», défend Jean-Vincent Brisset, qui appelle à «sortir des fantasmes» autour du F-35. Celui-ci tient également à mettre les points sur les «i» lorsqu’on l’interroge sur les coûts opérationnels de l’appareil. Le magazine américain de science et technologie Popular Mechanics avait en effet estimé à 44.000 dollars le coût d’une heure de vol sur F-35, soit trois fois plus que sur n’importe quel autre appareil actuel. Le Rafale de Dassault n’était quant à lui «qu’à» 15.000 dollars.

«J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui parlent du coût de l’heure de vol, parce que les armées de l’air n’arrivent pas à les chiffrer de manière claire et comparative, mais des experts y arrivent», assène le général (2 S) de brigade aérienne.

Mais, quel que soit le coût d’une heure de vol sur F-35 ou Rafale, la question qui taraude notre intervenant demeure celle de savoir comment la Grèce va payer. D’autant plus que le pays n’entend pas se limiter à ces nouveaux chasseurs, français ou américains, doublés d’une mise à niveau de sa flotte de F-16 ou encore à la modernisation de sa flotte, ainsi que l’achat de nouvelles frégates dont l’US Navy ne voulait pas pour elle (et qui, d’ailleurs, pourraient coûter plus cher qu’annoncé…)

De profitables tensions géopolitiques

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Athènes pourrait ainsi faire valoir auprès des chantiers navals allemands une option pour l’achat de deux sous-marins supplémentaires (alors même que ceux précédemment livrés plongent de travers), ou encore des missiles, ainsi que des drones israéliens.

Profitant des tensions avec la Turquie, l’armée grecque fait peau neuve, ce qui n’est pas sans faire grincer des dents dans ce pays dont l’économie est mise à mal depuis des années et plus encore par la crise sanitaire provoquée par le Covid-19.

«Il faut aussi se souvenir que le budget grec de la Défense, c’est cinq milliards de dollars par an, pour une armée de 150.000 hommes. Le budget de la Défense française, c’est pratiquement dix fois plus pour une armée seulement deux fois plus nombreuse. Donc, l’armée grecque est une armée pauvre et je ne sais pas comment elle peut payer tout ce qu’elle veut s’acheter», insiste Jean-Vincent Brisset. 

Le général fustige ainsi le cynisme des responsables politiques français, rappelant que lors de la crise financière et des dettes souveraines on a «fait pleurer dans les chaumières» sur le sort des Grecs, et qu’«à l’heure actuelle, les mêmes se vantent de vendre à la Grèce de fabuleux contrats d’armement.»

Portefeuille français pour cadeaux français?

Les commandes aux industriels américains pourraient-elles être réglées grâce à l’argent européen, comme seraient tentées de le suggérer les mauvaises langues? «De toute façon, depuis la Pologne ou la Hongrie, l’argent européen termine souvent dans les caisses des entreprises américaines», relativise Jean-Vincent Brisset, en référence à la préférence –plus ou moins assumée– de certaines partenaires européens à acheter américain. Le général (2S) de brigade aérienne s’interroge, pour sa part, sur le montage financier entourant le pressenti contrat Rafale:

«Est-ce qu’on leur vend, est-ce qu’on leur donne? Là, manifestement, sur la première tranche de Rafale, on leur fait de gros cadeaux.»

Le chercheur associé à l’IRIS craint notamment qu’une partie de la note d’une commande d’Athènes à Dassault ne termine un jour sur les feuilles d’impôts des Français.

«Est-ce que le ministre des Affaires étrangères est en charge de renflouer les caisses de l’industrie de Défense française ou est-il en train d’aider un pays partenaire à s’équiper?», poursuit-il. Mais sur ce volet financier entourant les contrats d’armement tricolores, secret et opacité sont de mise.

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