S’en prendre «au portefeuille» de la France, vœu pieux d’un parti d’opposition ivoirien

© AFP 2023 LUDOVIC MARINEmmanuel Macron et Alassane Ouattara
Emmanuel Macron et Alassane Ouattara - Sputnik Afrique
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Lider, le parti de Mamadou Koulibaly, un des 40 candidats écartés de la course à la présidentielle ivoirienne remportée par Alassane Ouattara, a appelé au boycott des produits français en raison du soutien de Paris au nouveau Président. Une injonction qui a peu de chances d’avoir un impact significatif, selon certains observateurs.

Après les appels au boycott de ses produits dans des pays du Moyen-Orient pour protester contre les caricatures du Prophète, la France pourrait faire face à une nouvelle campagne hostile, cette fois-ci en Côte d’Ivoire. Ici, l’opposition ainsi qu’une partie importante de l’opinion publique lui reprochent son soutien au Président Alassane Ouattara qui «s’accroche illégalement au pouvoir».

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Vainqueur d’une présidentielle boycottée par ses opposants qui protestaient contre un troisième mandat «inconstitutionnel», Alassane Ouattara a trouvé en la France un soutien précieux, encore qu’habituel.

C’est en effet Paris qui l’avait installé à la présidence, dix auparavant, avec l’appui des États-Unis et de l’ONU au terme d’une guerre contre son rival Laurent Gbagbo. C’est donc encore une lettre du Président français Emmanuel Macron –le félicitant ce 11 novembre de sa réélection et du dialogue qu’il entend entamer avec l’opposition pour la décrispation de la situation qui a fait des morts par dizaines– qui est venue le réconforter dans ce bras de fer avec ses opposants. Ce courrier, adressé en catimini et dont l’authenticité a été confirmée, fait depuis lors le tour des réseaux sociaux, suscitant sur son passage bien des réprobations dans les rangs des détracteurs du Président Ouattara.

Une icône du panafricanisme et du «french bashing»

Ce soutien français déplaît particulièrement à Lider, le parti Liberté et démocratie pour la République fondé en 2011 par Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale et ancien ministre de l’Économie de Laurent Gbagbo.

Cette formation politique, qui se distingue régulièrement pour ses prises de position en faveur de la souveraineté monétaire ainsi que du droit à l’autodétermination de la Côte d’Ivoire et, partant, de l’Afrique tout entière a lancé un appel de boycott visant le «made in France».

Dans un message vidéo, une des figures de proue du parti panafricaniste, la Camerounaise Nathalie Yamb, a invité à «ne pas se tromper de combat»:

«La lutte que nous menons aujourd’hui est contre la violation de la Constitution et de nos droits, mais aussi pour la conquête de notre liberté et notre souveraineté à travers l’organisation d’élections libres, inclusives, transparentes et crédibles», a-t-elle déclaré dans une vidéo postée le 18 novembre sur la page Facebook de Lider.

Et dans cette «lutte», a précisé la militante panafricaniste, «l’adversaire à combattre est le grand marionnettiste qui tire les ficelles dans l’ombre et met à la tête des États africains des gens qui lui sont fidèles et redevables, au lieu de l’être à leur peuple», en pointant du doigt le gouvernement de la France.

Selon elle, l’appropriation des ressources naturelles et la sécurisation des intérêts de ses entreprises et hommes d’affaires étant ce qui préoccupe la France en Côte d’Ivoire, il va falloir les toucher là où «ça fait mal», autrement dit «leur portefeuille». Ainsi, plus concrètement, elle a invité les Ivoiriens à boycotter les produits et services de compagnies comme Total ou Orange, leader de la téléphonie dans le pays.
Nathalie Yamb n’en est pas à sa première déclaration fustigeant la politique française en Afrique. En octobre 2019, son discours prononcé lors du sommet Russie-Afrique qui a réuni à Sotchi une quarantaine de chefs d’État africains avait fait sensation, en particulier sur les réseaux sociaux où ses interventions ne laissent pas indifférente une partie de la jeunesse africaine.

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À cette grande rencontre internationale inédite, elle avait ouvertement critiqué la France pour sa mainmise sur l’Afrique, et notamment appelé à sortir du franc CFA et au «démantèlement des bases militaires françaises qui ne servent qu’à permettre le pillage des ressources et le maintien de dictateurs à la tête des États». Ce sont ses déclarations à Sotchi, de l'avis de certains analystes, qui lui ont valu d’être expulsée en décembre 2019 par les autorités de la Côte d’Ivoire, où cette Camerounaise résidait depuis une dizaine d’années.

Un «vœu pieux»

Si la France n’est aujourd’hui plus que le troisième partenaire commercial de la Côte d’Ivoire après la Chine et le Nigeria, ses intérêts dans ce pays, où elle dispose de près d’un millier de soldats, n’en demeurent pas moins importants, nombreux et variés. Ils vont des activités portuaires et aéroportuaires à la téléphonie, en passant par les hydrocarbures, les BTP ou encore l’énergie.

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Interrogée par Sputnik, Caroline Roussy, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), soutient que l’appel au boycott de Nathalie Yamb, s’il devait être suivi, n’aurait que peu d’impact.

«Nathalie Yamb est, certes, devenue une icône mais franchement, je crains que son appel ne serve à rien. Ceux qui consomment français ne sont pas tous nécessairement politisés. Donc l'impact risque d'être mineur», a-t-elle analysé.

Pour ce qui le concerne, Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et spécialiste de l’Afrique subsaharienne, estime que plutôt que de se focaliser sur la France, il faut avant tout regarder du côté des Ivoiriens.

«Je crois que le problème principal en Côte d’Ivoire est celui des Ivoiriens eux-mêmes. Certes, la France appuie Alassane Ouattara, mais les divisions internes sont l'obstacle majeur à l'unité et la stabilité du pays», a-t-il souligné, joint par Sputnik.

L’appel au boycott intervient au moment où le Président Ouattara est en train de finaliser ce qui a été décrit comme un «passage en force», envisageant, selon certaines indiscrétions, jusqu'à l'avancement de la date de son investiture. Ce qui contribuera sans doute à réduire les concessions qu'il serait prêt à accorder dans le cadre du dialogue avec l’opposition qu’il veut lancer.

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