Cameroun: Face à la menace de «décapitation», le parti de Kamto «ne cédera pas»

© Photo Pixabay / David_PetersonLe drapeau du Cameroun
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Des femmes du parti de Maurice Kamto, tenu captif à son domicile depuis deux mois, ont marché –certaines à moitié nues– à Yaoundé pour exiger sa libération. Dans le même temps, l’opposant de Paul Biya dénonce la traque des cadres de son parti. Une situation qui crispe l'atmosphère politique au Cameroun, à quelques jours des élections régionales.

Dans la mi-journée du samedi 21 novembre, les habitants de Yaoundé, la capitale du Cameroun, ont assisté à une nouvelle manifestation du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), parti d’opposition.

Cette fois, une vingtaine de femmes, à moitié dévêtues pour certaines, ont battu le pavé en signe de protestation, non loin du domicile de Maurice Kamto, pour exiger la levée du siège autour de l’habitation de leur leader, assigné à résidence depuis deux mois. Très vite, les images ont fait le tour de la Toile. Elles sont encore largement relayées malgré le petit nombre de manifestantes… et l’interruption de la marche manu militari.

Si Maurice Kamto ne fait l’objet d’aucun mandat d’arrêt ni d’aucune mesure judiciaire d’assignation à résidence, son domicile est encerclé par une centaine d’éléments de la gendarmerie et de la police depuis la veille des marches du 22 septembre dernier. Le président du MRC et d’autres partis de l’opposition avaient alors appelé à manifester pour exiger la résolution de la crise séparatiste dans les régions anglophones et la réforme consensuelle du code électoral avant la tenue prochaine des élections régionales.

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Malgré l’état de siège au domicile de leur leader, des contestataires avaient tout de même bravé l’interdiction des autorités administratives de manifester ce 22 septembre et des centaines d’individus avaient été arrêtés puis libérés, mais certaines personnalités demeurent toujours en détention. Parmi elles Alain Fogué, le trésorier du MRC, et Bibou Nissack, porte-parole de Maurice Kamto.

État de droit VS État de répression

La dernière manifestation du samedi 21 novembre a vite été étouffée par les forces de l’ordre et les femmes ont été interpellées dans la foulée, avant d’être libérées plus tard dans la soirée. Cependant, Mispa Awasum, la présidente nationale des femmes du MRC, leader de cette initiative, a été placée en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé ce lundi 23 novembre.

Maurice Kamto estime, dans un communiqué rendu public dimanche 22 novembre, que cette arrestation et les «menaces d’interpellation» qui planent sur d’autres cadres sont une stratégie du pouvoir de Yaoundé décidé «à décapiter le MRC et anéantir sa capacité à déployer ses activités politiques pour le réduire au silence».

«Mais face à cette répression et cette persécution dont il est victime, le MRC ne cédera pas […] Aucun embastillement de ses leaders, voire tous ses leaders, ne suffira à le tuer», peut-on lire.

Dans les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, on dément. Jacques Fame Ndongo, secrétaire à la communication du comité central, dans une lettre publiée ce 23 novembre en réponse au président du MRC, souligne que «le Cameroun est bel et bien un État de droit et des libertés». «Toutefois, un État de droit n’est pas un État de non-droit, et la liberté n’est pas le libertinage. Tout contrevenant aux lois et règlements de la République s’expose aux sanctions subséquentes», a-t-il écrit.

Déférée au tribunal militaire, Awasum Mispa a finalement été inculpée pour «complicité de révolution et de rébellion» et mise en détention provisoire pour six mois.

Pour des analystes comme Aristide Mono, enseignant des sciences politiques à l’université de Yaoundé 2, toutes ces tensions visent la neutralisation du parti de Maurice Kamto.

«Le MRC est un acteur pertinent érigé en ennemi de la nation par ses détracteurs pour mieux justifier la répression de ses ambitions politiques courageuses […]. L’objectif ici est à situer dans la stratégie globale d’ostracisme de ce parti. Et dans ce projet, en lieu et place d’une option de dissolution très difficile, on [le pouvoir de Yaoundé, ndlr] préfère certainement la mutilation de son leadership à travers l’usure psychologique», analyse le politologue au micro de Sputnik.

Qu’adviendra-t-il de Maurice Kamto?

À la suite d’un communiqué du gouvernement rendu public au lendemain des manifestations du 22 septembre, des hypothèses avaient circulé autour d’une suspension ou d’une interdiction du MRC, ou même de l’arrestation de Maurice Kamto. René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication, annonçait déjà que «certains organisateurs de cette aventure insurrectionnelle répondraient de leurs actes devant la justice». Le ministre avait par la même occasion souligné que la situation du leader du MRC tout comme son parti faisaient l’objet «d’un examen attentif par les instances judiciaires compétentes».

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Pour le moment, Yaoundé n’est pas allé jusqu’à interdire le parti ou interpeller officiellement son leader. Cependant, Aristide Mono pense que cette hypothèse fait son chemin car, soutient-il, «depuis des années, l’ordre dominant confesse en permanence son envie de faire mourir le MRC. Seulement, il n’a pas encore trouvé la formule la plus juridiquement et politiquement élégante».

«Le pouvoir tâtonne encore pour provoquer la faillite de ce parti. Tout l’appareil de l’État a été déjà réquisitionné pour le dissoudre, le faire abdiquer ou l’émasculer de façon moins dictatoriale mais le déploiement de moyens reste encore insuffisant pour atteindre les résultats escomptés», ajoute le politologue.

Pendant ce temps, la situation sociopolitique demeure tendue dans le pays et Maurice Kamto n’a toujours pas retrouvé sa liberté de mouvement. Jusqu’à quand? «La durée de cette assignation dépend de deux choses. D’un côté, le bien-fondé juridique de cette réclusion domestique. Yaoudé pourrait l’adosser à la tenue sans troubles de la campagne et du vote des élections régionales et dans ce cas, la libération ne pourrait intervenir qu’autour de décembre. D’un autre côté, tout dépend aussi du rapport de forces rééquilibré par le MRC et ses alliés ou par la communauté politique nationale et internationale face au pouvoir de Yaoundé», projette Aristide Mono.

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En attendant, Yaoundé a bien l’intention d’organiser les élections régionales dans le pays. Sans tenir compte des préalables exigés par le MRC et ses quelques alliés –notamment la résolution du conflit séparatiste et la réforme du code électoral–, ce scrutin est prévu pour le 6 décembre. D’ailleurs, les candidats retenus pour la course aux 900 postes de conseillers régionaux sont en campagne depuis le 21 novembre dernier.

Ces conseillers sont élus pour un mandat de cinq ans par un collège électoral composé de délégués, élus eux-mêmes par les conseillers municipaux. Si 16 partis sont en lice pour cette première élection régionale dans le pays, le RDPC part largement favori. En effet, à l’issue du scrutin municipal de février dernier, boycotté par le MRC, la formation au pouvoir compte plus de 10.000 conseillers municipaux et gère 316 communes sur les 360 du Cameroun. Une majorité qui devrait permettre au parti de Paul Biya de contrôler le Conseil régional, cette autre institution au cœur du processus de décentralisation.

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