Délit d’écocide: le gouvernement «pusillanime face aux grandes entreprises»?

© SputnikUn rassemblement contre les politiques du gouvernement en matière d’écologie, près de Total, le 19 avril 2019
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Les réactions à l’annonce de Barbara Pompili et Éric Dupond-Moretti de créer un «délit général de pollution», qui permettra de sanctionner les «bandits de l’environnement», sont mitigées. L’exécutif instaure en effet un délit et non un crime. Un avocat et un participant à la Convention sur le climat analysent cette loi pour Sputnik.

Pour les écologistes, c’est la déception. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique et Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, ont annoncé la création d’un «délit d’écocide». Sous couvert de reprendre une préconisation de la Convention citoyenne sur le Climat (CCC), cette proposition masquerait un laxisme écolo.

Ce projet de loi comportera deux grands axes: le «délit général de pollution» et le «délit de mise en danger de l’environnement». Deux éléments déjà prévus dans un rapport de 2019. Le premier tâchera de sanctionner la «présence d’une infraction d’imprudence, d’une violation manifestement délibérée d’une obligation et la plus lourde, d’une infraction intentionnelle ayant causé des dommages irréversibles». Quant au second, il permettra de pénaliser des entreprises de manière préventive, afin d’éviter les dommages.

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Sur France info, lundi 23 novembre, Barbara Pompili s’est réjouie en affirmant que «c’est le glaive de la justice qui va s’abattre sur tous les bandits de l’environnement.» Une grandiloquence qui ne trompe pas grand monde, semble-t-il. Sébastien Mabile, avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit environnemental, estime dans un entretien à Sputnik que si c’est une «bonne proposition» d’un point de vue juridique, «le terme écocide relève finalement plus de la communication gouvernementale que de la réalité de l’écocide

Loi sur l’écocide, «glaive de la justice» ou «entourloupe»?

Une position partagée dans un communiqué par Valérie Cabanes, membre du conseil consultatif de la Fondation Stop Écocide. Selon elle, l’utilisation du terme «tout en le vidant de sa substance est un mauvais tour à jouer aux citoyen.ne. s, cherchant à leur donner l’illusion qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient». Sur Twitter, la membre de Stop Écocide est allée plus loin, accusant le gouvernement d’«entourloupe».

Guy Kulitza, l’un des participants à la convention collective pour le climat (CCC) et membre de l'association «Les 150», regrette au micro de Sputnik que «limiter la définition de l’écocide à la pollution» retire de facto «du champ d’application la déforestation, pourtant considérée par Emmanuel Macron comme un crime d’écocide dans le cas de l’Amazonie.»

«Le fait d’extraire quelque chose du sol n’est pas considéré comme une pollution. Évidemment, les mines à ciel ouvert ne rentreraient pas dans le cadre de cette loi», soutient Guy Kulitza.

Pour le membre de l'association «Les 150», ce renoncement constitue donc un aveu de faiblesse de la part du gouvernement.

«Malheureusement, je constate que lorsque l’on fait des propositions ambitieuses et qui demandent non pas d’imposer des choses contraignantes à la population, car ça, ils le font sans problème, mais à des industriels, de grandes entreprises, ou encore, de grands syndicats patronaux, ils sont beaucoup plus pusillanimes», déplore-t-il.

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Les 150 membres, tirés au sort, de la Convention proposaient en effet de considérer comme un crime d’écocide –et non comme un simple délit– «toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées

Des espoirs déçus

Une définition jugée problématique pour le Président de la République. «Je souhaite que nous puissions étudier avec vous, avec l’appui de justice, comment ce principe peut entrer dans le droit français, dans le respect de nos principes fondamentaux. Ce n’est pas le cas de la rédaction qui est aujourd’hui proposée, mais je souhaite que nous puissions ensemble donner une suite à votre proposition et l’inscrire dans notre droit», avait-il argué lors de son discours du 29 juin 2020.

Dans une interview donnée au Journal du dimanche, Éric Dupond-Moretti a abondé dans ce sens. «À l’enthousiasme citoyen qui s’est exprimé doit succéder une traduction juridique dans le Code pénal», arguant un problème de constitutionnalité pour justifier l’abandon de la notion de «crime» au profit de «délit».

Or, cette nuance a des conséquences: dans le cas d’un crime, «les faits sont passibles d’une réclusion criminelle, donc plus de 10 ans d’emprisonnement, et jugés par une Cour d’assises», détaille Sébastien Mabile. «Là, on est dans le champ du délit, c’est-à-dire moins de 10 ans d’emprisonnement de peines encourues et jugé par un tribunal correctionnel. C’est quand même bien différent», souligne l’avocat spécialisé en droit environnemental au micro de Sputnik.

Sur Twitter, Cyril Dion, l’un des trois garants du bon déroulement de la CCC, a estimé que «La proposition qui sera présentée aux députés est infiniment moins ambitieuse que celle portée par la Convention citoyenne et ne correspond pas aux définitions internationales de l’écocide» a-t-il indiqué. Mais le militant écologiste a toutefois concédé, «une amélioration du droit».

​En outre, il existe déjà un arsenal juridique, notamment la directive de l’Union européenne de 2008 en matière de criminalité environnementale, ou encore, le code de l’environnement au niveau français. N’était-ce pas suffisant pour sanctionner les contrevenants?

Alourdissement des sanctions

Sébastien Mabile confirme effectivement que l’exécutif a repris une «infraction qui est codifiée à l’article L216-6 du code de l’environnement qui réprime les atteintes au milieu aquatique (eau, rivières, etc.).»

«Mais ils ont élargi le champ d’application de ce délit aux atteintes au sol, à la terre et à l’atmosphère. On rehausse aussi considérablement le quantum des peines qui sont encourues.»

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Celles-ci iront ainsi de trois à dix ans d’emprisonnement et les amendes de 375.000 euros à 4,5 millions d’euros pour le «délit général de pollution», contre deux ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende pour le délit d’atteinte au milieu aquatique. Et un an de prison et 100.000 euros d’amende pour le nouveau «délit de mise en danger de l’environnement

Par ailleurs, pour faire face à ces nouvelles infractions, le garde des Sceaux a annoncé la création de juridictions spécialisées. «Dans un chaque cour d’appel, il y aura un tribunal spécialisé compétent tant en matière civile, pour l’indemnisation des préjudices par exemple, qu’en matière pénale», a-t-il précisé.

Malgré cette amélioration du droit, Guy Kulitza craint que le gouvernement n’intègre pas les mesures émanant de la Convention collective dans la future loi climat de 2021. Et de fait, n’arrive pas à tenir ses engagements environnementaux. «D’une manière générale, ce qui nous importe est que l’objectif qui a été fixé à la Convention citoyenne soit respecté. C’est-à-dire réussir à réduire de 40% les gaz à effet de serre» à l’horizon 2030.

«D’autant plus que l’on risque de s’inscrire dans l’ambition européenne qui veut réduire de 55% les gaz à effet de serre pour 2030. Des objectifs qui vont au-delà même de notre mandat de départ. Je pense qu’il y avait véritablement une opportunité pour le gouvernement d’anticiper ces 55%, mais on a l’impression qu’ils font le contraire», conclut Guy Kulitza.
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