En RDC, le risque d’une confrontation armée est bien réel

© AFP 2023 JOHN WESSELSDes soldats des Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC)
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Dans un contexte de tension croissante avec son prédécesseur, le Président congolais s’est entretenu avec les commandants de l’armée et de la police pour s’assurer de leur loyauté, signe que le risque d’un conflit entre les partisans des deux hommes n’est pas une vue de l’esprit. Analyse pour Sputnik du chercheur Patrick Mbeko.

C’est ce mardi 1er décembre 2020 que le Président congolais Félix Tshisekedi s’est entretenu avec le haut commandement militaire des Forces armées congolaises (FARDC)  et les chefs de la police nationale congolaise à Kinshasa. Au menu des échanges, la loyauté des hommes en armes aux institutions de la République démocratique du Congo (RDC), particulièrement la présidence, dans un contexte de tension croissante entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur Joseph Kabila. Ce dernier a en effet gardé la haute main sur la plupart des institutions du pays, y compris l’armée où il compte encore de nombreux fidèles.

La rencontre entre le chef de l’État et les responsables des FARDC et de la police intervient deux jours après l’entretien que le chef de la Garde républicaine (GR, l’unité d’élite chargée de la protection du chef de l’État congolais), le général-major Christian Tshiwewe, a eu avec ses hommes. Au cours de cet échange, le haut gradé a exhorté les éléments de son unité à ne pas «comploter» contre Félix Tshisekedi.

«Je vous invite à ne pas comploter contre le pouvoir en participant à des réunions clandestines. Restez des patriotes habités par la loyauté, la fidélité envers le chef de l’État », a-t-il déclaré.

«Ma mission est de protéger le chef de l’État comme il se doit. Ne m’induisez pas en erreur», a-t-il insisté dans une vidéo diffusée par les médias congolais.

La déclaration du général-major Tshiwewe, tout comme la rencontre entre Félix Tshisekedi et les forces de sécurité, témoigne non seulement de la réalité des tensions qui traversent les différentes institutions sécuritaires du pays, mais aussi et surtout du risque d’un affrontement armé entre le camp de l’actuel chef de l’État et celui de son prédécesseur. 

Une mise en garde à peine voilée de Joseph Kabila

Joseph Kabila n’a pas attendu que les relations entre sa famille politique, le FCC (Front commun pour le Congo), et CACH (Cap pour le changement) de Félix Tshisekedi prennent un tournant irréversible pour agir. Depuis le début du mois de novembre, il a enclenché une intense offensive diplomatique en adressant une lettre aux chefs d’État membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) ainsi qu’au secrétaire général de l’ONU António Guterres pour dénoncer l’attitude du Président congolais qui, selon lui, ne respecte pas l’accord de coalition qu’ils ont conclu au lendemain du scrutin de décembre 2018. Celui-ci implique de la part des Kabilistes de renoncer à diriger seuls l’action gouvernementale alors même qu’ils en ont les moyens, étant majoritaires au Parlement, en échange d’un retour au pouvoir de Joseph Kabila en 2023.

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Dans cette correspondance, dont le magazine Jeune Afrique a dévoilé une partie du contenu, Kabila rappelle les grandes lignes de cet accord secret, accuse son successeur d’avoir l’intention d’écarter le FCC du jeu politique et dénonce «une tendance [de la part de Tshisekedi] de plus en plus prononcée à vouloir gouverner le pays, non pas sur la base de la Constitution et des lois de la République, mais plutôt sur la base de sa seule volonté ainsi érigée en norme suprême de l’État».
Si le ton de la correspondance est mesuré, Joseph Kabila ne se fait pas d’illusions sur la suite des choses au cas où Félix Tshisekedi refuserait de se conformer aux principes contenus dans leur accord.

« Mon intention, à ce stade, est d’informer [sur] cette déplorable situation», explique-t-il dans sa lettre.

Dans la même correspondance, tout comme dans une réunion organisée avec sa famille politique –le FCC– début novembre, Kabila n’a pas manqué de convoquer l’histoire en faisant allusion notamment à la crise politique survenue au lendemain de l’indépendance, en 1960, entre les acteurs politiques congolais et qui avait conduit au coup d’État du général Mobutu. «Nous assistons depuis plusieurs mois à des développements susceptibles de déboucher sur une crise institutionnelle grave, similaire à celle qu’a connu notre pays en 1960», souligne-t-il.

Il exhorte en même temps les chefs d’État de la SADC, et plus particulièrement les parrains de l’accord (l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Égypte), à ramener Tshisekedi à la raison afin d’éviter au Congo «la perspective d’une instabilité aux conséquences incalculables», écrit-il, toujours cité par Jeune Afrique.

Une analyse serrée de cette correspondance laisse penser que l’ancien chef de l’État n’exclut aucune éventualité, y compris l’affrontement militaire. Sa lettre semble tenir lieu de mise en garde à peine voilée. Un haut gradé contacté par l’auteur de ces lignes a affirmé craindre le pire à l’allure où vont les choses. «L’armée est très divisée», a-t-il confié.

Félix Tshisekedi en quête de soutien extérieur

Le fait que Félix Tshisekedi ait demandé aux hauts gradés de l’armée et de la police de réitérer leur loyauté à son égard témoigne justement de cette division. Le fait que le patron de la Garde républicaine ait exigé de ses hommes la même loyauté à l’égard de la présidence suggère que la crise politique qui oppose Kabila à Tshisekedi a déjà gagné les rangs des FARDC et des services de sécurité.

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En réalité, le chef de l’État congolais est conscient qu’il ne peut se fier totalement à une armée dont certains éléments restent attachés à son prédécesseur. Même au sein de la Garde républicaine, rien n’est gagné dans la mesure où elle est dominée par des militaires katangais réputés assez proches de Joseph Kabila et choisis par lui. L’actuel chef de la GR, le général Tshiwewe, 51 ans, était le commandant second en charge des opérations et renseignements de cette unité sous l’ancien régime, avant d’être élevé au grade de général-major par Félix Tshisekedi. Si le haut gradé a juré loyauté et fidélité à l’actuel chef de l’État congolais, on ne pourrait être 100% affirmatif s’agissant de la plupart de ses hommes.

C’est l’une des raisons qui ont certainement poussé Félix Tshisekedi à se tourner vers l’étranger. Le 16 novembre dernier, il s’est rendu en Angola où il s’est entretenu avec son homologue João Lourenço sur la situation politique en RDC. À la suite de cette visite, Kinshasa et Luanda ont convenu de renforcer leurs relations diplomatiques et militaires, au grand soulagement de Tshisekedi.

Le 20 novembre, les deux pays ont organisé un meeting aérien pendant lequel seuls deux avions de chasse angolais ont brièvement survolé Kinshasa «pour célébrer et magnifier l’entente parfaite entre les deux forces aériennes sœurs», a déclaré le porte-parole des FARDC, le général-major Léon-Richard Kasonga.

Mais dans le camp de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), le parti de Félix Tshisekedi, on affirme que cet exercice est un message lancé à Joseph Kabila.

À la rescousse...

Ce qui semble certain, c’est que la situation en RDC inquiète de plus en plus. Depuis quelques semaines, les pays de la région ainsi que la SADC multiplient les initiatives pour ramener les parties à la table de discussion. Le 24 novembre dernier, Stephen Kalonzo Musyoka, émissaire du Président kenyan Uhuru Kenyatta, a effectué une visite à Kinshasa au cours de laquelle il s’est entretenu séparément avec Félix Tshisekedi et Joseph Kabila pour trouver une issue à la crise qui oppose les deux hommes.

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Trois jours plus tard, l’instabilité politique congolaise a été au cœur des discussions au sommet extraordinaire de la troïka de la SADC. Dans un rapport remis le 30 novembre au Conseil de sécurité des Nations unies, c’est le secrétaire général António Guterres qui s’est dit préoccupé par la crise politique congolaise, appelant «toutes les parties prenantes à résoudre leurs différends par le dialogue, conformément à la Constitution».

Si au FCC on ne jure que par l’accord de coalition pour le retour à la normale, à CACH, on déclare à qui veut l’entendre qu’il n’y aura plus de coalition. En attendant les «grandes décisions» que devrait annoncer Félix Tshisekedi dans les prochains jours, tout le monde croise les doigts en espérant que le Congo ne plongera pas dans une nouvelle guerre civile.

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