Une plateforme pour signaler les points de deal: un «coup d’esbroufe» de Darmanin?

© AP Photo / Christophe EnaGérald Darmanin
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Comment mettre un coup d’arrêt au trafic de drogue? Pour Gérald Darmanin, il faut s’attaquer aux points de deal avec l’aide… du voisinage. Le ministre de l’Intérieur a annoncé la création d’une plateforme pour que les citoyens puissent les signaler. Un dispositif dont le Collectif Police contre la prohibition doute de l’efficacité. Entretien.

Gérald Darmanin persiste et signe: il veut prendre la lutte contre les stupéfiants à bras le corps.

Dans une interview donnée au Parisien, le ministre de l’Intérieur a annoncé la création d’une plateforme afin de permettre aux habitants de signaler les lieux de vente. Un dispositif qui devrait voir le jour en 2021. Cette démarche vise à éradiquer les potentiels nouveaux «fours», ces sortes de supermarchés de la drogue. Or, la France en compterait au total déjà 3.952, répartis en France métropolitaine et en outre-mer. Le marché illégal représenterait un chiffre d’affaires de 3,5 milliards en 2018.

«Darmanin nous sort ce truc pour le mois de décembre», tacle d’emblée Bénédicte Desforges.

Interrogée par Sputnik, la co-fondatrice du collectif Police contre la prohibition estime que ce nouveau dispositif n’est qu’un «effet d’annonce, un coup d’esbroufe». Pour l’ex-lieutenant de police, cette déclaration pourrait bien traduire «l’incapacité de Gérald Darmanin à annoncer de bons chiffres en matière de lutte contre les stupéfiants à cause du confinement

Des points de deal déjà connus par la Police

Pourtant, le nombre de points de deal reste très préoccupant. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur que Gérald Darmanin a révélés au Parisien, les départements qui en comptent le plus grand nombre en métropole sont la Seine–Saint-Denis (276), le Rhône (255) et le Nord (251). La Guadeloupe n’est d’ailleurs pas reste, puisqu’elle caracole en tête en termes de concentration. On y recense 129 «fours», soit 34,2 pour 100.000 habitants, bien loin des 16,5 points de deal pour 100.000 habitants de la Seine–Saint-Denis.

​Bénédicte Desforges tient à relativiser ces chiffres, car cela correspondrait selon elle «en partie à la densité démographique des régions». Ainsi, plus un département est densément peuplé, plus le nombre de points de deal serait important. En outre, elle dénonce également des «statistiques sans intérêt», puisqu’elle affirme que «ce sont des points de deal que les policiers connaissent par cœur depuis des années.»

«Tout le monde sait où ça se passe. Pour les nouveaux, c’est un peu mouvant, ça change de cage d’escalier, mais ils ne restent pas longtemps inconnus des forces de l’ordre. Il n’y a donc pas besoin de l’assistance des citoyens. Et puis quand les citoyens veulent dénoncer quelque chose, ils savent très bien composer le 17», souligne Bénédicte Desforges.

Pour l’ex-lieutenant de police, l’un des problèmes soulevés par ce nouvel outil réside dans les moyens humains à mobiliser sur cette tâche.

«Personne ne va se servir de cette plateforme»

Et pour cause, si des habitants venaient à effectivement signaler de nouveaux «fours», «qui serait en charge de trier et gérer les informations recueillies, alors que l’on déplore déjà le manque d’effectifs», s’interroge Bénédicte Desforges. En outre, la co-fondatrice de Police contre la prohibition prévient d’ores et déjà: «personne ne va se servir de cette plateforme.»

«Cela va être un numéro Vert de plus? Lorsque les gens sont gênés par un point de deal, ce n’est pas forcément une question de sécurité. Les points de deal sont plus un problème de tranquillité publique que de sécurité publique», avance-t-elle.

Un propos qui fait écho à la négociation pour le moins étonnante entre des locataires de la cité Charles-Schmidt à Saint-Ouen et des trafiquants. Les habitants de ce quartier ont décidé de fermer les yeux sur les activités illicites, en échange de quoi, les délinquants doivent s’assurer de ne pas provoquer de nuisance. «On habite là, on ne veut pas de nuisances, faites votre business de votre côté et nous, on profite de notre immeuble», résumait un locataire au Parisien.

Légaliser le cannabis pour éradiquer le trafic?

Reste que le trafic de drogue est une réalité qui a des conséquences. En septembre dernier, deux jeunes habitants de Saint-Ouen sont morts par balles, dans ce qui s’apparente à un règlement de comptes sur fond de trafic. Alors, comment les éradiquer? Des élus plaident pour une légalisation du cannabis.

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C’est le cas de Mathieu Hanotin, maire socialiste de la ville de Saint-Denis (93), qui estime que la lutte contre le trafic de stupéfiants pourrait passer par une légalisation du cannabis, couplée d’une réponse sécuritaire. Des propos qui font échos à ceux d’Éric Coquerel, député LFI de la première circonscription de la Seine–Saint-Denis, qui prévoit de construire, avec les habitants, une proposition de loi visant à «éradiquer le trafic de drogue», notamment grâce à la légalisation du cannabis sous contrôle d’État. Une substance qui est consommée par cinq millions de Français plus ou moins régulièrement.

Bénédicte Desforges abonde dans ce sens. Elle plaide ainsi pour un changement d’approche en réfléchissant à la question de la dépénalisation, voire de la légalisation. Mais surtout, elle souhaite que l’on s’interroge sur la manière de «décharger la police de certaines missions d’anticriminalité qui n’en sont finalement pas», telles que de dresser des amendes forfaitaires délictuelles pour consommation de cannabis.

«C’est une lutte sans fin […] On en revient toujours à la même chose, c’est un produit de consommation courante, ils n’ont qu’à réguler ce marché comme ils le font pour le tabac et l’alcool», conclut Bénédicte Desforges.
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