La Tunisie, champ de bataille de la guerre de la 5G entre Pékin et Washington

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Alors que plusieurs pays occidentaux ont choisi de faire bloc en refusant de laisser la Chine installer son réseau 5G, Pékin se tourne vers les marchés émergents. C’est sur ce terrain désormais que la bataille avec les États-Unis fait rage, notamment en Tunisie.

C’est l’ambassadeur américain qui a dégainé le premier en publiant jeudi 24 décembre une tribune dans le journal tunisien La Presse, mettant en garde contre l’adoption des technologies chinoises pour la 5G.

«La 5G peut entraîner des risques considérables en matière de protection des données personnelles et de sécurité», prévient Donald Blome.

Celui-ci affirme en effet qu’«aucun pays ne devrait confier ses réseaux à des entreprises redevables à des gouvernements autoritaires». Il cite à titre d’exemple le groupe Huawei qui est «soumis à la loi chinoise relative au renseignement national» et doit «remettre toute donnée au gouvernement du Parti communiste chinois sur demande». 

Le même jour, l’ambassadeur chinois rencontrait le ministre tunisien des Technologies de la communication et de la Transformation digitale. Hasard du calendrier ou réponse à l’offensive lancée par Washington? Difficile d’être affirmatif. Si des pressions sont exercées, si des négociations sont en cours, rien n’a pour l’instant été divulgué par les plus hautes instances du pays.

On ne sait pas ce qui se trame en coulisses, on peut simplement le supposer. Après avoir occupé le devant de la scène en Occident ces dernières années, la guerre de la 5G semble aujourd’hui avoir été gagnée par les États-Unis et la plupart de ses alliés ayant opté pour une mise à distance du géant chinois des télécoms Huawei, ce conflit s’est donc déplacé dans les pays en développement comme la Tunisie.

«Il y a une opposition croissante entre la Chine et les États-Unis. Et depuis au moins l’année 2018, Washington essaie de convaincre ses alliés de ne pas dépendre d’entreprises chinoises en matière d’infrastructures 5G», explique à Sputnik Antoine Bondaz, docteur en sciences politiques et enseignant à Sciences Po Paris.

L’argument mis en avant par Washington et dont rend compte la lettre de l’ambassadeur américain à Tunis est la sécurité. «Pour les Chinois, cela va être l’argument du libre accès aux marchés et la non-discrimination des entreprises», compare Antoine Bondaz.

Exacerbation de la compétition

Face à l’offensive, persuasive, américaine, les réactions des amis de Washington n’ont guère varié, encore qu’ils aient procédé chacun différemment sur la forme. «Les conséquences sont allées de l’interdiction formelle de la présence de Huawei sur le territoire –comme cela a été le cas en Australie dès 2018 et au Royaume-Uni cette année– à une interdiction de fait et progressive, comme en France par exemple», poursuit l’expert français.

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Dès lors, la Chine s’est tournée vers les États du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est. Et pour cause:

«Ils ne sont pas des alliés des États-Unis. Et pour ces pays, les relations se sont approfondies dernièrement avec la Chine en matière commerciale et en termes d’investissements. Le projet de route de la soie, notamment, vise surtout les pays en voie de développement mais pas seulement. La Chine insiste sur ce qu’elle appelle ‘la route de la soie digitale’ et donc la fourniture d’infrastructures de télécommunication.»

L’année 2021 pourrait marquer une exacerbation de cette compétition sino-américaine. Selon le chercheur français, «la Chine va être encore plus pro-active pour essayer de convaincre les pays en développement d’utiliser ses technologies». Le spécialiste prévoit que Pékin va renforcer son intérêt pour ces États de façon encore plus importante qu’auparavant, «on le lit dans les textes officiels, dans les grands discours chinois».

Yahia H. Zoubir, professeur de relations internationales et directeur de recherche en géopolitique à la Kedge Business School, voit lui aussi se dérouler en Tunisie un conflit qui dépasse largement les frontières du pays.

«Il faut mettre ça dans un contexte beaucoup plus large, il s’agit de la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine. Washington met la pression sur les États africains pour qu’ils se dissocient de Pékin, considéré comme une menace», explique-t-il à Sputnik.

Et même si la Tunisie est un pays souverain qui a la capacité de faire son choix, elle reste influencée par les grandes puissances mondiales. D’un côté, il y a Washington qui a pris du retard car son Président sortant Donald Trump «s’est désintéressé de l’Afrique dans un premier temps». De l’autre, il y a la Chine, «puissance montante, qui ne veut pas se limiter à la domination économique mais vise l’hégémonie». 

Et l’intérêt national tunisien dans tout cela?

Dans le débat qui agite aujourd’hui la Tunisie, Taoufik Halila refuse de prendre position. Ce n’est pas son rôle, dit-il. Le président de la chambre nationale des intégrateurs des réseaux télécom estime dans une déclaration à Sputnik qu’il s’agit avant tout d’une question économique, «la Tunisie doit être à jour». Pour lui, cette nouvelle technologie «doit apporter de la valeur ajoutée à son pays», il préfère donc laisser le volet politique aux politiciens.

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En décembre 2019, une étude a été commandée par les autorités tunisiennes à un cabinet privé de conseil en stratégie pour évaluer les potentielles retombées socio-économiques de l’introduction de la 5G en Tunisie, informe-t-il. Toutefois, aucune communication officielle n’a été faite par rapport à ses résultats, plus d’un an plus tard.

Le 10 décembre dernier, l’opérateur national de téléphonie Tunisie Telecom a annoncé avoir testé avec succès la 5G selon les solutions proposées par Huawei. Huit jours après, l’entreprise suédoise Ericsson tenait une conférence de presse à Tunis sur ses technologies pour la 5G. Les jours suivants, c’est l’opérateur qatari Ooredoo qui affirmait avoir essayé les solutions du finlandais Nokia, avec succès là aussi. La Tunisie a donc l’embarras du choix mais, selon Antoine Bondaz, si tous les pays cherchent à tirer le plus d’avantages technologiques et économiques de la 5G, «in fine, la décision est surtout politique».

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