Une «chasse aux sorcières»? Le Canada inquiet du retour des vacanciers partis dans les «destinations soleil»

CC BY 2.0 / Abdallahh via Flickr / Aéroport Pierre-Elliott Trudeau de Montréal
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Malgré les recommandations des autorités sanitaires, des milliers de Canadiens ont choisi d’aller séjourner dans un pays chaud durant leurs vacances de Noël. Des politiciens pris la main dans le sable ont été contraints de démissionner. Les voyageurs, des boucs émissaires? Sputnik s’est entretenu avec des vacanciers rebelles.

Habitant un pays réputé pour ses rudes températures hivernales, de nombreux Canadiens ont l’habitude d’aller se ressourcer durant l’hiver dans un pays chaud. Chaque année, ils sont donc plusieurs milliers à déferler sur les plages de Cuba, du Mexique et de la République dominicaine, entre autres «destinations soleil».

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Mais cette année, dans le contexte de la pandémie, les autorités –à défaut de l’interdire formellement– ont vivement déconseillé d’entreprendre des voyages «non essentiels» durant les Fêtes de fin d’année. Avant même le début des vacances, les cas de Covid-19 atteignaient des records un peu partout au Canada.

Les vacances de la discorde

Relayé par de grands médias comme TVA, l’afflux de Canadiens dans les aéroports a donc rapidement soulevé l’ire d’acteurs du milieu de la santé et de chroniqueurs influents tels que Richard Martineau:

«Pour les “défenseurs de la liberté” qui sévissent sur Internet, les citoyens qui se comportent de façon responsable et qui respectent les consignes sanitaires sont des peureux, des moutons. Alors que ceux qui se foutent de leurs voisins et qui ne pensent qu’à leur nombril sont de “courageux résistants”!», ironise le chroniqueur dans un texte du 29 décembre.

Publié par le Journal de Montréal le 28 décembre, un reportage sur les voyageurs «délinquants» a suscité une telle controverse que le gouvernement Legault, au Québec, a éprouvé le besoin de tenir une conférence de presse pour faire le point sur cette question. À cette occasion, Québec a annoncé qu’il menait de sérieuses discussions avec le gouvernement fédéral pour resserrer les règles et exiger des tests au départ et à l’arrivée des destinations de vacances. Le reportage fait état d’une situation aux accents chaotiques, où presque aucun plaisancier ne respecte les règles sanitaires jugées élémentaires au Canada.

«Les images qu’on a vues des vacanciers dans le Sud sont choquantes pour tout le monde, surtout pour ceux qui respectent les règles et pour les travailleurs de la santé», a déclaré Christian Dubé, le ministre québécois de la Santé, qui avait demandé sans succès au fédéral d’interdire ces voyages.

Selon Marie-Hélène Therrien, une romancière canadienne qui se trouve actuellement dans un hôtel du Mexique, les inquiétudes des gouvernements provincial et fédéral sont exagérées. D’après ses observations, les consignes sont strictes et respectées par la majorité des touristes dans les complexes hôteliers, du moins dans ceux situés sur les côtes mexicaines.

Les hommes politiques pris, eux aussi, en flagrant délit

Les Canadiens qui partent vers le Sud font généralement ce choix par besoin de repos et non par envie de désobéir, observe Mme Therrien.

«Les gens sont très disciplinés et portent le masque dans les espaces intérieurs. Je crois que les médias ont entamé une chasse aux sorcières contre les voyageurs. […] Il faut encourager l’économie du Mexique, qui dépend du secteur touristique, et je dirais même que c’est plus “santé” pour moi d’être au Mexique qu’à Québec», souligne la romancière à notre micro, auteur d’une série romanesque se déroulant dans les Caraïbes.

Dans la foulée des révélations sur les touristes rebelles, plusieurs politiciens ont été pris la main dans le sable alors qu’ils se trouvaient eux-mêmes en vacances dans un pays chaud. C’est notamment le cas du ministre des Finances de l’Ontario, Rod Phillips, qui s’était rendu sur la petite île de Saint-Barthélemy, dans les Antilles françaises. Il a été contraint de démissionner:

«Voyager pendant les Fêtes n’était pas la bonne décision, et je présente encore une fois mes excuses sans réserve», a déclaré le ministre démissionnaire.

Des députés ayant voyagé pour d’autres motifs que celui de prendre du soleil ont aussi attiré l’attention des médias et de leurs partis respectifs. Niki Ashton, une députée du Nouveau parti démocratique, deuxième opposition officielle à Ottawa, a été démise des fonctions après être allée rejoindre en Grèce sa grand-mère, qu’elle dit très malade.

Démissions de politiciens en cascade

Deux députés du Parti libéral du Canada que dirige le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau, ont aussi été contraints de quitter certaines fonctions pour s’être rendus aux États-Unis durant les Fêtes. Kamal Khera a affirmé s’être rendue aux États-Unis pour assister aux funérailles d’un oncle. Quant à Sameer Zuberi, son parti explique qu’il serait allé rendre visite au grand-père de sa femme, très malade.

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Président d’une compagnie de beauté pour hommes, Olivier Kult ne comprend pas «l’acharnement sur les voyageurs» qu’il perçoit dans les médias et sur les réseaux sociaux. Selon lui, les gens hostiles aux voyageurs devraient «éviter de juger» ceux qui ont besoin de «s’évader» pour des raisons de nature psychologique, surtout après une année éprouvante. L’homme d’affaires reconnaît toutefois que les règles sanitaires dans les complexes hôteliers sont plus souples que celles en vigueur au Canada:

«Les règles ne sont évidemment pas celles du gouvernement Legault. […] C’est normal de voir des dizaines de personnes jouer au volleyball sur la plage sans masque. Ces gens ne vont pas à l’encontre d’aucune règle au Mexique», explique-t-il.

La controverse est repartie de plus belle lorsque les Canadiens ont appris que certains vacanciers auraient droit à une compensation financière s’ils en faisaient la demande.

1.000 $ pour les voyageurs de retour des plages

En effet, la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique permet aux Canadiens dans l’impossibilité de travailler pendant leur quarantaine d’empocher un montant de 1.000 dollars. Une quarantaine obligatoire de 14 jours est exigée à tous les Canadiens de retour au pays.

Audrey Leclerc, propriétaire d’une boutique pour enfants à Shawinigan, au Québec, confie à Sputnik que certains de ses proches refusent de lui adresser la parole depuis son retour du Yucatan, au Mexique. Elle se dit «exaspérée» par «l’image de l’irresponsable qui voyage»:

«Ce qui est véhiculé dans les médias est totalement faux. C’est à peine si j’ai croisé des gens pendant mon voyage sur mon complexe. Ce sont des chaises longues et lits disponibles à profusion. Plusieurs sections et boutiques fermées. […] Le seul endroit où j’ai senti m’exposer à un risque est l’avion», conclut-elle.
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