Un haut fonctionnaire béninois limogé pour sa prise de position contre le franc CFA

© AFP 2023 PROSPER DAGNITCHEL'Assemblée nationale du Bénin
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Au Bénin, un membre du Parlement a été démis de ses fonctions pour s’être permis de désapprouver le franc CFA, qu’il a assimilé à une monnaie de servitude. Il a également affirmé que le Bénin ne comptait pas adopter l’éco, la devise commune à venir. Son limogeage a soulevé un torrent de critiques chez les anti-CFA.

Cinq ans après le début de la vague de protestations contre le franc de la Communauté financière africaine (CFA), utilisé par 14 pays d'Afrique, le sujet demeure sensible. À tel point que certains en arrivent à perdre leur poste pour leurs prises de position.

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C’est le cas, en ce début d’année 2021, d’Yves Ogan: le directeur des services législatifs de l’Assemblée nationale béninoise a été limogé ce 5 janvier. Il avait dénoncé, dans un entretien accordé à Morid TV, une chaîne de télévision privée en ligne, le caractère nocif du franc CFA sur les économies des pays dans lesquels cette devise était en vigueur. Pour lui, le Bénin et les autres États de l’UEMOA –l’Union économique et monétaire ouest-africaine– doivent se défaire de cette monnaie qu’il estime être «un instrument de servitude et de domination» de la France depuis 1945. Il considère par ailleurs qu’elle n’est pas favorable à leur développement économique.

Yves Ogan s’exprimait la veille de la plénière du 22 décembre consacrée aux questions au gouvernement sur le franc CFA et l’éco –la nouvelle monnaie en gestation appelée à lui succéder.

La sanction contre l’ex-directeur des services législatifs est venue directement de la présidence du Parlement qui a annoncé son remplacement immédiat par le juge d’instruction Olushegun Serpos. La veille de cette décision, lors d’un point de presse, le directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale Mathieu Ahouansou s’est clairement démarqué de cette prise de position, affirmant que l’institution ne se reconnaissait pas dans les propos tenus par Yves Ogan.

Lâcheté politique du gouvernement pour certains…

À défaut d’une réaction de l’ex-directeur des services législatifs du Parlement béninois, son limogeage est dénoncé par de nombreux militants contre le franc CFA comme une entorse à la libre expression.

L’activiste camerounaise contre le franc CFA Nathalie Yamb, conseillère exécutive de l’opposant ivoirien Mamadou Koulibaly, lui-même anti-franc CFA, apporte son soutien à Yves Ogan.

Réagissant à cette décision, Kémi Séba, le président de l’ONG Urgences panafricanistes, qui mène depuis quelques années une campagne acharnée contre la devise ouest-africaine, a accusé le gouvernement béninois de «lâcheté politique» et d’un alignement avec les intérêts français.

«En sanctionnant M. Ogan, en se démarquant de la position courageuse de M. Ogan qui est en réalité une position normale pour toute personne dotée de dignité  et de raison, le Parlement béninois fait preuve d’une lâcheté politique historique dont la jeunesse africaine, la jeunesse d’Afrique francophone, se souviendra», a condamné Kémi Séba cité par Banouto, un journal en ligne béninois.

Il affirme d’ailleurs que ce limogeage lève le voile sur «un flou» entretenu depuis trop de temps sur la position du gouvernement pour ou contre le franc CFA. «Il faut que les autorités sachent que la jeunesse africaine s’en souviendra», prévient-il.

Afrik.com, un autre site d’information béninois, n’est pas en reste dans son éditorial du 6 janvier. Il considère que le limogeage systématique, par les gouvernants africains, des élites qui prennent position sur les questions sensibles relatives à la souveraineté, à l’indépendance de leur pays, voire de leur continent –comme c’est le cas avec le franc CFA– reste problématique.

… populisme pour d’autres

L’économiste togolais Nadine Khalife, ancien doyen de la faculté des sciences économiques de l’université de Lomé et l’un des rares soutiens du franc CFA au Togo, confie à Sputnik que les mouvements anti-franc CFA sont «des mouvements populistes». Ils sont conduits par des acteurs «qui ne sont pas de vrais économistes et le plus souvent motivés par d’autres pays, désireux de supplanter la France et d’avoir ses avantages actuels sous le régime de la devise ouest-africaine».  

Par ailleurs, la question est si sensible que beaucoup hésitent à se prononcer là-dessus, de peur de représailles.

«Les autorités des pays où le franc CFA est en vigueur sanctionnent ces prises de position parce qu’elles manquent de courage pour afficher leur propre position à ce sujet», explique-t-il.

En novembre 2017, l’économiste et homme politique togolais Kako Nubukpo a été remercié et démis de ses fonctions à l’OIF, l’Organisation internationale de la francophonie du fait de ses critiques régulières à l’encontre du franc CFA –qu’il estimait asphyxiant pour les économies africaines– et, surtout, à la suite d’une tribune acerbe publiée dans Le Monde Afrique contre Emmanuel Macron. Le Président français avait déclaré quelques jours plus tôt devant des étudiants burkinabés à Ouagadougou que le franc CFA était «un non-sujet pour la France». Dans son article, l’économiste avait jugé ces propos «déshonorants pour les dirigeants africains».

Déjà, deux ans plus tôt, Kako Nubukpo n’avait pas été reconduit dans ses fonctions de ministre en charge de la Prospective dans le gouvernement du Président de Faure Gnassingbé, toujours à cause de son engagement contre le franc CFA.

De même, en 2019, l’opposant ivoirien Mamadou Koulibaly a révélé qu’à l’époque où il était ministre de l’Économie, sous la présidence de Robert Gueï, l’ex-Président français Jacques Chirac avait expressément demandé aux autorités de l’exclure du gouvernement pour ses invectives contre la devise commune ouest-africaine. Une requête à laquelle s’était opposé le chef de l’État ivoirien, affirme l’ancien ministre.

Du franc CFA à l’éco

Malgré la forte sensibilité encore perceptible sur la question du franc CFA en Afrique et dans les huit pays de l’UEMOA dans lesquels il est en vigueur, le processus d’adoption d’une nouvelle monnaie, l’éco, est bien en marche.

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En décembre 2020, l’Assemblée nationale française a adopté un projet de loi autorisant l’approbation du nouvel accord de coopération monétaire entre la France et les États membres de l’UEMOA signé fin 2019. Ce texte remplace celui de 1973 et comprend quatre axes, dont le premier confirme le nom de la nouvelle devise qui sera l’éco.

Selon un communiqué de la Direction générale du Trésor français, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne sera plus obligée de centraliser ses réserves de change sur le compte d’opérations du Trésor français avec l’avènement de cette monnaie. De même, elle ne devra plus déposer 50% de ses réserves sur un compte du Trésor français, comme c’est le cas avec le CFA. En outre, la France ne sera plus représentée dans les instances de gouvernance de l’institution monétaire. Mais la France restera, dans le nouvel accord, le garant financier de l’éco et la parité de la devise ouest-africaine avec l’euro demeurera inchangée, à l’instar du franc CFA.

À noter que l’éco ne devrait pas être en vigueur uniquement au sein de l’UEMOA, mais aussi dans les autres pays membres de la Cedeao. Cependant, à ce stade, le processus d'intégration de la nouvelle monnaie n'est toujours pas acquis. 

Entre-temps, et tout en critiquant des changements de façade, voire de nom, les anti-franc CFA ont déjà amorcé leur conversion en anti-éco.

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