737 Max: à coups de milliards, Boeing s’exonère de procès aux États-Unis

© AP Photo / Nick UtFile-In this Wednesday, May 21,2008 file photo, the company logo for The Boeing Co., is displayed in El Segundo, Calif. Boeing Co. say it's cutting 1,100 jobs from its U.S. plants, most of them in Southern California, as it scales back production of its C-17 cargo planes.
File-In this Wednesday, May 21,2008 file photo, the company logo for The Boeing Co., is displayed in El Segundo, Calif. Boeing Co. say it's cutting 1,100 jobs from its U.S. plants, most of them in Southern California, as it scales back production of its C-17 cargo planes. - Sputnik Afrique
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Accusé de «complot» contre les autorités américaines, Boeing a accepté de verser 2,5 milliards de dollars afin de solder plusieurs poursuites à son encontre. Ce n’est pas la première fois qu’une compagnie américaine paie pour échapper, en partie, à la justice de son pays.

Boeing ne plaidera pas coupable dans le cadre des poursuites criminelles engagées à son encontre après les crashs de la Lion Air et d’Ethiopian Airlines, survenus respectivement en octobre 2018 et mars 2019, qui ont fait 346 morts. Officiellement accusé de «complot» en vue de commettre une fraude, le géant de l’aéronautique est parvenu à un accord avec le département de la Justice (DoJ) a annoncé ce dernier le 7 janvier. L’avionneur versera ainsi 2,5 milliards de dollars (2 milliards d'euros) en échange de l’abandon de certaines poursuites.

«Les employés de Boeing ont choisi la voie du profit sur la franchise en cachant à la Federal Aviation Administration [FAA, l'agence fédérale de l'aviation civile américaine, NDLR] des informations importantes concernant l’exploitation de son avion 737 Max et en s’efforçant de dissimuler leur tromperie», a déclaré le procureur général adjoint par intérim David Burns, de la division pénale du ministère de la Justice.

Best-seller de Boeing, le 737 Max a connu un pic de commande à plus de 5.000 exemplaires, atteint en 2018, avant que la crise de confiance due aux crashs ne fasse redescendre ce chiffre à 4.619. - Sputnik Afrique
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«Cette résolution tient Boeing responsable de la faute criminelle de ses employés, règle le problème de l'impact financier sur les compagnies aériennes clientes de Boeing et, espérons-le, fournira une certaine compensation aux familles et aux bénéficiaires des victimes de l'accident», a poursuivi le magistrat. Une résolution qui «nous permet de reconnaître de façon appropriée que nous avons failli à nos valeurs et à nos attentes», a acquiescé David Calhoun, directeur général de Boeing, estimant que cet accord était la «bonne chose à faire».

Un satisfecit qui n’est pourtant pas du goût de Peter DeFazio, représentant démocrate qui a supervisé l’enquête sur les circonstances des deux catastrophes aériennes. Celui-ci a en effet estimé que l’accord «ne représente qu'une tape sur la main pour Boeing» et qu’il était «une insulte aux 346 victimes décédées des suites de l'avidité de cette entreprise».

Une série d’enquêtes ont dévoilé notamment la collusion entre la FAA et Boeing. Au-delà du fait que le régulateur aérien américain a été le dernier à suspendre les vols des 737 Max, l’agence laissait en effet l’avionneur «autocertifier» ses appareils. Pour rappel, l’entreprise de Seattle était alors bousculée par la concurrence surprise d’Airbus qui sortait l’A320 Neo. L’avionneur américain avait précipité la sortie du 737 Max, successeur du B737. Pour rendre son dernier-né plus attractif et rattraper son retard sur le marché des monocouloirs, l’avionneur promettait aux compagnies qu’elles n’auraient pas besoin de former leurs pilotes aux commandes du Max.

L’appareil est devenu le best-seller de Boeing. Plus de 5.000 exemplaires avaient été commandés au moment de son immobilisation en mars 2019. Toutefois, l’absence de formation des pilotes s’est avérée fatale face aux déclenchements inopinés du système anti-décrochage MCAS (pour Manoeuvring Characteristics Augmentation System). Un dispositif développé pour le Max, dont Boeing n’avait pas mentionné l’existence auprès de la FAA. Histoire de raccourcir les délais d’homologation et donc de précipiter la mise sur le marché!

2,15 millions de dollars par vie humaine?

L’accord entre Boeing et le département de la Justice ne manque pas de provoquer un certain émoi. D’abord, parce qu’il laisse l’impression que la vie humaine n’aurait qu’une valeur fiduciaire aux yeux de la justice des États-Unis. Ensuite, par le fait que seul 20% de la somme versée par Boeing (500 millions de dollars) ira à un fonds d’indemnisation des victimes des deux catastrophes. La majeure partie de la pénalité que Boeing a négociée avec les autorités américaines (1,77 milliard) ira… au dédommagement de ses clients ayant commandé des 737 Max. Quant au reste (243,6 millions de dollars), il ira aux autorités américaines à travers une amende pénale. Un rapide calcul, en prenant en compte cette amende, établit donc un montant moyen de 2,15 millions de dollars par victime déboursé par Boeing.

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Pour autant, ce type d’accord est loin d’être un cas exceptionnel aux États-Unis. En 2007, dans le cadre du scandale du Vioxx, un anti-inflammatoire notamment prescrit dans le traitement de l’arthrose et accusé de provoquer des problèmes cardio-vasculaires, le laboratoire pharmaceutique Merck a déboursé 4,85 milliards de dollars pour que la justice américaine abandonne la plupart des poursuites. Un règlement, global, auquel s’est résigné le laboratoire après avoir été condamné par un tribunal texan à verser 250 millions de dollars à une victime… à titre individuel.

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Au moment où Merck a consenti à passer à la caisse, plus de 3.460 décès aux États-Unis avaient été imputé au Vioxx. Aujourd’hui ce bilan dépasse les 40.000, sans compter les victimes en dehors des États-Unis. Certains médias vont jusqu’à souligner la surmortalité d’un demi-million d’Américains durant les quatre seules années ou l’anti-inflammatoire a été distribué. Merck, aujourd’hui numéro quatre mondial du secteur au coude-à-coude avec Pfizer, connaissait dès 2001 les dangers de son médicament commercialisé en 1999. Le laboratoire a néanmoins tout fait pour retarder son retrait du marché (en 2004), communiquant délibérément des résultats d’études incomplets. De surcroît, le décaissement n’avait pas empêché Merck d’annoncer pour 2007 un bénéfice par action supérieur aux attentes du marché.

Rester bénéficiaire malgré une grosse amende, la situation rappelle le cas de la BNP. Pour avoir violé des embargos unilatéraux états-uniens, la banque française a été condamnée en 2014 à verser une amende record de 8,9 milliards de dollars ainsi qu’à plaider coupable… une note bien salée alors qu’elle n’avait, elle, provoqué aucun crash meurtrier. Mais la banque, bien sûr, contrairement à Boeing, n’est pas américaine.

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