Nord Stream 2: «l’Europe est majeure, elle n’a pas à demander l’autorisation aux États-Unis»

© Sputnik . Ilya Pitalev / Accéder à la base multimédiaNord Stream 2
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Le projet Nord Stream 2 est à nouveau visé par le Congrès américain, qui a adopté un élargissement des sanctions à son encontre. Pour Jacques Percebois, président du CREDEN, ce projet gazier reliant la Russie à l’Allemagne, qui fait l’ombre aux ambitions de l’industrie gazière américaine, verra bien le jour pour au moins quatre raisons. Éclairage.

Sur le point d’être achevé, le projet de seconde conduite du Nord Stream est toujours sous le feu juridique états-unien. Ce dernier a d’ailleurs redoublé début janvier à l’occasion de l’adoption par le Congrès du budget de la Défense. Dans la foulée de l’approbation des sénateurs de l’extension des sanctions, le groupe norvégien de vérification et certification DNV GL annonçait ainsi son retrait des travaux qui doivent reprendre le 15 janvier dans les eaux danoises.

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«Coup fatal» de dernière minute porté à un chantier à 96% terminé ou baroud d’honneur de l’administration américaine? Pour Jacques Percebois, président du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN), c’est la seconde option qui devrait prévaloir. Revenant notamment sur l’agacement grandissant de la Commission de Bruxelles ainsi que des eurodéputés face aux injonctions américaines, le président du CREDEN se montre «pas trop pessimiste» à propos de la prochaine mise en service du Nord Stream 2.

«L’Union européenne ne souhaite pas remplacer une dépendance à l’égard de la Russie contre une dépendance à l’égard des États-Unis», estime Jacques Percebois. «L’Europe est majeure, elle n’a pas à demander l’autorisation aux Américains à chaque fois qu’elle fait quelque chose», insiste-t-il.

Ces pressions américaines afin que l’Europe tourne le dos aux énergies fossiles russes ne datent pas d’hier, rappelle l’universitaire. Il évoque son expérience lorsqu’en 1981, lors des «réflexions» entreprises par les autorités françaises «sur la dépendance à l’égard du gaz soviétique», celles-ci essuyaient déjà les invectives de Washington quant au risque –«pas crédible», selon le président du CREDEN– que Moscou ferme un jour le robinet.

L’Allemagne ne veut pas céder aux diktats américains

Au-delà de «cette idée qu’il y a une pression américaine qui devient de plus en plus insupportable politiquement», avec laquelle devra d’entrée de jeu composer Joe Biden, trois autres raisons plaideraient en faveur d’un achèvement des travaux, d’après le chercheur. La première, économiquement évidente, est le niveau d’avancement du projet. Un arrêt du chantier représenterait une perte de poids pour les partenaires européens de ce projet ayant déjà couté 10 milliards d’euros.

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La deuxième, de taille, est que l’Allemagne ne devrait pas renoncer à défendre ses intérêts économiques et énergétiques face aux pressions américaines. Si Angela Merkel a semblé chanceler suite à l’affaire Navalny, dans laquelle le sommet de l’exécutif russe a été accusé par la Défense allemande d’avoir ordonné une tentative d’assassinat sur un opposant, les autorités de Poméranie occidentale –où doit aboutir le gazoduc– ont d’emblée annoncé leur intention de contourner les sanctions.

Par ailleurs, le futur 45e Président des États-Unis, «assez germanophile», serait tenté d’avoir de bonnes relations avec Berlin, estime Jacques Percebois. L’Allemagne demeure en effet le premier partenaire commercial des États-Unis en plus d’être le principal pilier européen de l’Otan.

«Le nouveau Président aura à cœur de ne pas trop gêner l’Allemagne. Dans le contexte actuel, l’Allemagne a besoin du gaz pour sortir du charbon […] on a vu les tensions sur le marché de l’électricité la semaine dernière, ce ne sont pas les renouvelables qui sont la solution à court terme», souligne Jacques Percebois.

Clin d’œil aux difficultés rencontrées la première semaine de janvier sur le marché européen de l’électricité, provoquant une remontée en flèche des cours du gaz. Pour terminer, le Président du CREDEN estime surtout que les États-Unis devraient avoir dans les prochains mois «d’autres chats à fouetter» du côté de l’Asie, notamment avec le réchauffement des tensions entre Pékin et Taïwan ou encore les dossiers hongkongais et nord-coréen.

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«À mon avis, il va y avoir un compromis», considère Jacques Percebois. Une porte de sortie qui pourrait se traduire par l’assurance des Européens de ne pas négliger les Américains dans leurs achats énergétiques. Ces derniers ont d’ailleurs déjà vu leurs exportations vers le marché européen bondir depuis que le pays de l’Oncle Sam est devenu coup sur coup le premier producteur puis le premier exportateur mondial d’hydrocarbures. Une prouesse rendue possible par la démocratisation par Barack Obama de l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste ainsi que par le perfectionnement de la fracture hydraulique ou «fracking». Une filière américaine toutefois particulièrement mise à mal par la crise du Covid.

«Soyons clairs: le gaz russe est plus compétitif que le gaz de schiste américain, parce qu’il faut notamment le liquéfier, le transporter […] Sur le long terme, je pense qu’on ne peut pas se passer du gaz russe.»

Une pénurie de débouchés pour cette filiale qui pourrait ainsi expliquer le regain «d’intérêt» des autorités américaines pour le Nord Stream 2. Pour autant, le marché européen est lui-même «dans l’incertitude», rappelle Jacques Percebois. Ce dernier souligne notamment le déclin des gisements hollandais ou encore certaines décisions politiques au nom de la transition écologique. En effet, dès cette année, le chauffage au gaz est interdit dans les logements neufs en France. Une décision de Paris «peu réaliste» aux yeux de notre intervenant, alors même que le pays entreprend une baisse de régime de sa production d’électricité d’origine nucléaire.

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Deux choses restent néanmoins certaines à ses yeux, sur un tel dossier les divisions des Européens font le jeu de la puissance américaine. Si les pays baltes ou la Pologne dénoncent traditionnellement des divisions qui feraient le jeu de Moscou, Jacques Percebois souligne quant à lui la réaction plus que «timorée» de la France suite à l’annonce du premier train de sanction contre Nord Stream 2.

Le Président du CREDEN tient ainsi à rappeler la prise et le renforcement du leadership européen par Berlin, ce qui déplait fortement à Paris et joue par extension le jeu des dissensions au sein de l’Union. Deuxième point à ne pas négliger au sortir d’élections américaines particulièrement mouvementées: «il ne faut jamais sous-estimer le poids du Sénat ni celui des intérêts objectifs américains.» Piqûre de rappel salutaire: aux États-Unis, contrairement à la France, ce n’est pas le Président qui décide de tout.

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