Trump banni des réseaux sociaux: «On peut parler de nouvelle prohibition avec cette atteinte à la liberté d’expression»

© AFP 2023 OLIVIER DOULIERYLe compte Twitter de Donald Trump (illustration)
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Les comptes de Donald Trump ont été suspendus par plusieurs réseaux sociaux, dont Facebook, Instagram et Twitter. Du jamais-vu. Le réseau à l’oiseau bleu a invoqué un «risque de nouvelles incitations à la violence» de la part du Président américain. Pour l’essayiste Anne-Sophie Chazaud, cette décision est lourde de conséquences.

Silence radio. Depuis le 8 janvier et la suspension pour une durée indéfinie de son compte Twitter, Donald Trump est privé de son moyen de communication privilégié. «Après examen approfondi des tweets récents de @realDonaldTrump et du contexte actuel –notamment comment ils sont interprétés– [...] nous avons suspendu le compte indéfiniment à cause du risque de nouvelles incitations à la violence», a justifié la firme californienne dans un communiqué paru dans la foulée.

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En cause, d’après le réseau social: deux tweets postés le 8 janvier. Dans le premier, le Président sortant désigne ses électeurs comme des «patriotes américains», qui ne seront plus selon lui «insultés ou traités de manière injuste» à l’avenir. Dans le second, Donald Trump se contente de signifier qu’il ne se rendra pas à la prestation de serment, le 20 janvier, censée introniser Joe Biden 46e Président des États-Unis.

Mais, pour Anne-Sophie Chazaud, auteur de Liberté d'inexpression: des formes contemporaines de la censure (Ed. L’artilleur), «les événements du Capitole, qui n’avaient rien d’un putsch mais qui étaient plutôt tragi-comiques, ont servi d’alibi pour lancer l’offensive de grande purge et d’épuration idéologique pour les soutiens de Donald Trump et pour Donald Trump lui-même».

«Règne de l’arbitraire idéologique total»

L’explication apportée est en effet pour le moins alambiquée: pour Twitter, Donald Trump laisse entendre son soutien aux manifestants violents du Capitole en qualifiant ses supporters de «patriotes américains». Avec son deuxième tweet, le dernier en date donc avant la suspension de son compte, l’ancien magnat de l’immobilier supposerait que son absence lors de la prestation de serment ferait de l’événement une «cible sûre».

Autrement dit, ses partisans auraient alors le champ libre afin de réaliser une action possiblement violente. «On est dans le règne de l’arbitraire idéologique total: désormais, une suspicion d’opinion non-conforme peut valoir une suspension sur les réseaux sociaux», fustige Anne-Sophie Chazaud.

«La liberté d’expression est pourtant protégée aux États-Unis par le Premier amendement: l’activisme idéologique permis par les réseaux sociaux va donc à l’encontre de la Constitution, sous le prétexte fallacieux de protéger la démocratie américaine», poursuit l’essayiste.

L’ancienne ambassadrice de Trump à l’Onu, Nikki Haley, est aussitôt montée au créneau au lendemain de cette décision en affirmant que «réduire les gens au silence de la sorte est quelque chose qui se passe en Chine, pas dans notre pays».

Le fils du Président, Donald Trump Jr, s’est quant à lui voulu définitif: «La liberté d’expression n’existe plus en Amérique». Twitter et Facebook sont-ils bien dans leur rôle en modérant puis en supprimant les déclarations du Président américain?

«Idéologie progressiste dominante»

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Pour Jean-Marc Royer, fondateur de Netino, une société qui propose notamment un service de modération des contenus numériques, «c’est le rôle d’un réseau social de contrôler ce qui est dit sur sa plateforme et de modérer le cas échéant». «Il est de leur devoir de retirer les propos qui seraient illégaux. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils ne l’aient pas fait plus tôt», poursuit-il au micro de Sputnik.

Un constat qu’est loin de partager Anne-Sophie Chazaud, qui décèle dans ces suspensions une forme d’agenda politique de la part des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). «Il y a une forme de rétablissement du délit d’opinion et de la censure comme outil d’action politique pour ces plateformes. On peut parler de nouvelle prohibition avec cette atteinte à la liberté d’expression».

«Les GAFA fonctionnent désormais de la même manière que les médias traditionnels: ils disent la même chose, pensent la même chose et pratiquent la même censure. Ils deviennent en réalité des prescripteurs d’opinion selon une partition entre mondialistes d’un côté et souverainistes de l’autre», tance-t-elle.

La subtilité vient en effet du statut accordé aux principaux réseaux sociaux. Selon la législation en vigueur aux États-Unis, ces derniers ont le statut d’«hébergeur» et non d’«éditeur». Autrement dit, Twitter ou Facebook ne peuvent être tenus responsables devant les tribunaux de ce qui est publié ou partagé sur leurs plateformes.

«Le risque, c’est que chaque citoyen soit menacé de censure et de bannissement si ses opinions ne conviennent pas à l’idéologie progressiste dominante au cœur des entreprises de la Silicon Valley. Nous en sommes déjà là aujourd’hui aux États-Unis», s’inquiète Anne-Sophie Chazaud.

«Oligarchie digitale»

En France, la loi Avia contre les contenus haineux sur Internet voulait justement réviser ce statut en contraignant les réseaux sociaux à supprimer sous 24 heures tout contenu numérique jugé haineux, sous peine de sanctions économiques pouvant aller jusqu’à un million d’euros pour chaque contenu non modéré.

Si le texte de loi a été retoqué par le Conseil constitutionnel en raison de son «inconstitutionnalité», l’assassinat de Samuel Paty a remis le projet sur la table, via l’article 18 du projet de loi confortant les principes républicains (ex-loi contre le séparatisme).

La classe politique française, aussi bien à droite qu’à gauche, a d’ailleurs quasi unanimement regretté la décision de Twitter de fermer le compte de Donald Trump. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est dit ainsi «choqué» de la suspension définitive du compte du Président américain. «La régulation des gens du numérique ne peut pas se faire par l'oligarchie numérique elle-même. L'oligarchie digitale est une des menaces qui pèsent sur les États et sur les démocraties. La régulation est nécessaire, mais doit se faire par le peuple souverain, par les États et par la justice», a ainsi estimé le ministre de l’Économie sur les ondes de France Inter ce lundi 11 janvier.

​Même son de cloche du côté de Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, pour qui «la régulation du débat public par les principaux réseaux sociaux au regard de leurs seuls [conditions générales d'utilisation] alors qu’ils sont devenus de véritables espaces publics et rassemblent des milliards de citoyens, cela semble pour le moins un peu court d’un point de vue démocratique».

Des déclarations «hypocrites» à en juger par Anne-Sophie Chazaud, car la loi Avia était selon elle déjà dans l’esprit de cette volonté de censure en ligne. «La loi Avia prévoit de donner les clés de la liberté d’expression aux GAFA sans même passer par la case justice. La gouvernance des GAFA est en réalité en totale adhésion avec la vision macroniste, laquelle est libre-échangiste et mondialiste».

«Une sorte de 11 septembre de l’espace informationnel»

La modération des contenus en ligne et les risques de «censures» qui lui sont accolés seront, quoiqu'il en soit, un enjeu politique majeur dans les prochaines années. Pour Jean-Marc Royer, «les règles doivent s’appliquer de la même façon pour tout le monde, qu’il s’agisse du Président des États-Unis ou de M.Dupont».

Le président américain Donald Trump (de gauche à droite), rejoint par le chef de cabinet Reince Priebus, le vice-président Mike Pence, le conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, le directeur des communications Sean Spicer et le conseiller principal Steve Bannon, s'entretient par téléphone avec le président russe Vladimir Poutine dans le bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, aux États-Unis, le 28 janvier 2017 - Sputnik Afrique
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Reste que les fameuses conditions d’utilisation des réseaux sociaux sont parfois sibyllines ou volontairement incomplètes. «Le détail des règles de modération sont gardées confidentielles, même si les grandes lignes sont connues: ne pas tenir de propos illégaux, ne pas appeler à la violence, ne pas tenir de propos racistes, etc.», convient le directeur général de Netino.

Le commissaire européen Thierry Breton a d’ailleurs exprimé sa «perplexité» ce 11 janvier après la décision des plateformes de bannir le Président américain Donald Trump des réseaux sociaux «sans contrôle légitime et démocratique».

«Cette date restera comme la reconnaissance par les plateformes de leur responsabilité éditoriale et des contenus qu’elles véhiculent. Une sorte de 11 septembre de l’espace informationnel», a estimé le commissaire au Marché intérieur dans une tribune publiée par Le Figaro et le site américain Politico.

Anne-Sophie Chazaud est quant à elle plus pessimiste sur le sort des démocraties occidentales si de telles pratiques venaient à se répandre. Dernier exemple en date: le compte du blogueur et vidéaste Papacito a été suspendu, sans raison manifeste, ce lundi 11 janvier. Doit-on craindre une répression plus sévère, voire de possibles «atteintes à la liberté d’expression», ainsi que s’en inquiète l’essayiste?

«L’enjeu de tout cela pour ce qui concerne la France, ce sont les élections de 2022. Il va être très compliqué, pour les opposants au pouvoir, quel que soit leur bord politique d’ailleurs, de se faire entendre de façon libre sans se voir censurés».
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