Obtenir une carte nationale d’identité, le chemin de croix des Camerounais

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Depuis plusieurs années, se faire établir une carte nationale d’identité au Cameroun relève du parcours du combattant. Les autorités tentent d’expliquer les retards mais cela ne suffit plus. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour réclamer la régularisation de la situation et les citoyens s’organisent.

Aurel Brice, 23 ans, est étudiant dans une école supérieure à Douala. Cela va maintenant faire dix-huit mois qu’il a toujours sur lui le récépissé que l’administration lui a donné le jour du dépôt de son dossier de demande de carte nationale d’identité (CNI).

«En 2019, quand j’ai déposé mon dossier pour établir une CNI, tout était normal et complet. Et pourtant, elle n’est toujours pas disponible. Chaque fois que je vais au commissariat, on me répond sèchement que "c’est pas dispo"», confie-t-il dépité à Sputnik.

Tous les mois, le jeune étudiant se rend au commissariat de son arrondissement pour s’enquérir de l’avancement de son dossier. Pour lui permettre de circuler librement, son récépissé a dû connaître pas mal de prorogations de délai.

C’est aussi le cas de Narcisse Wemba, agent commercial, qui depuis bientôt huit mois est toujours sans nouvelles de sa pièce d’identité. «Je ne sais plus où j’en suis. Je suis fatigué de faire des allers-retours au commissariat pour m’entendre dire à chaque fois que ma carte n’est pas encore disponible. Je ne comprends pas ce qu’il se passe», relate-t-il à Sputnik.

Des voix s’élèvent pour dénoncer

Ces cas sont loin d’être isolés. Obtenir sa CNI ou son passeport dans des délais raisonnables relève désormais de l’exploit pour de nombreux citoyens camerounais. Si l’échéance légale tourne normalement autour de trois mois après l’introduction de la demande, beaucoup peinent à se voir remettre leur document d’identité plusieurs années plus tard.

La situation est devenue si alarmante que plusieurs collectifs ont vu le jour depuis la fin 2020 sur les réseaux sociaux pour réclamer l’obtention du précieux sésame. À grand renfort de hashtags et de publications sur la Toile, ils dénoncent et interpellent le gouvernement sur un phénomène qui devient une source d’inquiétude collective.

Anne Féconde Noah fait partie des précurseurs du mouvement de revendications né sur les réseaux sociaux. Pour cette cadre du Parti pour la réconciliation nationale (PCRN), formation politique d’opposition au Cameroun, l’absence de CNI empêche les citoyens d’accéder à des choses élémentaires comme:

«S’inscrire sur les listes électorales, postuler à un concours, revendiquer sa citoyenneté… Ne pas avoir de CNI, c’est tellement difficile. Pourquoi les pouvoirs publics ne se rendent-ils pas compte du préjudice? C’est pour attirer l’attention des autorités que j’ai lancé ce mouvement transpartisan suivi du hashtag #jeveuxmaCNI», déclare-t-elle au micro de Sputnik

Des identités multiples à l’origine du problème?

Les plaintes des usagers et les tentatives de récupération politiciennes ont fini par contraindre les autorités de la police à sortir de leur mutisme. Au cours d’un point de presse ce 8 janvier, la Délégation générale à la sûreté nationale (DGSN) a fourni quelques explications.

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Elle a principalement pointé du doigt le problème des «identités multiples» qui freinerait le processus de délivrance des documents. Dans un communiqué rendu public ce jour-là et largement relayé par les médias, la DGSN a indiqué que «plus de 3 millions de Camerounais ayant personnellement changé les éléments de leur filiation se retrouvent en situation de double, voire triple et quadruple identité et autres usurpations».

«En l’état actuel de la législation, seule la première identification contenue dans la base de données est considérée comme l’identité authentique d’un citoyen. Malheureusement, les détenteurs de ces multiples identités refusent de faire valider leur identification authentique car ils ont développé d’autres avantages avec leurs multiples identités», peut-on lire dans ce  communiqué de Martin Mbarga Nguelé, le patron de la police.

En effet, dans le pays, il est courant de rencontrer des citoyens qui ont modifié frauduleusement des éléments de leur filiation –le plus souvent leur date de naissance– pour pouvoir accéder à certains concours officiels ou autres avantages dans l’administration, ou encore échapper à certains contrôles administratifs. Ces falsifications pourraient donc expliquer en partie les retards dans la délivrance des pièces officielles. La police signale par ailleurs la négligence de certains usagers qui n’ont toujours pas récupéré leur document alors qu’ils sont disponibles, un cas de figure qui ne concerne pas moins de 245.000 CNI en souffrance dans les commissariats.

Néanmoins, le patron de la police admet «un ralentissement dans la production lié aux difficultés techniques, aux procédures et à la livraison de matériel», tout en promettant une amélioration imminente du processus de délivrance des CNI et des passeports.

Une justification insuffisante

Cependant, les explications de la DGSN sont loin de tenir la route, d’après Anne Féconde Noah qui pense que la police aurait dû communiquer sur cette situation auprès des citoyens concernés lors de leurs multiples va-et-vient dans les centres de délivrance des pièces d’identité.

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«Supposons qu’un citoyen ait un problème de double identité. Ce dernier est-il informé de la situation? Pourquoi, au moment de retirer sa CNI au commissariat, la police préfère-t-elle proroger son récépissé au lieu de l’informer sur sa situation afin qu’une solution soit trouvée?», s’interroge-t-elle.

Loin d’apaiser les inquiétudes, la sortie médiatique de la DGSN n’a fait que susciter moult interrogations. Suivant le sillage du hashtag #jeveuxmaCNI, des citoyens se sont regroupés pour former le «Collectif des sans-papiers du Cameroun». À l’initiative de Fotsing Nzodjou, ce mouvement «veut mieux porter les revendications des citoyens».

«Cela fait quatre années que certains compatriotes n’ont ni CNI, ni passeport. Plusieurs fois interpellée, l’autorité de tutelle s’est toujours fendue de déclarations pompeuses et mensongères. Il était temps de créer un think tank pour sortir de cette ornière», affirme-t-il au micro de Sputnik.

Il est ferment décidé à poursuivre le mouvement à travers des manifestations «jusqu’à l’obtention de nos CNI et passeports», conclut-il.

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