Les États contre les GAFAM: la guerre du numérique est-elle déclarée?

© AP Photo / Marcio José Sánchez Mark Zuckerberg
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WhatsApp a annoncé changer ses conditions d’utilisation pour ouvrir ses données à Facebook. L’heure est à la grande migration de ses utilisateurs vers d’autres applications. Cette erreur stratégique des GAFAM permettra-t-elle à certains pays de recouvrer leur souveraineté numérique? Éléments de réponse.

C’est l’annonce d’une mise à jour de WhatsApp qui ne cesse de faire des vagues depuis une semaine. L’application a prévenu ses utilisateurs d’une révision de ses conditions d’utilisation. Facebook, propriétaire de WhatsApp depuis 2014, pourrait disposer, à partir du 8 février, des données de la messagerie dans le but officiel de les monétiser. Notamment par la publicité à destination des utilisateurs. Même si WhatsApp a déclaré que la mesure ne concernerait pas l’Europe, le grand exode vers d’autres applications est déjà amorcé.

L’hégémonie programmée des GAFAM

La même semaine, les géants du Net étaient de nouveau sous le feu des critiques. Au lendemain des événements du Capitole, le compte Twitter de Donald Trump était supprimé. Le Président sortant était également présent sur la plateforme Parler, mise dans la foulée hors-service par la décision d’Amazon de couper l'accès du réseau social à ses serveurs. Coup sur coup, YouTube fermait également la chaîne du locataire de la Maison-Blanche. De quoi confirmer la crainte d’une puissance monopolistique des GAFAM et l’avènement d’une nouvelle forme de censure. Le moment serait venu, pour certains, de s’arracher au pouvoir hégémonique déjà maintes fois critiqué des grosses entreprises de la Silicon Valley.

Les grands gagnants de l’annonce de WhatsApp sont l’application russe Telegram et l’américaine Signal. La première a vu affluer 25 millions d’utilisateurs en trois jours. La seconde est rapidement devenue numéro un des téléchargements sur l’App Store et le Play Store. Leur avantage: un meilleur cryptage et donc une absence de partage des données. En quête d’indépendance, leurs nouveaux utilisateurs souhaitent ne plus dépendre du bon vouloir des géants californiens.

Une migration vers Signal «un peu spécieuse», nuance Pedro Guanaes au micro de Sputnik. Le responsable numérique de République souveraine rappelle qu’il existe aux États-Unis le Patriot Act. Toute société basée sur le territoire américain a l’obligation, sur la demande des services de l’État fédéral, de fournir ses données. «Signal, c’est mieux. Mais ce n’est pas la panacée», ajoute notre interlocuteur. L’effet Elon Musk et Edward Snowden est aussi pour beaucoup dans ce mouvement de foule numérique en direction de l’application américaine. Les deux célébrités ont appelé via leurs comptes Twitter à utiliser l’application. Le second précisant sur le ton de la boutade que, grâce à son système de cryptage, «il n’était pas encore mort». Le vent commencerait-il à tourner à l’Ouest? L’hégémonie des grands noms de la Silicon Valley serait-elle en péril ?

«Il ne faut pas exagérer la portée du phénomène. WhatsApp perdra peut-être 10% de ses utilisateurs», nuance Christophe Brossard, interrogé par Sputnik. Pour cet entrepreneur dans le secteur du digital, «l’inertie de la plupart des utilisateurs» est telle, pour WhatsApp comme pour Facebook, que les GAFAM dans leur ensemble n’auraient, pour le moment, pas de soucis à se faire.

Une emprise numérique de la part de ces puissances du net illustrée par le cas Google qui monopolise aujourd’hui à lui seul plus de 90 % des recherches sur Internet de par le monde. Pour être distribué et accessible sur le continent numérique, passer par ces mastodontes est quasi inévitable.

C’est ce que révèle la dernière déconvenue de la plateforme conservatrice Parler. D’abord éjecté des distributeurs d’Apple et de Google, le réseau social s’est vu refuser l’accès aux serveurs d’Amazon. L’entreprise de Jeff Bezos prétendant y avoir «observé récemment une augmentation persistante de contenus violents».

«Un seuil vient d’être franchi, s’inquiète Christophe Broussard. Non seulement les GAFAM font la chasse sur leurs propres réseaux, mais ils interdisent désormais à d’autres plateformes de s’exprimer librement. En l’occurrence, de se faire l’écho d’un autre courant politique que le mondialisme.»

Le tri se ferait aussi en amont. Sans même avoir recours à la décision polémique du bannissement, Facebook, Twitter ou encore YouTube sont souvent attaqués sur l’opacité de leurs algorithmes. «La manière de mettre en avant ou pas des messages n’est pas neutre et elle est totalement obscure sur ces plateformes numériques», ajoute Pedro Guanaes. Pour ce dernier, en revanche, l’actualité récente ne témoigne pas nécessairement d’une censure en raison d’une divergence d’opinion de la part de grands patrons anti-Trump.

«Ces derniers sont avant tout des libertariens, précise Pedro Guanaes, ils croient plus au contrat de gré à gré qu’au dispositif légal. Je n’y vois pas une volonté assumée de censurer Trump. Ils prennent surtout les devants pour montrer leur implication et ainsi éviter qu’une législation ne vienne encadrer leurs activités.»

Un constat qui ne contredit pas l’hyperpuissance parfois paralysante des GAFAM. Plusieurs modèles alternatifs seraient néanmoins aujourd’hui à la disposition des utilisateurs qui voudraient accéder à d’autres outils numériques que ceux des puissances californiennes.

L’idée d’un grand service public national du numérique

Pour Christophe Brossard, parmi tous les modèles du numérique envisageables, il existe celui consistant pour les abonnés à payer pour se servir de l’outil numérique, «ce qu’ils refusent de faire la plupart du temps». En cas de gratuité du service, cela signifie qu’il est financé par l’usage de la publicité. Et donc par «l’exploitation des métadonnées». «C’est le serpent qui se mord la queue», car «on retomberait dans le système actuel de rentabilité» des géants du numérique qui constitue le modèle économique, par exemple, de Facebook. 

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D’après notre interlocuteur, il y aurait bien «un troisième modèle» envisageable, mais qui nécessiterait «une vraie volonté politique nationale». Celui d’un «service numérique national ou collectif». Il serait gratuit ou plus précisément «payé de façon collective par la nation». Les citoyens, à travers chaque État, se réapproprieraient ainsi leur souveraineté numérique.

Pour justifier pareil changement de paradigme, revenant à «nationaliser» des plateformes régies jusqu’ici par le privé, ses partisans mettent en avant le changement profond de société en cours. Les outils numériques seraient devenus omniprésents dans la vie de chaque citoyen. Il conviendrait donc de les intégrer au service public.

Les nationaliser offrirait à chaque État, et à ses citoyens, la liberté de ne plus être à la merci de grosses entreprises basées à l’autre bout du monde. Pour Pedro Guanaes, notre pays a depuis trop longtemps délaissé, «pour des questions de rentabilité et d’efficacité», la «gestion souveraine» de ces services.

«On pourrait citer Gmail qui est devenu le système hégémonique de messagerie, ajoute-t-il. Une certaine paresse pousse à se dire: "Pourquoi s’embêter, puisque c’est efficace?" Or nous perdons jusqu’à la maîtrise de notre propre courrier! Imaginez qu’il y ait une panne mondiale et que les entreprises françaises n’y ait plus accès…»

Et l’auteur de mettre en avant la possibilité pour chaque citoyen de se voir attribuer une adresse mail nationale fournie par l’État. Ce qui n’exclurait pas des «partenariats publics-privés», avec de grands noms comme Google. À cette différence près que cela passerait par un hébergement des données en France. De quoi court-circuiter, pour notre interlocuteur, l’impasse de l’extraterritorialité dont profitent les géants du GAFAM. «Non pas qu’un tel service public numérique souverain réglerait tous les problèmes de dépendance à leur égard, mais il y aurait désormais un moyen d’agir», ajoute Pedro Guanaes.

Vers une réaction «violente» des GAFAM?

Les limites au recouvrement pour chaque État de sa souveraineté numérique sont légion. La pression à craindre, en premier lieu, de la part des géants américains face à cette atteinte à leur rente financière. «D’autant plus sous un mandat de Joe Biden, dont l’alliance idéologique, mondialiste et progressiste avec les GAFAM est évidente», explique Christophe Brossard. Ce dernier est persuadé que les représailles économiques ne se feraient pas attendre. Côté technique, en revanche, l’entrepreneur se veut plutôt rassurant. Ces technologies seraient aujourd’hui largement «connues, reproductibles et déployables» sans accrocs.

Encore faudrait-il réussir à convaincre les citoyens rompus à l’usage de toutes ces plateformes, nuancent les partisans de ce «nouveau service public». Selon Christophe Brossard, la mise sur pied d’une base d’utilisateurs large nécessiterait, au moyen certainement d’un dispositif légal, une interopérabilité efficace entre systèmes numériques. En clair, faciliter la transition pour tout utilisateur, par exemple, de Facebook à d’autres réseaux sociaux nationaux.

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Pedro Guanaes rappelle, lui, l’emblématique exemple de l’entreprise française Dailymotion. Pépite des années 2000, la plateforme aujourd’hui «fantomatique» a été abandonnée par ses utilisateurs et les producteurs de contenu français en raison d’une nette préférence pour YouTube. Avec 250 millions d'utilisateurs par mois, l’entreprise française ne fait pas le poids devant les 2 milliards du géant californien.

Enfin, un tel recouvrement par les citoyens de leur souveraineté numérique ne résoudrait pas tous les risques de censure. Cette fois-ci au niveau étatique. Une sorte de système hybride semblable à celui de la Sécurité sociale pourrait être envisagé, imagine Christophe Brossard.

«Un système paraétatique, mais dont les fonds seraient collectés et sécurisés par l’État. Leur gestion serait, en revanche, assurée par un collectif démocratique, une sorte d’assemblée d’experts et de citoyens», conclut-il avec une pointe d’espoir.
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