Voile pour les petites filles: «pratique rigoriste et liberticide pour les femmes» ou «stigmatisation des musulmans»?

© Photo Pixabay / ebrahim Fille voilée
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La loi contre les séparatismes est arrivée en commission à l’Assemblée. Avant même son passage devant l’hémicycle, elle est précédée d’un cortège de polémiques. Dernière en date, le rejet des amendements par la même commission visant à empêcher le port du voile pour les jeunes filles.

Pas de lien entre le port du voile et la loi contre les séparatismes. C’est en résumé le message qu’a envoyé la commission spéciale chargée d’étudier cette semaine le projet de loi «confortant le respect des principes de la République». Dans la charge des 1.700 amendements déposés contre le texte, ceux qui visent le port de signes religieux dans l’espace public ont été pour la plupart jugés irrecevables par la commission. Parmi ces amendements écartés font polémique ceux des députés LREM Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau visant à d’interdire le port du voile pour les «petites filles».

«C’est insupportable de voir une fille de 5 ans porter un voile, et ce projet de loi nous permet de légiférer. […] C’est notre rôle de législateur de protéger les plus vulnérables», avait justifié auprès du Parisien Aurore Bergé concernant ses amendements contre le projet de loi. Le Premier ministre, Jean Castex, avait déjà pris ses distances avec la position de la députée LREM. Interviewé par le journal Le Monde, il avait jugé qu’il ne fallait pas confondre «l’expression de la foi religieuse et les atteintes aux valeurs de la République». Même son de cloche du côté du Président de la République puisque, selon Le Parisien, il aurait considéré ces amendements comme étant sans rapport avec le projet de loi: «Le danger, c'est de détourner le débat sur cette question qui n'a pas lieu d'être aujourd’hui», aurait-il déclaré.

La liberté de chacun ou l’aveuglement du conditionnement?

L’annonce de l’irrecevabilité de ces amendements a provoqué des remous dans une partie de la classe politique. Taxé de pusillanimité, le pouvoir exécutif est soupçonné de flancher face aux accusations d’«amalgame» et «de stigmatisation des musulmans». Ainsi, Marine Le Pen dénonce «le voilement imposé aux petites filles». Elle pointe une absence de «volonté de lutter contre le cancer islamiste». À l’inverse, le chef des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, dénonce une «loi de stigmatisation des musulmans».

«Sur l’identité islamique du voile, il n’y a pas de débat sur ce sujet», commente Florence Bergeaud-Blackler au micro de Sputnik. Pour cette chargée de recherche au CNRS, auteur de l’ouvrage Le marché halal ou l'invention d'une tradition (éd. du Seuil), «ne pas stigmatiser une religion, à juste titre, ne doit pas pousser à se taire sur une pratique rigoriste et liberticide pour les femmes». La question du port du voile pour les plus jeunes, en tant que «pratique d’endoctrinement», et donc «anti-républicaine», aurait «toute sa place dans la loi», selon l’anthropologue.

«Les islamistes extrémistes ont très bien compris que le cerveau des enfants est malléable, ajoute-t-elle. C’est la raison pour laquelle ils incitent les enfants les plus jeunes à porter le voile! Et c’est justement contre ce risque constitué d’endoctrinement que la République doit intervenir.»

L’argument de la liberté de choix des jeunes filles serait donc une «absurdité». Selon Florence Bergeaud-Blackler, porter le voile ne peut être que «le fruit d’un conditionnement» pour les mineures. Un conditionnement insidieux, car s’exerçant par un «phénomène discret d’habituation». Les jeunes filles seraient invitées à revêtir le voile «à temps partiel», «ponctuellement», pour se rendre à la mosquée, chez une amie, à l’école coranique …

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«Une contrainte douce, propre aux sociétés pacifiées comme la nôtre, où certaines communautés ne peuvent se permettre de forcer une fille à se voiler», ajoute notre interlocutrice. L’impossibilité pour une mineure de disposer de sa liberté de choix pourrait d’ailleurs trouver une similitude dans les débats actuels autour des relations sexuelles avec les plus jeunes: «Cela revient à prétendre qu’une fille de 15 ans est consentante», ajoute notre interlocutrice.

De l’importance du voile dans une société républicaine  

Le 1er février prochain, la loi arrivera devant l’hémicycle pour un parcours législatif qui s’annonce sinueux. Depuis sa présentation en Conseil des ministres au mois de décembre dernier, 115 ans après la promulgation de la loi de 1905, le projet de loi contre les séparatismes fait jaser. Rebaptisé «loi confortant les principes républicains», le dispositif s’inscrit dans le tournant engagé fin septembre par Emmanuel Macron lors de son discours aux Mureaux dans les Yvelines. Un projet devenu une priorité de l’action gouvernementale depuis l’assassinat du professeur d’histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine, Samuel Paty. Dans la foulée de ce drame, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, engageait en novembre la dissolution du Collectif contre l’islamophobie (CCIF) et de l’ONG Barakacity.

À quelques jours de l’arrivée du texte devant l’Assemblée, la crainte d’être accusé de porter un «texte contre les musulmans et l’islam» tenaille l’exécutif. «Si on fait tourner le débat autour du voile, on a toutes les chances de leur donner raison», déclarait récemment la députée (LRM) de Paris Anne-Christine Lang au journal Le Monde. La polémique actuelle autour du voile n’est donc pas anodine. Pour Florence Bergeaud-Blackler, si l’idée originelle de «s’adresser à toutes les formes d’extrémisme est assez saine», «le glissement actuel, notamment sémantique, ressemble davantage à un changement d’esprit». Ne pas considérer le voile pour ce qu’il est, par crainte de l’amalgame, reviendrait à passer à côté de ce qu’il incarne pour l’islam.

«Il ne s’agit pas simplement de défendre le port d’un habit comme un autre, conclut notre interlocutrice, mais bien d’organiser la société autour de la différence des sexes. Il y a derrière une vraie signification qui véhicule des normes et des valeurs à l’opposé de celles de la République.»
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