RDC: les millions, le brut et le tonitruant

© AP Photo / JUNIOR D. KANNAHMineur de diamant en République démocratique du Congo
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La décision de Donald Trump d’alléger, sous certaines conditions, les sanctions visant l’Israélien Dan Gertler a suscité de nombreuses réactions parmi les ONG anti-corruption. Mais qui est ce magnat des mines qui domine depuis près de vingt ans le secteur extractif en RDC? Décryptage pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.

L’Administration Trump a retiré discrètement l’homme d’affaires controversé Dan Gertler de la liste des sanctions américaines qui le visaient, cinq jours seulement avant de passer le relais à la Maison-Blanche. Les groupes de pression et les ONG anti-corruption ont condamné cette mesure. Ils appellent l’Administration Biden à réimposer les sanctions contre le milliardaire israélien.

​Washington avait sanctionné Dan Gertler en 2017 en vertu du Global Magnitsky Human Rights Accountability Act. Cette loi passée en 2016 permet au gouvernement américain de sanctionner et de geler les avoirs des personnes et des entreprises qu’il considère comme complices d’actes de corruption ou de violations des droits de l’homme. Ce faisant, le Trésor américain avait gelé tous les actifs de l’homme d’affaires israélien, lui interdisant de traiter en dollars américains ou avec toute entité américaine. Mais qui est Dan Gerlter, dont le nom suscite bien souvent des froncements de sourcils en République démocratique du Congo (RDC)?

Savoir profiter de la guerre

Quand il débarque en RDC en 1998, Dan Gertler n’a que 25 ans. Petit-fils de Moshe Schnitzer, cofondateur et président de la bourse du diamant de Tel-Aviv, le jeune Dan n’a qu’une idée en tête: amasser des millions de dollars en faisant des affaires dans le secteur extractif congolais, notamment dans l’industrie du diamant. À l’époque, le pays est confronté à une guerre d’agression pilotée par les pays voisins, notamment le Rwanda et l’Ouganda.

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Même s’il est soutenu par le Zimbabwe, l’Angola et la Namibie contre la coalition rwando-ougandaise épaulée par les États-Unis, le président congolais Laurent-Désiré Kabila a besoin d’argent pour financer sa propre machine militaire. En août 2000, il conclut un accord avec Dan Gertler via sa société International Diamond Industries (IDI), spécialisée dans le négoce du diamant. Moyennant la somme de 20 millions de dollars, IDI obtient du gouvernement Kabila le monopole de la commercialisation des diamants congolais gérés par la Société minière de Bakwanga (MIBA). À l’époque, ce monopole est estimé à 600 millions de $/an. Le contrat contenait des clauses confidentielles aux termes desquelles IDI s’engageait à obtenir, grâce à ses contacts avec des militaires israéliens de haut rang, la livraison de quantités non divulguées d’armes ainsi que des instructeurs pour les Forces armées congolaises.

Mais la société a démenti recruter des «chiens de guerre» pour les mines de Laurent-Désiré Kabila. «Ce que fait Dan Gertler au Congo est 100% casher», a assuré Shmuel Schnitzer dans une interview accordée au Financial Times. Sur le terrain des affaires, IDI n’a honoré qu’en partie ses engagements. La société a versé un acompte de 3 millions de dollars sur les 20 millions prévus. Elle n’a livré que 750.000 dollars d’équipements militaires à la RDC grâce à ses relations avec Meir Dagan et Avigdor Ben-Gal, deux hauts gradés de Tsahal (l’armée israélienne). Entre-temps, la société engrangeait des profits colossaux. La saignée a coûté au trésor public congolais des dizaines de millions de dollars, selon le groupe d’experts de l’ONU...

Monsieur le consul honoraire

À la mort de Laurent-Désiré Kabila, Gertler se rapproche de Joseph Kabila, qui a succédé à son père. L’Israélien a un carnet d’adresses qui peut toujours servir. Hormis le fait d’être le petit-fils du cofondateur de la bourse israélienne du diamant, Gertler est proche d’Avigdor Lieberman, le tout-puissant ministre des Affaires étrangères israélien à l’époque, de Condoleezza Rice et de Jendayi Frazer, deux figures clés de l’Administration Bush Jr. Dans son sillage immédiat gravitent des personnages tels que le diamantaire américain Chaïm Leibowitz, les frères Beny et Danny Steinmetz, les grands patrons de Steinmetz Global Resources, impliqués dans l’immobilier, les mines et l’énergie en Afrique de l’Ouest et en Russie... pour ne citer que ces quelques personnalités.

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En novembre 2003, Gertler et son grand ami Leibowitz, grand argentier du Parti républicain, organisent une rencontre entre Joseph Kabila et George Bush à la Maison-Blanche. Gertler s’assure le soutien de Bush Jr. à la politique de Kinshasa, ce qui renforce sa crédibilité auprès du numéro un congolais. Avec le temps, les relations entre Dan et Joseph se sont renforcées. Les deux hommes sont devenus si proches que le chef de l’État congolais l’a gratifié du titre de consul honoraire de la République démocratique du Congo à Tel-Aviv...

Milliardaire grâce à la RDC

Mais c’est sous sa casquette de redoutable homme d’affaires que l’Israélien, naturalisé congolais depuis 2003, s’est distingué dans l’écosystème local. Grâce à son étroite amitié avec Joseph Kabila, Dan Gertler a fait main basse sur des pans entiers du secteur minier congolais. Sa compagnie Dan Gertler International (DGI) s’est offert des concessions minières de la riche province minière du Katanga ou des parts à des prix modiques avant de les revendre à des grandes multinationales pour des montants faramineux. C’est notamment le cas des ententes que Gertler a conclues avec les firmes Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC) et Glencore.

L’ENRC, par exemple, avait payé à une des entreprises appartenant à Gertler 25 millions de dollars pour acquérir une participation dans une mine qui avait coûté 15 millions de dollars à l’homme d’affaires, puis lui a versé 50 millions de dollars supplémentaires pour solder l’opération. Cette transaction aurait permis à Gertler de quintupler son argent sans investir dans le développement de l’actif ou utiliser sa propre fortune pour l’acquérir.

En fait, la plupart des ententes entre l’homme d’affaires israélien et l’État congolais se sont souvent déroulées dans l’opacité la plus totale. Un cas éloquent: le contrat conclu en janvier 2010 entre le gouvernement congolais, la Gécamines (société commerciale de droit privé détenue à 100% par l’État congolais) et la société Highwinds Properties, domiciliée aux îles Vierges, portant création de la société Metalkol (Métal Kolwezi). Selon des ONG congolaises, «le milliardaire Dan Gertler serait impliqué dans l’avènement de ce contrat» qui a accordé à la nébuleuse Highwinds Properties 70% des parts contre 20% à la Gécamines et 5% à l’État congolais.

Les exemples de ce type sont légion. En juillet 2011, l’ONG Action contre l’impunité pour les droits humains (ACIDH) avait dénoncé «la vente en catimini» par la Gécamines d’une participation de 20% dans Mutanda Mining à la société Rowny Assets, une autre entité basée aux îles Vierges et associée à Gertler. Simultanément, la même Gécamines avait discrètement vendu les 25% qu’elle détenait dans une compagnie minière dénommée Kansuki Investments à la société Biko Invest Corp., également liée à Gertler. Le monde est vraiment petit!

En RDC, Dan Gertler a pris une telle envergure qu’il lui est même arrivé de servir d’intermédiaire dans la vente d’actifs miniers congolais, obligeant certaines multinationales à passer par lui pour faire des affaires avec l’État. En conséquence, entre 2010 et 2012, le pays aurait perdu plus de 1,36 milliard de dollars de revenus en raison de la sous-évaluation des actifs miniers qui ont été vendus à des sociétés offshore liées à Gertler.

​Après le diamant et le cuivre, l’homme d’affaires israélien s’est lancé dans l’exploitation pétrolière sous le couvert d’une nébuleuse société Nessergy Ltd. immatriculée à Gibraltar. Le seul problème, c’est que son expertise dans le domaine n’est pas reconnue. Quoi qu’il en soit, Nessergy, sans avoir eu à trop investir dans le développement du bloc pétrolier acquis en RDC, a tout de même réussi à revendre des droits pétroliers au gouvernement congolais pour trois cents fois le prix d’achat. 

Tous ces tours de passe-passe dignes d’un David Copperfield ont permis à Dan Gertler d’amasser une fortune qui se chiffre à près de 1,5 milliard de dollars, selon le magazine Forbes. Et à voir la dynamique dans laquelle évoluent les transactions de l’homme d’affaires en RDC, il y a des raisons de croire que certaines d’entre elles servent de cache-sexe à des opérations directement liées à Joseph Kabila et à ses proches, d’après le Trésor américain.

Objet de toutes les attentions

Affirmer que le groupe DGI traîne une réputation sulfureuse dans le secteur minier congolais est un euphémisme. En raison de ses activités controversées, Dan Gertler s’est retrouvé au cœur de toutes les attentions et de nombre d’enquêtes. Aussi bien les ONG anti-corruption que les gouvernements, en passant par le FMI, se sont intéressés aux activités de l’homme d’affaires. Le think tank de Kofi Annan, Africa Progress Panel, l’a accusé de «pillage» et de corruption. L’enquête pénale conduite par le Serious Fraud Office (SFO) britannique sur les pratiques commerciales de l’ENRC, qui a eu à traiter avec Gertler, a abouti à la radiation de la multinationale de la Bourse de Londres. 

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Si, en RDC, on préfère fermer les yeux, du moins pour le moment, sur les activités de Dan Gertler en raison de ses liens avec un certain nombre de personnages clés du système, les États-Unis, eux, n’ont pas attendu longtemps pour le sanctionner en vertu du Global Magnitsky Human Rights Accountability Act. Selon le Trésor américain, Gertler «a amassé sa fortune grâce à des centaines de millions de dollars de transactions minières et pétrolières opaques et corrompues en République démocratique du Congo.» Par conséquent, ses actifs ont été gelés et il lui a été interdit d’opérer des transactions en dollars.

Mais Gertler a engagé un groupe d’avocats influents de Washington, parmi lesquels figurent Alan M. Dershowitz, qui avait représenté Trump lors de la première procédure d’impeachment de son mandat, et Louis J. Freeh, un ancien directeur du FBI. À la suite de leur lobbying, Donald Trump a discrètement allégé, sous certaines conditions, les sanctions qui pesaient sur l’homme d’affaires. Une décision prise à quelques jours de son départ de la Maison-Blanche. Un choc pour les ONG anti-corruption, qui n’empêchera pas Gertler de continuer à régner sur les mines du Congo pendant un moment encore... 

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