Scandale Walid Nekkiche: la justice ouvre une enquête sur des accusations de torture en détention

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Menottes - Sputnik Afrique, 1920, 09.02.2021
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Un étudiant arrêté en 2019 en Algérie lors d’une marche du Hirak a affirmé, au cours de son procès, avoir subi des tortures et des sévices sexuels dans une caserne des services de renseignement. Le parquet, qui avait été prévenu de ces actes par ses avocats quelques mois après qu’ils se sont produits, a fini par ordonner une enquête préliminaire.

C’est un scandale sans précédent qui a éclaté le 1er février dernier à l’occasion du procès de Walid Nekkiche, un étudiant de 25 ans accusé de «complot contre l’État, atteinte à l’intégrité du territoire national et incitation de la population à prendre les armes». Le jeune homme avait été interpellé mardi 26 novembre 2019 lors d’une marche Hirak, le mouvement de contestation contre le régime politique né quelques mois auparavant.

En passant à la barre, Walid Nekkiche, a semé l’émoi au sein de l’assistance en déclarant avoir été «agressé sexuellement, physiquement et verbalement» les jours qui ont suivi son arrestation.

Pression médiatique

Suivi en direct sur les réseaux sociaux, le procès a provoqué colère et indignation à travers le pays. Le procureur de la République, qui a requis la réclusion à perpétuité contre le jeune homme, est venu exacerber ce sentiment d’exaspération.

Ce n’est que tard dans la nuit que le tribunal a rendu son verdict: Walid Nekkiche est condamné à six mois de détention pour «distribution et possession de tracts pour porter atteinte à l’intérêt du pays». Il a été acquitté pour les chefs d’inculpation d’ordre criminel.

Il a quitté la prison d’El Harrach le 2 février au milieu d’une foule venue le soutenir.

L’affaire Nekkiche a très vite pris les proportions d’un scandale politique, judiciaire et sécuritaire. Face à la pression des réseaux sociaux et des médias nationaux et internationaux, le parquet général a décidé de réagir. Dimanche 7 février, le procureur général près la Cour d’Alger a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire.

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«Au vu des réactions et commentaires relayés par les différents titres de presse et provoqués par ces déclarations, ainsi que la remise en doute et les interrogations suscitées auprès des parties qui s’intéressent à l’action judiciaire, notamment concernant le respect de la liberté et de la dignité des citoyens suspects placés en garde à vue, et dans le but d’établir la vérité sur ce qui ce serait passé dans l’affaire du citoyen Walid Nekkiche, le parquet général près la cour d’Alger a ordonné en date du 07-02-2021, sur la base des informations en sa possession et des pièces en rapport avec l’affaire du concerné, à Monsieur le Procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad Rais de diligenter une instruction préliminaire sur les faits avancés par le concerné et chargé la police judiciaire compétente de cette mission», a annoncé le ministère public dans un communiqué de presse.

Plainte rejetée

Me Abdallah Heboul, avocat au barreau d’Alger et ancien procureur de la République, estime que le parquet a fait preuve de laxisme et qu’il a réagi en retard. Contacté par Sputnik, il précise que le procureur général était au courant des sévices subis par Walid Nekkiche dès le mois de juillet 2020 à l’occasion d’une plainte déposée par les avocats de l’étudiant.

«Le procureur général n’a donné aucune suite à cette plainte contre des agents du centre Antar, une caserne relevant de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il n’est pas le seul d’ailleurs. Les avocats de Walid Nekkiche ont également demandé au juge d’instruction d’ordonner une expertise médicale de leur client. Mais ce magistrat a rejeté cette requête», souligne Me Heboul.

Au fait de ce dossier, l’avocat indique que l’affaire Nekkiche est une succession de «vices de procédure» et de «zones d’ombre». À commencer par les conditions de son interpellation lors de la marche du 26 novembre 2019.

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Selon Me Heboul, l’étudiant avait été arrêté par des agents de police à Bab el Oued, quartier du centre de la capitale. «Les policiers l’ont ensuite remis aux agents de la Direction générale de la sécurité intérieure qui l’ont transféré à la caserne Antar située sur les hauteurs d’Alger», explique-t-il.

«Walid Nekkiche est resté six jours dans cette caserne sans que sa famille ni ses avocats ne puissent le voir. Il semble avoir été mis au secret. C’est pendant cette période qu’il affirme avoir subi des sévices. Il est évident que règles régissant la garde à vue (GAV) n’ont pas été respectées. De plus, son dossier ne comportait pas de compte rendu médical, pourtant obligatoire au terme d’une GAV. Il n’a donc pas été soumis à un examen médical», déclare-t-il.

Pour Me Heboul, l’ouverture d’une enquête préliminaire n’est pas une décision du parquet mais «proviendrait du sommet de l’État, de la présidence de la République et du ministère de la Défense». Il considère que ce scandale a pris de «graves proportions» et que le pouvoir se doit «d’identifier des responsables».

L’ombre de Bouazza

L’enquête pourrait conduire vers le général Ouassini Bouazza puisque les faits se sont déroulés durant le passage de cet officier supérieur à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure.

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Proche du général Ahmed Gaïd Salah, le chef d’état-major de l’armée algérienne décédé en décembre 2019, Ouassini Bouazza avait la réputation d’avoir géré le Hirak d’une main de fer. Il a finalement été arrêté en avril 2020 puis condamné au mois de juin par le tribunal militaire de Blida à une peine de huit ans de prison ferme pour «faux et usage de faux, atteinte à corps constitué, détention d’arme à feu et de munitions de type IV». Il purge cette peine à la prison militaire de Blida.

Me Abdallah Heboul tient à rendre hommage à Walid Nekkiche qui a fait preuve «d’un courage sans précédent» pour dénoncer publiquement ce qu’il a subi. «C’est sa bravoure qui va permettre d’ouvrir le débat sur la torture en Algérie». L’avocat estime par ailleurs que les rejets formulés par le juge d’instruction et le procureur général ont donné de la crédibilité à ce dossier.

«Cette affaire vient une nouvelle fois confirmer l’état de déliquescence de la justice algérienne. Ce scandale est le résultat de l’inertie de l’autorité judiciaire qui n’a pas suivi le dossier depuis le premier jour et qui a refusé d’intervenir face à des accusations très graves», ajoute-t-il.
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