Territoire perdu ou instrumentalisation politique: mais que se passe-t-il à Trappes?

© AP Photo / Christophe EnaPoliciers français
Policiers français - Sputnik Afrique, 1920, 15.02.2021
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Depuis près de dix jours, la ville des Yvelines est au cœur des débats. L’islamisation y a été dénoncée par un professeur de philosophie avant que le maire, Ali Rabeh, ne réfute des accusations qu’il qualifie de «mensongères». Retour sur un sujet qui mobilise la classe politique et les médias.

Tantôt symbole des réussites de la France black-beur, de Jamel Debbouze à Omar Sy, en passant par Nicolas Anelka ou encore le rappeur La Fouine, tantôt premier fournisseur de djihadistes français, la ville de Trappes divise. En tout cas, elle est souvent citée en exemple, alternativement bon ou mauvais. Ces derniers jours, c’est peu de dire qu’elle a volé la vedette aux 34.969 autres communes de France.

En une semaine, la classe politique se sera écharpée autour de cette commune, chaque mouvement y allant de son commentaire. Comme Marine Le Pen, Florian Philippot et plusieurs élus, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a réclamé la révocation du maire de Trappes, accusé de complaisance envers l’islamisme et de mise en danger d’un professeur.

À gauche, Benoît Hamon ou encore Yannick Jadot ont pris la défense de l’édile, soulignant son travail, salué par le préfet des Yvelines, et dénonçant les attaques dont il fait l’objet. Les divergences au sujet de la ville ont même largement dépassé le clivage politique habituel, Trappes faisant l’objet de plusieurs enquêtes et sondages dans les médias ou sur les réseaux sociaux et visant à déterminer si la ville est, ou non, définitivement perdue.

Une affaire à rebondissements

Depuis le 5 février et un témoignage paru sur le site du Point, un professeur de philosophie, Didier Lemaire, écume les plateaux pour témoigner de l’islamisation de sa ville et du danger qu’encourent ceux qui la dénoncent. Signataire d’une tribune dans L’Obs, peu de temps après l’assassinat de Samuel Paty, l’enseignant serait menacé de mort et vivrait depuis sous protection policière. Estimant que le professeur propage des contre-vérités et véhicule une mauvaise image de sa ville, le maire nouvellement élu sous la bannière de Génération.s a décidé de l’attaquer en justice.

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L’enseignant avait en effet accusé l’élu, sur CNews, de l’avoir traité d’islamophobe et de raciste dans un reportage néerlandais, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Devant les caméras de la chaîne d’information, le maire est aussi entré dans un salon de coiffure mixte de sa commune, afin de répondre à l’affirmation du professeur selon laquelle de tels lieux n’existeraient plus dans sa ville.

Ali Rabeh s’est ensuite rendu lui-même devant l’enceinte du lycée en compagnie d’élus locaux afin de distribuer des tracts mettant en cause la parole de Didier Lemaire.

«Je n’accepte pas les propos violents tenus contre vous et les Trappistes, qui condamnent par avance, qui relèguent, qui excluent. C’est insupportable, car c’est injuste et cela ne correspond pas à la réalité. […] Ne laissez jamais dire que vous ne valez rien et que vous êtes perdus pour la République», peut-on notamment y lire.

Une action jugée «inadmissible» par l’exécutif, en la personne de Jean-Michel Blanquer, et par une partie de l’opposition; une erreur concédée par Yannick Jadot et les défenseurs de l’ancien adjoint au maire PS. Si le personnel de l’établissement s’est dit choqué par «des pressions politiques» sur les élèves, Jean-Jacques Brot, le préfet des Yvelines, a toutefois affiché son soutien à Ali Rabeh, dont il vante le travail à la tête de la municipalité. Le haut fonctionnaire est même allé jusqu’à qualifier d’«irresponsable» la prise de parole du professeur de philosophie. «Trappes est un terrain difficile et délicat, nous faisons dans la dentelle et voilà que M. Lemaire arrive avec un bulldozer et saccage nos efforts», a regretté le préfet. «Ce soir, je veux dire mon soutien au maire de Trappes, Ali Rabeh. Élu de terrain, c'est bien lui qui est au chevet de la République du matin au soir. Caricaturer les problèmes qui existent ne peut que les amplifier», a renchéri Éric Piolle, maire EELV de Grenoble.

Le premier magistrat de la commune des Yvelines s’est, de son côté, étonné de l’absence de soutien de la part du gouvernement.

La surenchère dure donc depuis plus d’une semaine. Elle vient d’aboutir, cette fois-ci, à la protection policière du maire. À son tour, celui-ci est désormais victime de menaces de mort depuis ses récents propos sur Didier Lemaire.

Trappes, meilleur allié de la loi sur le séparatisme?  

Le sommet de la controverse est paradoxalement survenu le 12 février, lorsque des journalistes de CNews ont voulu vérifier qui de Didier Lemaire ou d’Ali RAbeh avait raison, en cherchant un salon de coiffure mixte à Trappes. 

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Interrogé par la chaîne, un coiffeur-barbier local affirmait face aux caméras que son enseigne était en mesure d’accueillir n’importe qui et que les salons ont actuellement d’autres préoccupations que le sexe de leur clientèle.Une déclaration d’abord contredite par le site Internet du salon, indiquant être exclusivement réservé aux hommes. Une page Web modifiée à la hâte après la diffusion de la séquence vidéo. L’affaire du barbier dans l’affaire de Trappes, preuve irréfutable d’un territoire islamisé ou reflet d’une hystérisation du débat?

Au moment du vote de la loi sur le séparatisme, le cas de Trappes a été politiquement récupéré de chaque côté. Jusqu’à diviser au sein même du gouvernement. À l’instar de Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin a affiché son soutien au professeur de philosophie en annonçant renforcer sa protection. En revanche, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, par le passé défenseur du frère de Mohammed Merah, a tenu à nuancer les propos de Didier Lemaire, le 14 février dernier.

«Trappes ce n’est pas que ça, c’est aussi des gens qui ne sont pas des islamistes radicaux. Ce n’est pas un cluster d’islamistes radicalisés. Il y a ce problème, mais il y a des gens […] qui sont attachés aux valeurs de la République», a déclaré sur LCI et RTL le garde des Sceaux.

Ce que le maire de Trappes et son entourage auraient pu nous dire. Contactés par la rédaction, ils n’ont toutefois pas donné suite à nos sollicitations.

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