Nicolas Sarkozy et l’affaire des écoutes: pour qui roule la justice?

© Sputnik . Alexeï Vetvitsky  / Accéder à la base multimédiaNicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy - Sputnik Afrique, 1920, 04.03.2021
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Au lendemain de sa condamnation dans l’affaire des écoutes, l’ancien Président était l’invité de TF1 mercredi 3 mars. Il s’est dit victime de harcèlement judiciaire. Le verdict qui l’a frappé traduit-il l’acharnement de magistrats partisans? Cette sanction prouve-t-elle l’efficacité de la justice? Éléments de réponse avec Me Régis de Castelnau.

«Je suis habitué à subir ce harcèlement depuis dix ans […] pour absolument trouver quelque chose à me reprocher», s’est plaint Nicolas Sarkozy mercredi sur le plateau de TF1. La veille, l’ancien chef de l’État avait été condamné par le tribunal judiciaire de Paris pour corruption et trafic d’influence. Accusé d’avoir cherché à obtenir des informations auprès d’un magistrat de la Cour de cassation, Nicolas Sarkozy a été condamné à trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis. Une affaire révélatrice du «fonctionnement de l’appareil judiciaire français», analyse Régis de Castelnau au micro de Sputnik.  

Une justice politique?

L’avocat dénonce «l’artificialité» d’un dossier qui s’appuie selon lui sur «une violation de la légalité». En cause, la mise sur écoute des conversations entre l’ancien Président et son avocat de l’époque, Thierry Herzog. Cette procédure s’inscrivait dans le cadre de l’enquête sur l’éventuel financement par la Libye de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est au moyen de ces échanges que l’accusation a conclu que ce dernier cherchait à obtenir des informations confidentielles auprès de Gilbert Azibert, l’ancien premier avocat général près la Cour de cassation.

«S’il y avait eu une relaxe, cela aurait été le signal qu’une partie de la magistrature ne voulait plus de ces dérives politiques qu’on a constatées depuis maintenant six ou sept ans», clame l’auteur de l’ouvrage Une justice politique (éd. L’Artilleur).

«Le secret professionnel est un des fondements du droit pénal international. Il a été violé et la Cour de cassation a trouvé cela tout à fait normal», s’offusque Régis de Castelnau.

Selon notre interlocuteur, le verdict du 2 mars est une «décision à caractère politique». Il pense que le jugement aurait dû déboucher sur une relaxe. Un «affrontement entre la magistrature et le pouvoir politique» dont l’avocat situe l’origine dans les années 1980.

Traditionnellement «soumise au pouvoir politique» en France, le pouvoir judiciaire aurait profité des «années fric» sur fond de «climat de crise économique», pour s’émanciper. L’accusation du «tous pourris» faisait florès dans l’opinion publique. Une sortie de tutelle de la magistrature qui s’effectuera selon Régis de Castelnau au moyen d’«une triple alliance» (avec l’opinion publique et la presse) «pour affaiblir le camp politique». Quarante ans plus tard, cet argument d’indépendance servirait en réalité d’outil à la magistrature pour mener à bien son propre agenda politique.

Le raid judiciaire de 2017 contre Fillon

À travers les multiples affaires juridico-politiques qui jalonnent l’actualité, la pénalisation de la vie politique illustrerait ce long dévoiement de l’institution judiciaire. Mais si la magistrature est politisée, pour qui roule-t-elle ? Selon Régis de Castelnau, «elle n’a pas besoin qu’on lui donne des ordres». La magistrature, en France, notamment au travers du moule de l’École nationale de la magistrature, suivrait «ses propres opinions, sa propre idéologie, sa propre culture». Façonnée par une «sociologie particulière» et un «très fort corporatisme».

Le corporatisme de la magistrature est «un des plus forts que j’aie rencontrés, ajoute Régis de Castelnau. Or tout cela fait qu’il y a une autonomie politique et, dans nombre d’affaires, on voit que ces opinions sont utilisées ou sont le moteur des décisions prises.»

Exemple paroxystique pour notre interlocuteur, l’affaire Fillon de 2017 qui marque selon lui «l’acmé» d’un tel dévoiement. Régis de Castelnau n’hésite pas à parler de «coup d’État judiciaire» à propos de la dernière présidentielle.

​En janvier 2017, François Fillon est à 24% dans les sondages et Emmanuel Macron à 16%. À ce moment-là «commence un raid judiciaire ouvert par un article du Canard enchaîné» qui «est immédiatement suivi par le Parquet national financier… Par des gens dont on sait qu’ils ont des liens très étroits avec le Parti socialiste. Emmanuel Macron étant considéré comme l’hériter de François Hollande. Il ne faut pas oublier qu’il était soutenu par le PS, du moins par une grande partie de ce parti», avance l’avocat.

Une opération judiciaire qui va «disqualifier» en un temps record François Fillon auprès du grand public, selon l’avocat.

Le populisme judiciaire

Régis de Castelnau met au défi magistrats et avocats de révéler «une affaire du même type qui ait été traitée aussi vite». Sans cette procédure organisée par la magistrature, l’avocat en est convaincu, «François Fillon aurait été élu Président de la République». La politisation de la magistrature s’est donc achevée, selon notre interlocuteur, par cette adhésion de 2017 au dispositif Macron.

«Il y a eu un ralliement. Ralliement du monde judiciaire, avocats compris. […] La magistrature l’a fait sur la base de ses convictions. Elle n’a pas reçu d’ordre. Ce n’est plus la peine. Elle fait ce qu’elle pense utile sur le plan politique et en termes de pouvoir», précise notre interlocuteur.

Pour l’avocat, il n’y a pas lieu d’argumenter sur la corruption de François Fillon hier, comme celle de Nicolas Sarkozy aujourd’hui. «Ce n’est pas le juge, c’est moi qui décide qui sera Président de la République», tranche-t-il.

Nicolas Sarkozy - Sputnik Afrique, 1920, 01.03.2021
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Entendre par là que ce choix appartient aux citoyens et non à la magistrature.

Un peuple français qui, comme l’explique Régis de Castelnau, verserait, lui, dans un «populisme judiciaire» ambigu. En réclamant à la fois à la justice de faire «rendre gorge aux puissants», tout en désavouant le fonctionnement de cette institution. Un sondage de l’OFP de 2019 apprenait qu’un Français sur deux n'avait plus confiance en la justice.

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