Refus de la laïcité chez les jeunes Français: jusque dans les salles de classe, le modèle américain s’impose

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Laïcité France (illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 04.03.2021
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Une enquête de l’IFOP dresse un bilan préoccupant du rapport de la jeunesse à la laïcité et au modèle républicain. Pour l’essayiste Barbara Lefebvre, cet échec retentissant est d’abord un désaveu impitoyable pour l’Éducation nationale et pour les gouvernants français. Explications.
«La responsabilité des ministres de droite comme de gauche est impardonnable dans cette destruction: c’est un renoncement volontaire de nos élites!»

Barbara Lefebvre ne mâche pas ses mots. Très remontée, mais peu surprise des résultats de l’enquête de l’IFOP pour la LICRA sur la perception de la laïcité chez les lycéens français, parue ce mercredi 3 mars, l’essayiste et enseignante constate l’échec de l’Éducation nationale. Et plus largement des gouvernants qui se sont succédé depuis plusieurs années.

Les chiffres donnés par l’institut de sondage sont sans appel. Première observation: l’écart entre l’opinion des jeunes lycéens interrogés (15-18 ans) sur les questions liées à la laïcité et celui de la population adulte est parfois saisissant. Le port de signes religieux ostensibles (voile, kippa, croix, etc.) par les élèves dans les lycées publics s’avèrerait ainsi soutenu par plus d’un lycéen sur deux (52% des personnes sondées), soit une proportion deux fois plus grande que dans la population adulte (25%). Autre exemple donné dans le sondage: le port du «burkini» lors des cours de natation serait soutenu par 38% des lycéens, quand la population adulte ne l’accepterait qu’à 24%.

«Cette enquête est révélatrice d’une certaine sociologie des lycéens aujourd’hui, qui ne partagent pas la vision de la laïcité de leurs parents ou de leurs grands-parents. L’écart entre les plus jeunes et les adultes est immense et n’est pas prêt de s’estomper», alerte Barbara Lefebvre au micro de Sputnik.

Pour l’auteur de Génération «J’ai le droit»: La faillite de notre éducation (Éd. Albin Michel), l’explication est relativement simple: le corps enseignant a renoncé depuis bien longtemps à véhiculer l’universalisme républicain, laissant prospérer les récriminations et revendications de minorités parfois bruyantes. «Le caractère raisonnable et raisonné de la laïcité qui devrait être celui de l’école républicaine n’existe plus: les enseignants sont désormais incapables d’incarner la laïcité. En tant que principe juridique, la laïcité ne s’enseigne pas, elle s’incarne», souligne-t-elle.

78% des jeunes musulmans contre le droit de blasphémer

Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015, plusieurs voix s’étaient fait entendre pour regretter l’absence de compassion pour les victimes des terroristes islamistes dans certaines écoles et certains quartiers. À l’époque, la proportion de lycéens ne condamnant pas fermement les attentats s’élevait selon les sondages à 7%. Selon l’IFOP, ce chiffre atteindrait désormais 16%. Pis, chez les lycéens sondés se déclarant de confession musulmane, 9% «condamnent les terroristes, mais partagent certaines de leurs motivations» et 11% se disent indifférents à l’égard des terroristes ayant assassiné ces personnes.

​Concernant le «droit au blasphème», qu’illustrent les rebondissements de l’affaire Mila, les jeunes musulmans s’opposeraient dans leur grande majorité (78%) au droit d’outrager une religion. 48% des jeunes musulmans estimeraient de surcroît que Samuel Paty a eu tort de montrer les caricatures de Mahomet, contre 10% pour ceux se déclarant «sans religion» et 11% pour les catholiques. Enfin, 61% des jeunes musulmans sondés se disent opposés au droit des journaux à caricaturer les personnages religieux.

«Ces chiffres sont logiques, car la proportion de croyants et de pratiquants parmi ceux qui se définissent comme musulmans est bien plus importante que parmi ceux qui se définissent comme catholiques, protestants ou juifs», avance Barbara Lefebvre. «Je ne vois pas ce qu’il y a d’anormal pour un croyant dont la religion interdit le blasphème de ne pas l’accepter. Contrairement aux catholiques, qui sont pour la plupart déchristianisés, les musulmans en France sont très loin d’être “désislamisés” et sécularisés.»

Le sondage de l’IFOP permet en outre de faire ressortir un fait sociologique inédit, jusqu’ici peu mesuré statistiquement. En effet, selon l’institut de sondage, une part importante de la jeunesse dite «populaire» (ne se disant pas forcément religieuse) adhèrerait spontanément aux opinions de la jeunesse se déclarant de confession musulmane.

Quand la proportion totale d’élèves musulmans n’exprimant pas de condamnation totale à l’égard des terroristes s’élèverait à 22%, celle observée chez les élèves scolarisés en Réseau d’Éducation Prioritaire (REP) grimperait à 30%.

«Dictature de l’émotion»

Barbara Lefebvre croit pouvoir déceler dans ce chiffre un «phénomène d’acculturation, qui fait que des opinions autrefois minoritaires en France sont désormais majoritaires dans les quartiers dits “populaires”». «Le changement démographique s’observe assez logiquement dans la sociologie de l’opinion de la jeunesse lycéenne en France», constate-t-elle.

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L’autre volet important abordé par cette enquête de l’IFOP concerne le seuil d’acceptabilité des mesures de renforcement de la laïcité à l’école, à l’image de la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques, de la Charte de la laïcité de 2013 ou encore du vadémécum pour la laïcité de 2018. De manière générale, 37% des lycéens considéreraient ces mesures discriminatoires envers les musulmans. Un sentiment partagé par 81% des lycéens musulmans sondés, mais aussi par 55% des élèves scolarisés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) et 64% des jeunes Français se percevant comme «non blancs». Le spectre de l’«islamophobie», agité régulièrement par les militants décoloniaux et indigénistes, n’est donc pas bien loin.

Acculturation, «l’immense échec de cette merveilleuse école républicaine»

En la matière, l’auteur de C’est ça la France…: Qu’a-t-on fait pour mériter ça? (Éd. Albin Michel) estime cependant que cette «tendance à la victimisation» n’est pas l’apanage de la jeunesse musulmane, mais devient une constante parmi la jeunesse française dans son ensemble.

«Les jeunes de manière générale sont systématiquement offensés pour un oui ou pour un non. L’école a depuis longtemps renoncé à instruire: la déculturation de masse n’a donc rien d’étonnant! Elle ne fait désormais plus qu’informer: les élèves n’ont plus aucun esprit critique et sont dans la dictature de l’émotion», lance l’essayiste.

Pour la co-auteur des Territoires perdus de la République (Éd. Mille et une nuits), aucun doute: la France paie des années d’autoflagellation autour de la question de l’identité.

«Ces phénomènes n’existent que dans les sociétés multiculturelles, dans lesquelles il y a une concurrence entre les “minorités opprimées” et la “majorité dominante”. Ces rapports de domination n’existent qu’en Occident! La repentance et la culpabilité occidentale nous retombent dessus à travers l’expression de ces minorités qui refusent d’être dominées par une majorité. On n’a que ce qu’on mérite», tempête-t-elle.

Le bilan dressé par l’essayiste n’incite pas à l’optimisme pour les années à venir. «La laïcité française et le modèle culturel qui y est attaché finiront par se dissoudre dans le magma de la culture européenne et américaine», pronostique-t-elle.

​Las, «l’immense échec de cette merveilleuse école républicaine qui parvenait encore autrefois à émanciper la jeunesse» préfigure selon elle le «renoncement à l’esprit français inspiré des Lumières, qui visait à s’arracher à son déterminisme de naissance pour évoluer vers la raison et l’instruction.»

«Ce sondage reflète l’abandon de cette jeunesse par l’Éducation nationale: c’est la responsabilité de nos dirigeants. Ces gamins ont été laissés en friche par l’Education nationale qui a abandonné toute exigence intellectuelle», conclut-elle, amère.
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