L’impact des essais nucléaires en Polynésie minoré: «C’est comme le nuage de Tchernobyl qui ne s’est pas arrêté»

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Une explosion nucléaire (image d'illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 10.03.2021
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Une enquête récente pourrait faire l’effet d’une bombe: les retombées des essais nucléaires en Polynésie française auraient été sous-évaluées. D’après de nouveaux calculs, pour le seul essai Centaure, en juillet 1974, environ 110.000 personnes ont été exposées à la radioactivité, «soit la quasi-totalité de la population des archipels à l’époque».
«Il y a une chose qui est certaine, c’est que la Polynésie est polluée, notamment les sites d’expérimentation», prévient Jean-Louis Camuzat, président national de l’Association des vétérans des essais nucléaires au Sahara et en Polynésie (Aven).

Pour notre intervenant, les révélations du média d’investigation en ligne Disclose ne sont guère étonnantes. «Lors des tirs, il est évident qu’il y a eu des zones beaucoup plus polluées que d’autres, comme Mururoa, Fangataufa ou encore la base arrière de Hao», explique-t-il.

«C’est un peu comme le nuage de Tchernobyl, qui ne s’est pas arrêté à une frontière précise, il s’est baladé un peu partout.»

Une intuition dorénavant étayée scientifiquement. Pendant deux ans, Disclose, avec l’aide d’INTERPRT, une organisation de défense de l’environnement, et l’université de Princeton, s’est penché sur les essais nucléaires français dans les atolls de Mururoa et Fangatafau, situés dans le Pacifique. Et leur conclusion est cinglante: il existerait selon eux, «des mensonges et dissimulations de l'État sur la contamination de la Polynésie française».

Population non informée sur un danger imminent

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Pour parvenir à de telles hypothèses, les activistes antinucléaires s’appuient sur l’analyse de 2.000 pages de documents militaires déclassifiés en 2013 par le ministère de la Défense. Leur enquête a notamment permis de «réévaluer la dose reçue à la thyroïde par les habitants des [îles] Gambier, de Tureia et de Tahiti au cours des six essais nucléaires considérés comme les plus contaminants de l'histoire du Centre d'expérimentation du Pacifique». Selon leurs estimations, elles seraient «entre deux et dix fois supérieures à celles réalisées par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 2006».

​Une exposition dont n’avaient pas forcément conscience les populations locales, ni les militaires français déployés sur la zone. À l’image de Jean-Louis Camuzat qui a effectué son service militaire entre 1969 et 1970 sur le site de Mururoa. Il a vécu plusieurs tirs. Il se rappelle d’ailleurs que les militaires se promenaient sur l’atoll, allaient se baigner, «pour nous, il n’y avait aucun danger». Un sentiment renforcé notamment par le général de Gaulle qui évoquait des «essais propres» dans les années 1960 dans le cas du Sahara, se remémore le président de l’Aven.

«Avec le recul des années et les témoignages que l’on a reçus, c’est là que l’on s’est aperçu que l’arme de dissuasion nucléaire était une arme redoutable et dangereuse», regrette l’ancien militaire.

Une dangerosité qui a eu de graves conséquences. Ainsi, de nombreux vétérans qui ont fréquenté les sites d’expérimentations se sont rendu compte qu’ils étaient malades et qu’ils souffraient tous des mêmes pathologies, affirme notre interlocuteur. Pour tenter de faire reconnaître les effets néfastes de cette exposition, des vétérans ont créé l’association Aven qui, en 2010, comptait 6.500 personnes. Un chiffre retombé à environ 3.000 depuis.

«En 2010, on a obtenu une loi de reconnaissance, dite loi Morin. Celle-ci permet à tout vétéran militaire ou civil ayant fréquenté les sites d’expérimentations de 1960 à 1998 –car ils ont pris le démantèlement en compte– de prétendre à une indemnisation s’il souffrait d’un des vingt-trois cancers reconnus comme étant liés aux radiations», explique le président de l’Aven.

À ce jour, 280 dossiers défendus par l’Aven ont été acceptés. Néanmoins, Jean-Louis Camuzat souhaite aller plus loin, en «s’alignant sur le tableau Unscear qui reconnaît trente pathologies considérées comme radio-induites». Pour ce faire, avec d’autres associations, il a présenté ses doléances à Olivier Véran, ministre de la Santé, la semaine dernière par visio-conférence.

Néanmoins, si les essais nucléaires aériens ont causé de nombreuses maladies, les tirs souterrains pourraient également provoquer des catastrophes naturelles comme un tsunami prévient Jean-Louis Camuzat. En effet, l’atoll de Mururoa risque de s’effondrer à cause de fractures. Ce qui pourrait, à terme, libérer du plutonium enfoui dans le sol.

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