Un vaccin, du commerce et pas de moralisme à l’Occidentale: la Chine s’implante au Moyen-Orient

© AP Photo / Liu Weibing/Xinhua via APXi Jinping et Mohammed ben Salmane
Xi Jinping et Mohammed ben Salmane - Sputnik Afrique, 1920, 26.03.2021
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Son vaccin sous le bras, le chef de la diplomatie chinoise mène une tournée diplomatique au Moyen-Orient. Pékin use de surcroît de liens commerciaux de plus en plus forts et d’une rhétorique anti-occidentale pour avancer ses pions, estime Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’IRIS sur l’Asie et la Chine.

Et si la Chine commençait à s’imposer au Moyen-Orient? Par l’intermédiaire d’une diplomatie active, mais discrète, Pékin tisse des relations de confiance avec ses partenaires de la région.

La tournée moyen-orientale de Wang Li, ministre des Affaires étrangères chinois, confirme l’intérêt de l’Empire du Milieu pour cette zone aussi sensible que stratégique. Il a rencontré son homologue saoudien Faisal ben Farhan ben Abdallah Al Saoud à Neom le 24 mars. Puis, il était en visite à Ankara le 25 pour discuter avec le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu. Il se rend ce 26 mars à Téhéran pour s’entretenir avec Mohammad Javad Zarif. Ce week-end, il se déplacera aux Émirats, à Bahreïn et à Oman. Un éclectisme qui en dit long.

Sur fond de crise du Covid, la Chine développe «une diplomatie sanitaire», estime au micro de Sputnik Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’IRIS et ancien attaché de l’air à l’ambassade de France de Pékin.

«Compte tenu du faible succès des vaccins chinois en Occident, la Chine tente de promouvoir son industrie médicale par le biais de cette tournée diplomatique. Or, il s’agit d’un prétexte pour asseoir ses objectifs commerciaux dans la région», estime le spécialiste des questions de sécurité en Asie, du monde chinois et des affaires de Défense.

Malgré le refus des Occidentaux d’acheter le vaccin chinois, Pékin étend son influence en vaccinant les pays en développement. Au cours de ses entretiens avec ses homologues saoudiens, turcs et iraniens, M.Wang a mis l’accent sur la sécurité sanitaire et la lutte contre l’épidémie. Mais le cœur de sa visite reste l’aspect commercial au sens large. La Chine perçoit le Moyen-Orient comme une zone qui recèle des «opportunités économiques, c’est une zone de transit pour son projet de nouvelles routes de la soie», souligne le général (2S) de Brigade aérienne.

Moyen-Orient: «la Chine est dans une logique de gagnant-gagnant»

Depuis l’annonce du projet des nouvelles routes de la soie en 2013, le Président chinois Xi Jinping montre un intérêt croissant pour le Moyen-Orient. Cette région est au carrefour des marchés asiatique et européen. Ainsi, par l’intermédiaire de son initiative commerciale, la Chine devient-elle peu ou prou un acteur régional incontournable.

«Bien évidemment que la Chine a besoin du pétrole et du gaz du Moyen-Orient, d’où son intérêt croissant. Mais les pays de la région ont besoin de la Chine. Il y a une sorte de dépendance pour ses produits industriels», estime Jean-Vincent Brisset.

La Chine reste en effet tributaire de ses approvisionnements en hydrocarbures. Depuis 2017, elle est devenue la première importatrice de pétrole au monde. Ainsi, Pékin a-t-il tissé de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Irak. «La Chine diversifie ses partenaires», explique l’auteur La Chine, une puissance encerclée? (Éd. PUF, 2002). Elle importe également du gaz naturel liquéfié en provenance du Qatar.

Pour ce qui est des exportations chinoises, elles n’ont de cesse d’augmenter. Rien que sur les décennies 2000 et 2010, elles sont passées vers le Moyen-Orient de 8 à 136 milliards de dollars. La Chine exporte majoritairement des produits finis, des investissements dans les infrastructures, mais également dans l’électronique, le nucléaire ou l’armement. «La Chine est dans une logique de Win-Win, de gagnant-gagnant», résume l’ancien attaché de l’air à l’ambassade de France de Pékin.

«La Chine a donc tout intérêt à ce que la région se stabilise. La réussite de son projet commercial dépend également de la stabilité du Moyen-Orient», précise encore le chercheur à l’IRIS.

En effet, le projet chinois se divise en deux axes, l’un maritime et l’autre terrestre. Le maritime passe par le port de Gwadar, au Pakistan avant de rejoindre la base militaire chinoise de Djibouti pour aller vers le marché européen. La route terrestre transite par Téhéran jusqu’à Istanbul, en passant l’Irak et la Syrie.

Commerce, diplomatie: «la Chine est dans une sorte de realpolitik»

À ce titre, «la Chine se positionne de plus en plus sur l’avenir de la Syrie», explique le général (2S) Jean-Vincent Brisset. Or il remarque tout de même que cette présence chinoise au Levant se heurte à plusieurs inconnues.

«Russes et Chinois ont les mêmes objectifs politiques au Levant. Tous deux agissent avec pragmatisme et réalisme. Or, la Russie n’a pas les capacités humaines et financières pour reconstruire la Syrie toute seule. La Chine a ces capacités, mais difficile de penser tout de même qu’elle accepterait d’être dirigée par Moscou», évoque le spécialiste des questions chinoises.

En effet, souligne-t-il, «quand les Chinois décident de s’investir dans un pays, ils envoient le capital financier et humain et ils veulent diriger les travaux.» Pourtant, Pékin et Moscou se rejoignent sur des points fondamentaux: la Chine partage avec la Russie une même volonté d’un monde multipolaire et non dominé par les Américains. Indépendamment du volet commercial, cette tournée orientale de M. Wang sert des intérêts politiques bien définis. «La Chine est dans une sorte de realpolitik, elle enfonce des poings dans les théories occidentales moralisatrices et droits de l’hommistes», assène le spécialiste des questions de sécurité en Asie, du monde chinois et des affaires de Défense.

Pékin se positionne sur le dossier israélo-palestinien

Depuis les débuts de la République populaire, la Chine a défendu la vision d’un monde multipolaire: «c’est l’héritage de la conférence de Bandung en 1955, la Chine était la défenseur d’un monde non aligné», rappelle Jean-Vincent Brisset. Ainsi, cette posture semble-t-elle s’inscrire dans la durée. En entretenant des rapports avec tous les partenaires régionaux, la Chine prouve qu’elle n’est pas dans «une logique de rapports politisés», juge-t-il.

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Néanmoins, derrière son récent rapprochement avec l’Iran, difficile de ne pas voir d’arrière-pensées géopolitiques. En effet, depuis juillet, dernier Pékin et Téhéran ont signé des accords commerciaux et militaires pour une durée de 25 ans. «C’est un pied de nez à la politique occidentale à l’égard de l’Iran», estime notre interlocuteur. Dans une logique anti-occidentale, l’Iran apparaît comme un allié de poids dans la politique chinoise. De plus, face au rejet de la Chine de la part de l’Occident, l’Empire du Milieu tente d’influer sur des positions clés.

«Confrontée à un rejet de l’Occident, la Chine veut profiter de ses bonnes relations commerciales pour influer sur le dossier des Ouïghours, en pointant du doigt les ingérences occidentales», analyse-t-il.

Ces dernières semaines, les critiques occidentales à l’égard de la Chine se sont multipliées, «alors que la Chine a horreur de faire l’actualité», précise notre interlocuteur. Il déplore également l’hypocrisie occidentale sur l’épineuse question des Ouïghours: «aucun pays musulman n’a à ce jour levé le petit doigt pour dénoncer les agissements de la Chine, alors que l’Occident se sert de se prétexte pour taper sur Pékin.» Exempte de passé colonial au Moyen-Orient, la Chine arrive également à jouer sans faire de vagues sur des dossiers régionaux importants.

«La Chine a une seule et même politique avec tous les pays de la région: avoir de bons rapports et faire avancer au nom du commerce le refus des ingérences occidentales», souligne Jean-Vincent Brisset avant d’ajouter: «c’est un discours qui plaît aux Arabes.»

Si surprenant soit-il, la Chine commence également à jouer un rôle influent sur le dossier israélo-palestinien. Pékin souhaite en effet organiser des pourparlers entre les deux parties. Jean-Vincent Brisset précise tout de même que «la Chine n’a pas vocation à être un leader politique dans cette région; néanmoins, ses relations peuvent servir de tête de pont à une idéologie plus globale.» Étant la deuxième puissance mondiale, la Chine ne peut se cantonner à un rôle purement économique.

«La Chine est passée d’une puissance régionale à une puissance mondiale. En endossant ce rôle, elle a malgré elle de nouvelles responsabilités politiques qui dépassent de loin ses intérêts intrinsèques», conclut-il.
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