Tensions sino-américaines: l’autre bataille d’Alger

© AP Photo / Andy WongDrapeaux de la Chine et des USA
Drapeaux de la Chine et des USA - Sputnik Afrique, 1920, 29.03.2021
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Les États-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine se livrent une véritable bataille à travers leurs ambassades à Alger. Un conflit qui tourne autour de la question de la minorité musulmane Ouighours et qui a pour toile de fond la rivalité politique et économique entre les deux puissances.

La capitale algérienne est depuis un an le terrain d’une bataille qui oppose des diplomates américains et chinois. Mercredi 24 mars, l’ambassade des États-Unis a publié sur son compte YouTube un live de Rushan Abbas, directrice exécutive de la Campagne pour les Ouïghours, minorité chinoise de confession musulmane habitant dans la région autonome du Xinjiang. L’intervention de la militante était animée par Salman Hadji, attaché culturel-adjoint de l’ambassade US à l’occasion de la commémoration de «la Journée internationale pour le droit à la vérité concernant les violations flagrantes des droits de l'homme et pour la dignité des victimes».

«Activiste de la NSA»

L’activiste Ouïghour a accusé les autorités chinoises de commettre des exactions à l’encontre des membres de sa communauté. Rushan Abbas a notamment évoqué les cas de «viols de masse de femmes Ouïghours», l’obligation «d’épouser des hommes chinois de l’ethnie Han» ainsi que l’interdiction «de pratiquer la religion musulmane dans les espaces privés et publics». L’ambassade de Chine à Alger a réagi sur le champ à travers une série de vidéos diffusées sur sa page Facebook. Intitulées «Mensonges et vérités sur le Xinjiang», ces vidéos visent à démentir les «allégations de certains médias étrangers» L’une d’elles montre des Ouïghours prier dans une mosquée.

L’ambassade de Chine à Alger a également publié un texte en arabe et en mandarin dans lequel elle dénonce «la tentative ridicule de l’ambassade des Etats-Unis de discréditer la Chine». La chancellerie chinoise accuse également Rushan Abbas d’être «l’activiste des droits de l’Homme préférée de l’agence de sécurité nationale (NSA)».

«La chaîne de radio dans laquelle elle travaille a été créée par la Central Intelligence Agency (CIA) des États-Unis, elle est financée et contrôlée par le gouvernement des États-Unis. Le Mouvement Ouïghour fondé par Rushan Abbas est une organisation de droite financée par le Congrès américain et l'American National Endowment for Democracy (NED)», indique l’ambassade de Chine.

Ping-pong diplomatique

Ce n’est en fait pas première fois qu’une telle polémique oppose les représentants de ces deux ambassades à Alger. En janvier 2020, les Américains ont publié la vidéo d’une activiste Ouïghoure qui accusait les autorités chinoises d’avoir emprisonné son père. Au mois de décembre de la même année, nouvelle attaque américaine à travers un article du département d’État posté sur Facebook, et partagée par la page de l'ambassade américaine à Alger.

«Les restaurants sont souvent un bon point de départ pour découvrir différentes cultures. Mais la nourriture, les boissons et l’hospitalité peuvent également être utilisées pour sensibiliser les gens à la perte d’une culture. Deux restaurateurs américains ont parlé à Share America des repas qu’ils servent tout en informant leurs clients sur l’oppression des Ouïgours depuis des décennies par le Parti communiste chinois dans la province du Xinjiang en Chine».

Réponse de la représentation diplomatique chinoise:

«Les restaurants constituent en effet une fenêtre pour découvrir les cultures. En Chine, des restaurants de différentes cuisines, y compris les restaurants ouïgours du Xinjiang, sont répartis dans tout le pays et attirent un grand nombre de fans. À l’inverse, selon les données de l’American Pew Research Center, 75 % des musulmans américains estiment qu’il existe une grave discrimination raciale à leur égard dans la société américaine».

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Yahia Zoubir, professeur en géopolitique à KEDGE Business School (Marseille) estime que «cette bataille d’Alger entre dans le cadre de la guerre de rivalité entre les États-Unis et la Chine». Spécialiste des USA et des relations algéro-chinoises, il rappelle que l’administration américaine a clairement désigné Pékin comme son principal adversaire.

«Il faut revenir à la Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis, document adopté en 2017 sous le Président Donald Trump, qui a déclaré la Chine comme étant l’ennemi numéro 1. En octobre 2020, l’ancien secrétaire d’Etat à la Défense Mark Esper, lors d’un discours prononcé à Tunis, avait mis en avant deux éléments: nos valeurs sont les meilleures et éloignez-vous de la Chine et de la Russie. C’était un message adressé à toute l’Afrique du Nord», rappelle-t-il.

Partenariat historique

Il est évident que ces campagnes antichinoises lancées par l’ambassade américaine sur les réseaux sociaux visent à influencer l’opinion algérienne. L’objectif étant de mettre l’accent sur l’Islam et les exactions subies par des musulmans, sujets très sensibles en Algérie, où une partie de la société est conservatrice. Sauf que la Chine a une place très particulière dans le pays.

«Il ne faut surtout pas oublier l’historique des relations algéro-chinoises qui ont débuté en 1955, dès la conférence des Nations afro-asiatiques Bandung. Pékin avait mis en œuvre une aide politique et militaire inconditionnelle au Front de libération nationale. La discrétion sur ce soutien était la seule exigence des Chinois. Les relations diplomatiques ont débuté 4 années avant l’indépendance, dès 1958 avec l’installation du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). A titre indicatif, la France n’a reconnu la République populaire de Chine qu’en 1964. Les Algériens avaient donc pris de l’avance.», explique Yahia Zoubir.

Le professeur en géostratégie rappelle également que la première équipe médicale dépêchée en dehors de la Chine est venue en Algérie en 1964. «Des milliers d’Algériens ont été soignés par des médecins Chinois». «En 1971, l’Algérie a mené des tractations au sein de l’ONU pour que la Chine obtienne son siège au Conseil de sécurité. Ce siège était occupé par Taiwan. Alger a également soutenu Pékin au lendemain des événements de la place Tiananmen en mobilisant les pays africains qui avait voté à l’ONU contre les sanctions imposées par les pays occidentaux», précise l’expert.

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Les relations ne sont pas seulement politiques et historiques, elles sont surtout économiques. Au Maghreb, l’Algérie a le plus gros volume de commerce avec la Chine (entre 8 et 9 milliards de dollars, et entre 17 et 18% des importations de l’Algérie). En 1982, le volume des échanges était de 170 millions de dollars, puis 198 millions en 2000 et il est de 9 milliards de dollars en 2019. En 2013, la Chine est devenue le fournisseur principal de l’Algérie. Elle devance la France depuis cette période, qui se retrouve en troisième position après l’Italie. L’entrée de la Chine dans le marché algérien a été facilitée par le Président Abdelaziz Bouteflika, souligne Yahia Zoubir. «Mal élu, Bouteflika a décidé de palier à ce manque de légitimité en construisant des centaines de milliers de logements pour s’attirer la sympathie du peuple. L’Algérie a fait le choix des entreprises chinoises qui ont cette capacité de construire rapidement et à des prix concurrentiels».

«Les Chinois ont également décroché de grands projets d’infrastructures: les trois-quarts de l’autoroute est-ouest, la grande mosquée, la transsaharienne, les systèmes de transferts d’eau. Même après le départ de Bouteflika, la Chine reste un partenaire stratégique de l’Algérie. La construction du port et de la zone industrielle d’El Hamdania, près de Cherchell (80 kilomètres à l’ouest d’Alger) est une preuve concrète du maintien de cette relation», ajoute-t-il.

Dans un tel contexte, il est peu probable que Washington parvienne à porter atteinte à la réputation de la Chine. «Il se sert de la carte de l’Islam en profitant du fait que les nouvelles générations ne connaissent pas réellement la nature des relations historiques entre la Chine et l’Algérie. Délibérément ou non, le résultat serait de discréditer la Chine dans le pays» note le professeur de la KEDGE Business School.

«Cette stratégie n’a pas beaucoup de chance de réussir auprès des populations musulmanes car la politique du Président Donald Trump avait totalement discrédité la position des États-Unis envers l’Islam», soutient-ilen citant, par exemple, l’interdiction d’accorder des visas aux citoyens de 7 pays musulmans

Samedi 27 mars, le gouvernement chinois a annoncé des sanctions contre des personnalités canadiennes et américaines accusées de «manipulation politique sur les questions liées au Xinjiang». Pékin avait également pris des sanctions contre des personnalités britanniques, européennes, et plusieurs marques étrangères.

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