Suicide assisté: en pleine pandémie, le débat sur l’euthanasie sur le point de s’enflammer

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Seringue - Sputnik Afrique, 1920, 06.04.2021
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Tandis que l’Assemblée nationale s’apprête à débattre de l’euthanasie, de nombreuses voix discordantes s’élèvent, preuve que la question divise toujours. Celle-ci semble même ravivée par la crise sanitaire au moment où les soignants sont contraints de trier les patients. Paradoxe ou lien étroit? Retour sur un dilemme de société majeur.

Après les chanteuses Françoise Hardy ou encore Line Renaud, qui ont récemment demandé l’adoption d’une loi sur l’euthanasie, après François-Xavier Bellamy qui exprimait il y a peu dans Valeurs actuelles son refus d’une législation qui «permettra de demain donner la mort», c’est au tour de Michel Houellebecq de prendre position sur la question. Déjà sorti du silence lors de la mort de Vincent Lambert en 2019 –dont les soins avaient été arrêtés contre l’avis de sa famille–, l’écrivain national signe cette fois une tribune dans les colonnes du Figaro pour fustiger vivement le nouveau projet de loi voté le 8 avril à l’Assemblée.

«Lorsqu’un pays –une société, une civilisation– en vient à légaliser l’euthanasie, il perd à mes yeux tout droit au respect. Il devient dès lors non seulement légitime, mais souhaitable de le détruire afin qu’autre chose –un autre pays, une autre société, une autre civilisation– ait une chance d’advenir», assène Michel Houellebecq en guise d’avertissement.

Et si pour l’instant en Europe seuls le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et, depuis quelques jours, l’Espagne ont légalisé le suicide assisté, la France pourrait bientôt rejoindre le club des pays qui y souscrivent.

Sauver des vies et donner la mort?

Le 8 avril donc, un texte de loi présenté par le députe Olivier Falorni (parti Libertés et Territoires) et intitulé «donner le droit à une fin de vie libre et choisie» sera proposé en séance publique à l’Assemblée nationale. La proposition jouit déjà du soutien de la plupart des partis ainsi que de la présidente LREM de la Commission des lois à l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Dimanche 4 avril, ce sont même 270 députés qui consignaient dans le JDD un appel au débat et au vote sur ce thème apparu à plusieurs reprises durant la crise.

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En effet, au moment où les Français se trouvent confrontés à la mort en hôpital et aux soins palliatifs, plusieurs propositions ont été émises afin d’adopter des mesures plus radicales.

Fin janvier déjà, le député LREM Jean-Louis Tourraine déposait une proposition de loi en faveur d’une «aide médicalisée active à mourir», appuyée par 164 élus de la majorité. Il y a moins d’un mois encore, c’est au Sénat qu’une élue (PS), Marie-Pierre de La Gontrie, tentait de faire adopter une proposition de loi sur l’euthanasie, toutefois rejetée par la droite qui y est majoritaire. Le gouvernement lui-même avait fini par repousser l’échéance, la considérant malvenue avec le «contexte épidémique» et préférant, pour l’heure, se pencher sur le développement des soins palliatifs –prodigués pour accompagner les mourants.

Le Covid-19 est pourtant bien l’un des arguments mis en avant par les partisans de l’aide médicale pour mourir.

«Nous avons aussi tiré les leçons de la crise du Covid-19, avec les fins de vie malheureuses de personnes âgées totalement isolées, sans la présence de leur famille et en l’absence d’accompagnement approprié. Les soins palliatifs n’ont pas toujours été disponibles, une souffrance majeure a été causée par asphyxie et suffocation. Les dernières heures vécues par ces personnes ont été inhumaines», affirmait par exemple à l’Express Jean-Louis Tourraine.

Hasard du calendrier, l’ancienne secrétaire d’État Paulette Guinchard-Kunstler, atteinte d’une maladie incurable, décidait de se faire euthanasier en suisse le 4 mars, questionnant davantage les limites de la législation française. Et sans doute celle de l’éthique puisque donner la mort apparaît fondamentalement en contradiction avec la mission des médecins.

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Un argument que soulève Michel Houellebecq qui rappelle l’un des principes fondateurs du serment d’Hippocrate: «Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion.» Une tribune signée le 5 avril dans le Figaro par 71 médecins –«Non, nous ne pourrons pas provoquer délibérément la mort»– va dans le même sens et affirme que «légaliser l’euthanasie, c’est définitivement enterrer Hippocrate et la déontologie médicale».

Un sujet plus clivant qu’il n’y paraît

Dans l’hémicycle non plus, l’aide active pour mourir ne fait pas consensus. En témoigne une nouvelle fois cette proposition de loi qui, si elle sera étudiée sérieusement par les députés, risque de se heurter à l’obstruction d’une partie des Républicains, farouchement opposés à une légalisation de l’euthanasie. Quelque 3.000 amendements ont donc été déposés afin de freiner au maximum le vote du texte… alors que d’autres élus LR signaient dans Le Monde la semaine dernière un plaidoyer en faveur de «l’aide active à mourir». Une preuve supplémentaire des divisions que peuvent générer des questions de bioéthiques si difficiles, parfois au sein d’un même camp politique.

Les responsables religieux et les fidèles –catholiques, musulmans ou juifs– se montrent quant à eux plus unanimes sur la fin de vie, rejetant depuis toujours l’idée du suicide médicalement assisté. Les croyants et les «pro vie» mettent d’ailleurs également en avant l’expérience de la pandémie pour témoigner de la nécessité de sauver ou soulager, mais pas de tuer.

Un sondage daté de deux ans servant d’appui aux partisans d’une nouvelle loi sur la fin de vie indiquait toutefois que la majorité des Français était plutôt d’accord. Réalisé par Ipsos en avril 2019, il donnait 96% de personnes favorables à l’euthanasie. Mais là encore, les alternatives ne sont pas si tranchées. Ainsi, un autre sondage effectué le 10 mars dernier par l’IFOP pour l’association «Soulager, mais pas tuer» penchait sinon dans le sens contraire, du moins vers une direction plus nuancée. Interrogés sur leurs deux priorités pour la fin de vie, les sondés déclaraient vouloir d’abord «ne pas subir de douleur» (48%) et «ne pas faire l’objet d’un acharnement thérapeutique» (46%) plutôt que d’«obtenir l’euthanasie» (24%).

Enfin, dernière preuve d’un débat qui se fait de plus en plus pressant: Jean Leonetti, l’auteur de deux lois sur la fin de vie adoptées en 2005 et en 2016, est lui aussi sorti du bois:

«Ce texte arrive au plus mauvais moment, en fin de mandat et au milieu d’une crise sanitaire. Il semble très paradoxal et même inquiétant de proposer un droit à la mort dans un contexte où l’on cherche à protéger les plus fragiles», déplore au Figaro l’ancien député LR.

Et l’instigateur de la loi Leonetti –dite «relative aux droits des malades et à la fin de vie» et visant à empêcher l’acharnement thérapeutique et à développer les soins palliatifs– a, comme d’autres, un avis sur la question. «Dans une démocratie, on ne donne pas la mort. Robert Badinter, qui a permis d’abolir la peine de mort, l’a rappelé à propos de l’euthanasie. Déroger à ce grand principe, c’est ouvrir la porte à toutes les dérives», craint-il.

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