«Les Chinois ne peuvent pas montrer de signes de faiblesse sur Taïwan»: escalade entre Pékin et Washington en vue?

© AP Photo / Pang Xinglei/XinhuaArtillerie et militaires chinois (photo d'archive)
Artillerie et militaires chinois (photo d'archive) - Sputnik Afrique, 1920, 13.04.2021
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Vingt-cinq avions chinois survolaient le 12 avril la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan, dans un contexte de fortes tensions sino-américaines dans la région. Se dirige-t-on vers une escalade militaire? Éléments de réponse avec Jean-Paul Tchang, cofondateur de La Lettre de Chine.
«Il y a quelques années, Pékin a clairement formulé sa position qui n’a pas changé depuis: guerre ou pas guerre, c’est Taïwan qui décide. Quel type de guerre, c’est Pékin qui décide. Combien de temps durera la guerre? Tout dépend de l’implication étrangère», explique Jean-Paul Tchang, cofondateur de La Lettre de Chine.

Après un discours offensif de la diplomatie américaine, vingt-cinq aéronefs de l’Armée populaire de libération, dont dix-huit avions de chasse, pénétraient ce 12 avril dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan. Cette manœuvre aérienne de Pékin, pour le dixième jour consécutif ce mois-ci, est la plus importante depuis un an, selon les autorités de Taipei. «Pour les Chinois, ce ne sont pas des incursions parce que dans l’esprit de Pékin, Taïwan fait partie du territoire chinois», rappelle Jean-Paul Tchang.

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Si les avions chinois n’ont pas survolé le territoire taïwanais mais une zone maritime à quelque 200 km des côtes, leur présence a poussé les forces militaires taïwanaises à faire décoller leurs propres aéronefs pour leur intimer l’ordre de partir, a indiqué le ministère de la Défense de l’île.

Qui remet en cause le statu quo?

380 de ces raids ont ainsi été comptabilisés en 2020, une augmentation fulgurante. Elle reflète l’état des tensions sino-américaines dans la région sous le mandat Trump qui perdurent avec l’avènement de la nouvelle Administration Biden.

Le 11 avril, Antony Blinken, le secrétaire d’État, dénonçait ainsi «des actions de plus en plus agressives de la part des autorités de Pékin en direction de Taïwan», ajoutant que «ce serait une erreur grave pour n’importe qui d’essayer de changer le statu quo actuel par la force».

Dans les colonnes de Sputnik, Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), estimait en janvier que Pékin viserait ainsi à «tester la défense aérienne de Taïwan», puis à «démoraliser la population en mettant en scène la supériorité militaire de la Chine» et surtout à envoyer un message «aux États-Unis». Un dernier point sur lequel insiste Jean-Paul Tchang. Pour lui, c’est une «réponse proportionnée» face à ce que Pékin considère comme la remise en cause américaine du principe d’«une seule Chine»:

«Les Chinois ont décidé de montrer aux États-Unis qu’ils savent répondre du tac au tac. Il s’agit de montrer la résolution de Pékin traçant une ligne rouge à ne pas franchir. Car Taïwan fait partie des intérêts fondamentaux de la Chine.»

L’annonce du Département d’État le 9 avril facilitant les contacts entre responsables américains et représentants taïwanais aurait mis le feu aux poudres, selon Jean-Paul Tchang. «Ces nouvelles règles assouplissent les directives en matière de contacts avec Taïwan, en adéquation avec nos relations officieuses», a justifié Ned Price, le porte-parole de la diplomatie américaine. Sauf qu’en mettant en place cette mesure, les Américains «reviennent sur leur promesse de respecter un certain nombre de codes» pratiqués depuis la reconnaissance américaine en 1979 de Pékin comme seul gouvernement légal de Chine. Cette disposition formalise ainsi le soutien des États-Unis de plus en plus ostensible à Taïwan au fur et à mesure de la détérioration des relations sino-américaines. À l’accord du Département d’État pour la vente de trois systèmes d’armement à l’île en octobre 2020, Pékin répondait dans la foulée par des sanctions contre les firmes américaines impliquées dans ce projet d’un montant de 1,5 milliard de dollars.

«Les mesures américaines envoient de faux signaux» à Taïwan

La présence de l’émissaire taïwanaise invitée officiellement à l’investiture de Joe Biden, une première depuis cinquante ans, laissait présager de la politique étrangère américaine du Démocrate. À peine installé à la Maison-Blanche, celui-ci envoyait le porte-avions américain USS Roosevelt en mer de Chine méridionale dans le cadre d’une mission dite de «liberté de navigation» alors que vingt-huit avions militaires chinois pénétraient dans la zone d’identification de défense aérienne de l’île les 23 et 24 janvier. La récente photo du commandant américain de l’USS Mustin observant tranquillement le porte-avions chinois Liaoning à proximité de Taïwan illustre ces tensions bilatérales.

​«Endiguer la Chine est mission impossible et revient à se tirer une balle dans le pied», avertissait le ministère chinois de la Défense à l’adresse des États-Unis. La loi antisécession de 2005 permet de recourir à la force en cas de proclamation formelle d’indépendance ou si l’unification est considérée comme impossible. Une loi américaine y répond, en obligeant les États-Unis à aider Taïwan à se défendre en cas de conflit. Car contrairement au gouvernement précédent qui avait rencontré Xi Jinping en 2015, la Présidente Tsai Ing-wen, arrivée au pouvoir à Taipei en 2016, refuse de reconnaître que l’île et la Chine continentale appartiennent à «une seule Chine».

«Pékin juge que toutes les mesures américaines envoient des faux signaux aux autorités de Taïwan, estimant que Washington a décidé de jouer à fond la carte de Taïwan pour ennuyer Pékin […]. Les Chinois ne peuvent pas montrer de signes de faiblesse sur Taïwan.»

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Ainsi, la passe d’armes peut rapidement monter en puissance, un jeu qu’il qualifie d’«assez dangereux» mais qui, pour le moment, «est sous contrôle». Alors que l’amiral Philip Davidson, dirigeant le commandement américain pour l’Indo-Pacifique, avertissait en mars que l’Empire du Milieu pourrait «tenter d’envahir Taïwan» d’ici à 2030, son successeur John Aquilino considère également cette hypothèse comme très sérieuse. Face à la modernisation de l’armée populaire de libération chinoise, ce dernier demandait 27 milliards de dollars de plus afin de renforcer «à court terme et de toute urgence» les capacités américaines, confirmant l’intention du secrétaire à la Défense Lloyd Austin d’«accroître l’avantage» militaro-industriel des États-Unis sur la Chine. Le Pentagone utiliserait-il alors la Chine comme prétexte pour gonfler le budget de la Défense, qui représente déjà 40% des dépenses mondiales?

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