Covid et accident de laboratoire, ces «complotistes» qui avaient vu juste

© Photo Pixabay / BokskapetUn laboratoire (image d'illustration)
Un laboratoire (image d'illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 11.05.2021
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Début 2020, la thèse d’un accident de laboratoire à l’origine du Covid-19 était taxée de complotiste par les scientifiques et la presse. Un an et demi plus tard, ces mêmes experts, jusqu’au directeur de l’OMS, suivis par les mêmes médias admettent l’éventualité de cette hypothèse. Brice Perrier, journaliste d’investigation, décrypte ce revirement.

Fin avril, Le Monde relayait une lettre ouverte portant la signature d’une trentaine de scientifiques de renom. Les experts y interpellaient le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les «zones d’ombre» du rapport conjoint OMS-Chine portant sur les origines du Covid-19. Un rapport rendu au mois de mars dernier qui jugeait la thèse zoonotique (transmission de l’homme à l’animal) comme la plus probable. 

Dans la missive, déjà précédée par deux du même genre, les signataires appelaient une nouvelle fois à ce que soit réalisée une enquête impartiale. Et notamment à ce que soit approfondie la possibilité d’une manipulation accidentelle du virus dans un laboratoire de Wuhan, le foyer de l’épidémie. 

Les complotistes d’hier avaient-ils finalement raison?

Une thèse à défendre

Tout aurait commencé le 19 février 2020, selon Brice Perrier. Interrogé par Sputnik, le journaliste d’investigation rappelle que ce jour-là, 27 scientifiques avaient signé dans la revue scientifique The Lancet une tribune dans laquelle les auteurs «concluent à une écrasante majorité que ce coronavirus provient de la faune sauvage comme tant d’autres pathogènes émergents». 

Ces éminents chercheurs, dans cette tribune, «condamnent fermement les théories du complot suggérant que le Covid-19 n’a pas d’origine naturelle» qui ne servent qu’à «créer de la peur, des rumeurs et des préjugés qui mettent en péril notre collaboration mondiale dans la lutte contre ce virus». 

Le ton était donné: le virus est de souche naturelle et la thèse zoonotique privilégiée. Sans que l’on sache qui était à l’origine de ce papier, ironise le journaliste Brice Perrier. Après une enquête de plusieurs mois, le rédacteur de Marianne voit dans cette émergence de la théorie officielle que les médias se sont chargés de diffuser un évident «conflit d’intérêts». 

​À l’origine on trouve, selon notre interlocuteur, un certain Peter Daszak. Membre de l’ONG Eco-Health Alliance, ce scientifique spécialiste en zoonose apparaît être en lien avec les autorités chinoises. Notamment l’Institut de virologie de Wuhan (WIV) avec qui «il a publié une vingtaine d’études […] dont il contribue au financement grâce à des fonds publics américains», renseigne le journaliste dans son livre d’enquête SARS-CoV-2: Aux origines du mal (éd. Belin).

«Ce Peter Daszak, ce qui n’est quand même pas très réglo, apparaît dans cette tribune comme un signataire parmi 27, comme si c’était la communauté scientifique qui s’exprimait –d’ailleurs les articles reprendront cela en disant ‘les scientifiques sont unanimes’. Alors qu’en fait, il a intrigué pour écrire ce texte, pour ne pas apparaître trop avec d’autres personnes qui travaillent aussi avec le WIV», nous apprend Brice Perrier.

Le journaliste s’appuie sur les échanges auxquels a eu accès l’association américaine US Right to Know (USRTK), admis aujourd’hui par la presse, qui révèlent une volonté chez l’intéressé de contrer les thèses alternatives qui couraient dès le début de l’année 2020. Le journaliste Brice Perrier voit dans cette grande orchestration une «déclaration de soutien aux scientifiques chinois», les collègues de travail de Peter Daszak. 

Ces derniers sont félicités, dans la tribune en question, de leur rapidité dans l’identification du virus et les mesures sanitaires appliquées, leur «partage rapide, ouvert et transparent des données sur cette épidémie», détaille le journaliste dans son ouvrage avec une pointe d’ironie. «Avec le recul, cette tribune est étonnante. Présenter la Chine et les chercheurs chinois comme un modèle de transparence…», s’amuse-t-il.

Le Grand revirement

La thèse de la transmission animale va alors être prise pour argent comptant par les médias. Notamment en raison du soutien scientifique apporté par la très sérieuse revue Nature, qui va défendre l’hypothèse aujourd’hui réfutée du pangolin. L’innocent mammifère sera par la suite accusé à tort d’être l’hôte intermédiaire entre les chauves-souris et l’homme, mais validera un moment la thèse zoologique officielle avancée.

​«Une fable morale, peu dérangeante», qui connaîtra un certain succès durant quelques mois «avant d’être démontée par une jeune chercheuse du Massachusetts Institute of Technology (MIT), même si son article n’a pas été accepté par Nature», précise Brice Perrier.

Les experts signataires de la tribune du Lancet, soutenus par Nature, en décrétant que «c’est une théorie du complot d’évoquer cette possibilité [d’un accident de laboratoire, ndlr], vont être repris par à peu près tout le monde. Aucun média, aucune grande revue scientifique, aucun journal n’est allé contredire cette thèse», raconte-t-il à notre micro.

Dès le 20 février 2020, le journal The Hindu a associé la thèse de l’accident de laboratoire développée par le professeur chinois Botao Xiao aux théories du complot. En France, Science et Avenir a évoqué cette «folle rumeur». Le Parisien également s’est emparé du sujet et a titré que «deux labos de Wuhan se retrouvent au cœur des théories du complot», citant une nouvelle fois l’article du professeur au laboratoire de médecine et de biologie synthétique de la South China University of Technology. Le 31 mars 2020, Le Monde, renforcé par son équipe de décodeurs, relayait les propos d’experts assurés de l’origine sauvage du virus et du fait que le SARS-CoV-2 «n’est pas un virus bricolé». 

​Le journal s’étonnait alors du sondage IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch selon lequel 26% des Français pensaient que le SARS-CoV-2 avait été créé de la main de l’homme. Le directeur de Conspiracy Watch est allé jusqu’à parler «d’une très grande méfiance et d’un profond analphabétisme» de la part de la population. Depuis, les articles dans la presse se sont multipliés pour réintégrer dans le champ des possibles cette hypothèse, notamment en raison de la réaction de certains scientifiques. 

​À l’exemple du virologue Étienne Decroly, parmi les premiers à mettre en doute la thèse officielle, dont l’entretien paru dans le journal du CNRS le 27 octobre 2020 récapitulait les éléments scientifiques en présence. Fin mars 2021, le revirement a été total puisque le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus lui-même a déclaré, à la suite de la remise du rapport conjoint OMS-Chine, ne pas penser que «l’évaluation d’un éventuel incident de laboratoire ait été suffisamment approfondie». 

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