La France est mise au coin.
Tel-Aviv a bien fait comprendre son mécontentement à propos de la déclaration de son ministre des Affaires étrangères sur le «risque d’apartheid» en Israël. Le jeudi 27 mai, l’ambassadeur français en Israël, Éric Danon, a été convoqué. Gabi Ashkenazy, chef de la diplomatie israélienne, lui a indiqué que les propos de Le Drian étaient «inacceptables, sans fondement et déconnectés de la réalité», avant d’ajouter vouloir attendre «de ses amis de ne pas s’exprimer de façon irresponsable, afin de ne pas renforcer les extrémistes et les activités anti-israéliennes et antisémites.»
Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a mis en garde dimanche contre un "risque d'apartheid" en Israël si une solution à deux Etats n'émerge pas entre Etat hébreu et Palestiniens #AFP pic.twitter.com/i3WS7OHzGl
— Agence France-Presse (@afpfr) May 23, 2021
Benyamin Netanyahou, Premier ministre israélien, a pour sa part dénoncé une «leçon de morale hypocrite et mensongère sur cette question.» Le ton est donc monté entre les deux pays. Pourtant, selon Jean-Paul Chagnollaud, directeur de la revue internationale Confluences Méditerranée et auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur le Moyen-Orient et les relations internationales, la France a toujours une position frileuse sur ce dossier proche-oriental.
«C’est une relation prudente, peu engagée, on répète toujours la même chose: le droit à la sécurité d’Israël. On essaye d’avoir une position équilibrée dans une situation qui n’est pas équilibrée. La France répète deux, trois choses sur le droit international et sur la nécessité d’arriver à une solution à deux États.»
En effet, lors du vote le 27 mai au Conseil des droits de l’homme de l’Onu pour une enquête internationale sur d’éventuelles atteintes aux droits humains en Israël et dans les territoires palestiniens, la France s’est abstenue. 24 des 47 membres ont soutenu une investigation sur le terrain. «La position de la France est davantage reflétée avec cette abstention», estime le spécialiste du Moyen-Orient. Ce n’est pas d’ailleurs la première fois que l’État hébreu est au cœur des critiques pour son non-application du droit international.
Une ONG israélienne dénonce «un régime de suprématie juive»
«Bien qu’il a pris des pincettes, la déclaration de Le Drian a introduit un élément de vérité, alors que le gouvernement israélien cherche à inventer un nouveau récit et se cantonne à cette idée qu’il n’y aurait pas d’occupation ou de colonisation et que leur présence en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est légitime», explique-t-il.
En juillet 2018, la Knesset adoptait la loi sur «l’État-nation». Cette norme controversée stipulait que seuls les Juifs avaient le droit d’autodétermination en Israël. La langue arabe perdait également son statut de langue officielle, seul l’Hébreu étant reconnu par le gouvernement israélien. «Et la France n’ose pas aller à l’encontre de cette version israélienne», reproche Jean-Paul Chagnollaud.
La France aurait-elle peur de critiquer Israël?
«Il y a cette idée que dès qu’on touche au sionisme, la France est pétrifiée. Jean Yves Le Drian n’ose pas dire clairement les choses. Quand il y a des millions de gens qui ne peuvent pas bouger, pas se déplacer comme ils veulent, c’est quoi? On peut employer le mot “discrimination” si le mot “apartheid” fait peur», estime-t-il, avant d’ajouter: «la France a une position timorée sur le sujet.»
Le dossier israélo-palestinien mettrait donc la France dans l’embarras. L’exécutif a ainsi interdit des manifestations en faveur des mouvements palestiniens en 2014 sous Hollande, en 2021 sous Macron pour des motifs «sécuritaires». Le 13 mai, Gérald Darmanin a en effet demandé au préfet de Police de Paris, Didier Lallement, d’interdire la manifestation en faveur des Palestiniens prévue le samedi 15 mai à Barbès. Sans l’admettre officiellement, France sera-t-elle favorable à l’État hébreu?
«Ce n’est pas comme les États-Unis, où la position est claire et affichée. Mais en France, il y a une frilosité, elle est due à une peur d’aller à l’encontre des intérêts israéliens. Il faut prendre Israël comme n’importe quel autre État. Or, on fait des circonvolutions diverses pour ne pas parler des réalités. C’est une forme d’hypocrisie», conclut Jean-Paul Chagnollaud.