Législatives en Algérie: «c’est un bon début pour remettre le pays sur les rails»

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Alger, image d'illustration - Sputnik Afrique, 1920, 01.06.2021
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Dans des déclarations à Sputnik, Redouane Bouhidel et Ibtissem Hamlaoui estiment que les conditions sont réunies pour un bon déroulement des élections législatives en Algérie, pronostiquant un taux de participation plus important que tous les précédents scrutins de ce type.

Lundi 31 mai, lors d’une visite de travail à la 1ère région militaire à Blida, à l’ouest de la capitale Alger, le chef de l’état-major algérien, le général Saïd Chanegriha, a affirmé que l’Armée nationale populaire (ANP) allait «contrecarrer tout stratagème ou action visant à perturber ou à influencer» le bon déroulement des élections législatives anticipées du 12 juin.

Dans le même sens, le haut gradé a insisté sur le fait que «cet événement national, d’une importance extrême pour notre pays et notre peuple, représente une nouvelle étape prometteuse dans le processus d’édification de l’Algérie nouvelle», lancé par le Président Abdelmadjid Tebboune et dont la première étape était la Constitution adoptée par référendum en décembre 2020.

Alors que le pays est en pleine campagne électorale depuis le 21 mai, l’interdiction des marches du Hirak –dont les manifestants sont contre l’organisation de ce rendez-vous électoral– sonne pour certains analystes comme une tentative de passage en force du pouvoir. Par ailleurs, en dépit du nombre de partis politiques et de candidats libres en lice, les Algériens vont-ils aller voter ou bouder le scrutin tel le référendum sur la nouvelle Constitution, quand avait été enregistré un taux de participation de 23,7%?

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Pour mieux cerner la situation, Sputnik a sollicité deux observateurs de la scène politique algérienne: Redouane Bouhidel, chercheur en sciences politiques et relations internationales à l’université d’Alger 1 et Ibtissem Hamlaoui, analyste politique et cadre au Front de libération nationale (FLN).

«L’Algérie passe actuellement par une phase d’exception»

Pour M.Bouhidel, «le Hirak du 22 février 2019 a créé une situation politique inédite en Algérie». En effet, selon lui, «l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika a été contraint sous la pression de la rue à démissionner de son poste, abandonnant ainsi définitivement son projet de 5e mandat. Dans le sillage de ce départ, des dizaines de ministres, de hauts responsables y compris au sein de l’armée et des oligarques, symboles des 20 années de pouvoir de Bouteflika ont été arrêtés, jugés et écroués pour de graves affaires de corruption et de trafic d’influence».

Et d’ajouter que «c’est dans ce contexte qu’Abdelmadjid Tebboune a été élu Président de la République en décembre 2019, avec la promesse de bâtir une "nouvelle Algérie" débarrassée des anciennes pratiques mafieuses et tournée vers le futur». Dans le même sens, l’expert souligne que «malheureusement, la dynamique de changement voulue par le chef de l’État a été retardée par la pandémie de Covid-19. Néanmoins, ce retard est en train d’être rattrapé d’abord par l’adoption d’une nouvelle Constitution, puis d’une nouvelle loi organique des élections».

Redouane Bouhidel affirme que «les changements introduits par ces deux textes ont ouvert une nouvelle ère dans la vie politique algérienne, grâce aux changements qui ont été introduits et qui ont mis beaucoup d’Algériens en confiance quant à la régularité du processus électoral».

Ceci, explique-t-il, «a encouragé beaucoup d’Algériens, notamment les jeunes diplômés, à se porter candidats sur des listes indépendantes et à concurrencer celles des partis politiques». Tout en précisant par ailleurs, qu’«effectivement, une partie des citoyens (…)ne sont pas convaincus par ces élections, mais c’est cela la démocratie: le changement doit venir par les urnes et dans le cadre d’un travail institutionnel et non pas de la rue».

«Il y aura un important taux de participation»

De son côté, Ibtissem Hamlaoui estime que «l’abstention est un problème qui est présent dans tous les pays du monde, y compris dans les plus vieilles démocraties et il n’est pas caractéristique de l’Algérie». Pour elle, «la crise économique, sociale, culturelle dans laquelle se bat le monde d’aujourd’hui met à rude épreuve toutes les élites politiques qui n’arrivent toujours pas à apporter les solutions adéquates, ce qui met les populations dans un état de colère permanente au point de perdre complètement confiance dans l’utilité des élections».

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Ainsi, outre cet état de fait, elle précise que pour l’instant «il n’y a pas d’autres moyens pour juguler ces problèmes et faire éclore un nouveau paradigme que de participer aux élections afin de permettre un débat serein dans un cadre institutionnel, entre les représentants du peuple sur toutes les questions qui tiraillent la société».

Dans cette optique, concernant le 12 juin, elle affirme que cette «fois il y aura un important taux de participation relativement à toutes les autres élections législatives passées, et ce pour plusieurs raisons». En effet, selon le Dr Hamlaoui, «la nouvelle Constitution a limité à deux le nombre de mandats législatifs, ce qui a permis de barrer la route à l’ancienne garde prétorienne du système, habituée aux élections financées par l’argent sale, et ouvert ainsi la porte à la participation de la jeunesse à la vie politique, notamment les femmes. Par ailleurs, la loi électorale a donné avec son article 200 le coup de grâce à la participation de l’argent sale aux élections».

L’interlocutrice de Sputnik rappelle en effet que «2.288 listes électorales, dont 1.208 indépendantes, ont été acceptées par l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) et comportent 22.594 candidats et candidates». Par ailleurs, elle attire l’attention que «plus de sept millions de signatures de citoyens ont été acceptées par l’ANIE en validation des listes électorales, ce qui représente déjà près d’un tiers du corps électoral qui est de plus de 24 millions de votants».

Quid des détenus d’opinion et des arrestations de manifestants?

Enfin, en réponse aux critiques notamment venant de l’étranger concernant les arrestations lors des marches du Hirak et les accusations d’atteinte aux droits de l’homme, Ibtissem Hamlaoui affirme que «ceux qui s’évertuent à donner des leçons aux autorités algériennes sur ces questions, en se cachant derrière le concept de "communauté internationale" qui ne veut plus rien dire, feraient mieux de garder leurs remarques pour ceux qui tuent les enfants avec leurs bombardiers».

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Et de s’interroger: «Où est le Parlement européen vis-à-vis de ce qu’a fait l’armée israélienne à Gaza? Qu’ont fait les gouvernements occidentaux et le conseil de sécurité de l’Onu face aux violations des droits les plus élémentaires à la vie? La majorité d’entre eux a courbé l’échine devant le gouvernement israélien et les assassins de Tsahal, avançant l’argument fallacieux habituel qui met sur le même pied d’égalité la victime et son bourreau?».

Dans le même sens, elle explique que «le fait est que la question des droits de l’homme est devenue une carte géopolitique utilisée au gré des intérêts géostratégiques pour mettre à mal tous les États-nations qui refusent de se soumettre au diktat des puissances occidentales», ponctuant qu’«après plus de deux ans de manifestations en Algérie sans le moindre incident grave, ils osent critiquer les autorités algériennes à l’instar de la déclaration de la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. Elle aurait mieux fait d’adresser ses critiques au gouvernement de son pays, qui a réprimé dans le sang le mouvement des Gilets jaunes, et à ceux qui ont osé affirmer un jour au Parlement français [Laurent Fabius, en tant que ministre français des Affaires étrangères, ndlr] que les assassins du Front al-Nosra* "faisaient du bon boulot en Syrie"».

«Nul n’est naïf en Algérie pour penser que tous les problèmes seront résolus par un tour de magie après le 12 juin, mais c’est un bon début pour remettre le pays sur les rails avec une classe politique jeune et intellectuelle déterminée à apporter sa contribution. Par ailleurs, ceux qui sont contre ont le droit de s’exprimer dans le cadre des lois de la République, mais sans imposer leur point de vue au reste de la population», conclut-elle.

*Organisation terroriste interdite en Russie 

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