Législatives en Algérie: «La priorité des priorités est d’enrayer les menaces»

© Photo Archive personnel de Samir BouakouirSamir Bouakouir, Conseiller politique du secrétaire général du FFS
Samir Bouakouir, Conseiller politique du secrétaire général du FFS - Sputnik Afrique, 1920, 03.06.2021
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Dans un entretien à Sputnik, Samir Bouakouir, ex-porte-parole du FFS, analyse le contexte national et international dans lequel interviennent les législatives du 12 juin en Algérie. Pour lui, si ces législatives «ne sauraient constituer une réponse […] suffisante pour sortir le pays de la crise, elles représentent […] une étape indispensable».

En décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune est élu Président de la République en Algérie, 10 mois du début du Hirak qui a mis fin à 20 ans de pouvoir de l’ex-chef de l’État déchu Abdelaziz Bouteflika. M.Tebboune promet alors de bâtir une «nouvelle Algérie». Malgré la crise sanitaire de Covid-19 qui frappe le monde entier et retarde la mise en application de son plan de redressement du pays promis aux Algériens, le chef de l’État fait néanmoins passer en décembre 2020 une nouvelle Constitution par un référendum qui connaît un faible taux de participation (23,7%). Fin février 2021, il dissout l’Assemblée nationale et convoque en mars le corps électoral pour des élections législatives anticipées le 12 juin.

Un scrutin qui va se tenir dans des conditions particulières. En effet, des milliers d’Algériens ont repris depuis le 22 février les marches du Hirak dans plusieurs wilayas (régions) du pays. Ils demandent toujours le départ du pouvoir et scandent des slogans agressifs à l’égard des services de renseignement, les qualifiant «d’organisations terroristes». Dans ce contexte, le Haut conseil de sécurité (HCS) sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune classe le mouvement Rachad, d’obédience islamiste, et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) comme organisations terroristes. Dans le sillage de cette décision, le gouvernement interdit les marches non autorisées et arrête des dizaines de militants du Hirak, de journalistes, de juristes qui tentent de braver cette interdiction.

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Alors que la campagne électorale bat son plein depuis le 21 mai, les Algériens vont-ils bouder ces élections? En cas d’abstention record, quel scénario pourrait advenir dans le pays, notamment après le faible taux enregistré au référendum sur la Constitution? Dans le grave contexte économique et financier mondial qui présage des lendemains incertains, l’Algérie, qui souffre également d’une crise interne aiguë, peut-elle se permettre de retarder ces élections? Ceci, en plus de l’environnement explosif dans l’est comme dans l’ouest du pays et dans la région du Sahel.

Dans un entretien à Sputnik, Samir Bouakouir, analyste politique et ancien porte-parole du plus vieux parti d’opposition algérien, le Front des forces socialistes (FFS), analyse les enjeux de ces élections à l’aune de la situation politique, économique et sociale en Algérie, abordant également les aspects géopolitique et sécuritaire.

«Les législatives du 12 juin, une étape indispensable»

«Si les législatives du 12 juin ne sauraient constituer une réponse politique suffisante pour sortir le pays définitivement de la crise, elles représentent néanmoins, dans un contexte d’incertitude et de doute, une étape indispensable», estime M.Bouakouir. Selon lui, «elles permettront de rétablir un climat politique apaisé et de réduire la capacité de nuisance des minorités idéologiques qui ont surfé sur le mouvement pacifique et citoyen du 22 février 2019, espérant l’entraîner sur les voies de la sédition et de la subversion».

Néanmoins «l’acte de voter le 12 juin prochain devrait être appréhendé non pas comme une caution au pouvoir en place ou un renoncement aux luttes sociales et démocratiques, mais avant tout comme une profession de foi pour la sauvegarde de l’État national». Et d’ajouter que ces élections sont «un acte de défiance vis-à-vis de ces alliances hasardeuses et improbables qui ne désespèrent toujours pas, fortes du soutien médiatique et financier d’officines étrangères [dont Rachad, le MAK et certaines ONG financées par des organismes occidentaux d’exportation de la démocratie comme l’américain NED, ndlr], d’entraîner le pays dans l’affrontement et la violence pour accomplir leurs funestes objectifs».

«La priorité des priorités est d’enrayer les menaces»

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Depuis la reprise des marches populaires du Hirak le 22 février 2021, deux groupes «d’agitateurs» se distinguent clairement, selon l’interlocuteur de Sputnik: «Les uns adeptes des pseudos "révolutions" dites "non violentes" – à portées exclusivement géopolitiques – et des "transitions démocratiques", d’inspiration néolibérale. Et les autres qui ne poursuivent aucune fin sinon d’entretenir une négation coléreuse qui ne peut aucunement servir de levier fondamental de la politique. Ces derniers ont fini par transformer la rue en un espace perméable à toutes les manipulations internes et externes visant à entretenir une dangereuse instabilité», explique-t-il.

Dans le même sens, il affirme que «face aux agitateurs de ce "néo-Hirak" dépérissant, l’élection d’une Assemblée nationale aussi imparfaite et inconsistante soit-elle, et quand bien même serait-elle marquée par une forte abstention, est bien plus préférable quand on a pour principale préoccupation de prévenir toute confrontation tragique et toute d’ingérence étrangère».

Outre la nécessité de faire «face aux agitateurs», est-il justifié d’utiliser cet alibi pour empêcher les marches citoyennes pacifiques du Hirak? Ne pas entendre la voix de ceux qui descendent dans la rue et qui ne se reconnaissent pas dans les idéaux de ces organisations ne pourrait-il pas pourrir davantage la situation dans le pays? Par ailleurs, ceux qui dénoncent la surmédiatisation et la surexploitation du danger de «la main étrangère» ne commettent-ils pas une erreur d’analyse en minimisant les dangers d’ingérence qui a produit des désastres dans plusieurs pays? Le Hirak algérien peut-il compter sur l’aide de la «communauté internationale», la même qui n’a pas bougé le petit doigt pour venir en aide au peuple palestinien de Gaza?

Pour Samir Bouakouir, «la priorité des priorités est d’enrayer les menaces pour pouvoir créer les conditions politiques qui engageront le pays, grâce à la mobilisation des forces patriotiques autour d’un pacte national républicain, dans une voie résolument nationale de construction d’une véritable démocratie».

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Et de poursuivre que c’est «ainsi que cette dernière se nourrira de nos traditions culturelles, sociales et spirituelles et s’inscrira dans ce grand mouvement de retour de l’histoire, du politique et des nations que les chantres planétaires de l’idéologie néolibérale ont cru définitivement enterrer».

«La volonté politique ne se mesure pas aux intentions, mais à l’œuvre»

Ces élections interviennent dans un contexte de crises politique, économique et sociale aggravées par les innombrables impacts de la pandémie de Covid-19, comme partout dans le monde. Autant dire que les enjeux et les défis qui attendent la prochaine Assemblée et le gouvernement qui en sortira sont immenses.

Ainsi, M.Bouakouir juge qu’«il faut bien admettre aujourd’hui que le changement ne s’improvise pas, mais s’organise avec raison, sagesse et méthode, loin de tout discours démagogique ou de rupture systémique, pour prémunir une société largement traumatisée par 20 ans de corruption, de rapine, de gabegie et de fractures douloureuses et irrémédiables. Ce n’est d’ailleurs jamais l’incantation au changement radical qui ne provoque le changement, ni les appels à la désobéissance et la révolte qui se nourrissent de l’impatience des illusions».

«La faillite des élites du système et l’infantilisme d’une opposition incapable de distinguer entre l’État et le pouvoir – dont les postures supposées avantageuses dissimulent souvent une bêtise abyssale – ont fini par convaincre les plus éclairés de nos compatriotes d’une question fondamentale», ponctue l'ex-porte-parole du FFS. En effet, ils estiment, selon lui, que «la chute spectaculaire et salutaire du régime Bouteflika, tout en évitant l’effondrement du pays et l’"esprit patriotique du 22 février 2019", devront se perpétuer pour redresser moralement et politiquement la nation».

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Enfin, soulignant que «l’"esprit patriotique du 22 février 2019" a renoué avec la mémoire collective et "ces grandes choses accomplies ensemble", pour paraphraser Ernest Renan, celles d’avoir, en ce qui nous concerne, libéré le pays du colonialisme au prix d’immenses sacrifices», Samir Bouakouir insiste: «le chantier est immense, exigeant et périlleux». Il assure qu’«au-delà des échéances électorales et de la nécessité de reconstruire un champ politique en ruine, nous devons nous interroger sur l’idée que nous nous faisons de l’Algérie, de son rôle et de sa place dans le monde».

«La volonté politique ne se mesurant pas aux intentions, mais à l’œuvre, les élections législatives devront ouvrir la voie à la constitution d’un gouvernement d’unité nationale autour d’un projet à la hauteur des aspirations populaires et des ambitions historiques et stratégiques de notre pays», conclut-il.
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