Conseil de sécurité: le rétropédalage de la RDC

© REUTERS / Lucas JacksonConseil de sécurité de l'Onu
Conseil de sécurité de l'Onu - Sputnik Afrique, 1920, 08.06.2021
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En concurrence avec le Gabon pour un siège non permanent réservé à l’Afrique au Conseil de sécurité, la RDC s’est retirée de la course ce lundi. Une décision qui ne surprend pas au regard de la posture problématique dans laquelle se trouvait Kinshasa. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.

Engagée dans la course pour obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies au même titre que le Gabon, la République démocratique du Congo (RDC) a décidé de se retirer de la partie à quatre jours du scrutin. C’est du moins ce qu’a annoncé le vice-Premier ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula dans un communiqué rendu public ce lundi 7 juin 2021:

«Son Excellence Monsieur Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République démocratique du Congo et président en exercice de l’Union africaine, après concertation avec certains de ses pairs d’une part, et le président de la Commission de l'Union africaine d’autre part, vient de prendre la décision de retirer la candidature de la République démocratique du Congo des élections pour un siège de membre non permanent du Conseil de Sécurité de l’Onu pour la période 2022-2023.»

Selon le magazine Jeune Afrique, «la délégation congolaise, qui devait partir pour New York en début de semaine, a finalement décidé d’annuler son déplacement».

​Il faut dire que le bruit courait depuis la veille dans les cercles diplomatiques congolais et gabonais. En dépit de la décision prise par la RDC, plusieurs observateurs s’interrogent sur la démarche congolaise de briguer le siège de membre non permanent au Conseil de sécurité alors que l’Union africaine (UA) avait déjà jeté son dévolu sur la candidature du Gabon. Que s’est-il passé?

Quand Kinshasa joue des coudes

Au Conseil de sécurité des Nations unies, trois sièges non permanents sont toujours attribués à l’Afrique. Un siège fait l’objet d’une élection au cours de chaque année civile paire, et deux sièges sont disputés au cours des années impaires. Bien qu’il y ait eu des exceptions à quelques reprises, les élections pour les sièges attribués au continent africain sont jouées d'avance, car le Groupe africain maintient un schéma de rotation établi entre ses cinq sous-régions (Afrique du Nord, Afrique centrale, Afrique australe, Afrique de l’Est et Afrique de l’Ouest). Ce schéma a été interrompu de temps à autre: l’année dernière, le Kenya et Djibouti (tous deux de la sous-région de l’Afrique de l’Est) se sont disputé le seul siège africain, et cette année, la RDC est entrée dans la course en mai dernier, après que le Tchad a retiré sa candidature en raison de la situation politique que connaît le pays depuis la mort du Président Idriss Deby Itno.

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Le processus de sélection et d’approbation des candidatures au Groupe africain se déroule au sein des structures de l’UA. Lors de la 38e session ordinaire de l’organisation panafricaine en février, le Conseil exécutif de l’UA a approuvé les candidatures du Gabon (pour l’Afrique centrale) et du Ghana (pour l’Afrique de l’Ouest). Cependant, la RDC a remis en question la validité de cette approbation en arguant que les consultations devraient se poursuivre au niveau régional (sous-région de l’Afrique centrale) afin de parvenir à un compromis sur le candidat unique de cette sous-région, comme l’a stipulé le 34e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UA du 7 mai.

La RDC a en outre fait valoir que sa candidature au siège de la sous-région Afrique centrale devrait être considérée comme prioritaire sur la base des principes de fréquence et de rotation de l’UA lors de l’examen des candidatures au Conseil de sécurité des Nations unies — le pays ayant siégé pour la dernière fois au Conseil en 1990-91 et le Gabon en 2010-11. La RDC a également souligné qu’elle a soumis sa candidature en octobre 2019, avant que le Gabon ne le fasse en décembre 2020.

En dépit des arguments avancés, l’UA n’a pas bougé d’une semelle. La version finale des décisions du Conseil exécutif publiée sur le site officiel de l’organisation indique que le Ghana et le Gabon sont des candidats approuvés. Il ne fait aucune référence aux candidatures contestées dans la sous-région de l’Afrique centrale...

Le grand malaise

Malgré cela, la RDC a continué sur sa lancée en maintenant non seulement sa candidature, mais en amorçant également une intense activité de lobbying à New York et à Washington pour faire pencher la balance en sa faveur. Une démarche qui n’a pas été appréciée par Libreville, qui venait de batailler quelques semaines plus tôt contre Kinshasa dans ce qu’il convient d’appeler l’affaire Kanga Guelor, du nom du footballeur international gabonais réclamé par la Fédération congolaise de football association (Fecofa), qui le considère comme congolais.

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Insistant sur le fait que le Gabon avait déposé sa candidature dans « les formes requises et dans les délais impartis », l’ambassadeur gabonais auprès de l’UA, Hermann Immongault, a fustigé la posture de la RDC, soulignant que celle-ci remettait en cause le leadership de l’Union africaine ainsi que les textes de l’institution présidée depuis février dernier par nul autre que le Président congolais Félix Tshisekedi. « L’UA fait désormais le choix strict du respect de ses textes... En toute légalité. En toute légitimité », a écrit le diplomate dans un tweet.

​L’ironie dans cette affaire est que le Président Tshisekedi avait présidé le dernier Conseil exécutif de l’UA au cours duquel le Gabon avait été désigné candidat de l’Afrique centrale. Mieux, la RDC faisait d’ailleurs partie du comité de rédaction du rapport entérinant cette candidature. Comment dès lors comprendre l’attitude de Kinshasa?

À la question de savoir pourquoi la RDC avait déposé sa candidature pour obtenir un siège au Conseil de sécurité, difficile d’obtenir une réponse claire. Les quelques membres de la présidence congolaise interrogés par l’auteur de ces lignes ont en effet donné des réponses qui variaient; ce qui laisse penser que la démarche congolaise a été décidée sans une évaluation conséquente des enjeux.

Certains diplomates africains contactés n’ont pas caché leur malaise face à l’attitude de la RDC. Idem à Kinshasa même, où certains proches du chef de l’État congolais ont déclaré être embarrassés par la situation. Selon Jeune Afrique, le différend entre la RDC, qui préside par ailleurs le comité de candidature, et le Gabon a été au cœur du tête-à-tête entre Félix Tshisekedi et le président de la Commission de l’UA Moussa Faki Mahamat le 5 juin dernier, à Kinshasa. Ce dernier plaidait pour le désistement de la RDC.

Le mauvais pari de Kinshasa

C’est maintenant chose faite. La RDC a jeté l’éponge. «Le président en exercice de l’UA ne peut pas être celui qui bafoue les règles de l’organisation», a expliqué un proche collaborateur du chef de l’État congolais cité par Jeune Afrique. Reste que plusieurs observateurs s’interrogent sur la démarche de Kinshasa dans cette affaire. Pourquoi avoir voulu à tout prix briguer un siège au Conseil de sécurité, alors que l’UA avait déjà choisi un autre État membre?

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Une partie de la réponse se trouve sûrement dans l’analyse de la scène politique intérieure congolaise. En s’invitant dans cette course qui semblait perdue d’avance, Félix Tshisekedi voulait faire d’une pierre deux coups: 1) tenter l’impossible pour positionner la RDC sur la scène internationale et 2) chercher à tirer profit de ce positionnement pour se refaire une santé sur une scène domestique où son pouvoir est très critiqué pour diverses raisons.

La réaction molle de Félix Tshisekedi face aux propos négationnistes de Paul Kagame sur les morts causées par les guerres menées par le Rwanda en territoire congolais, la gestion problématique de la catastrophe naturelle (l’éruption du volcan Nyiragongo) qui a frappé la ville de Goma, il y a près de deux semaines, la terrible crise socio-économique qui frappe le pays, sont autant de facteurs qui placent le pouvoir congolais dans une position défensive permanente. Dans ces conditions, toute situation susceptible de redorer son blason devrait être capitalisée.

En outre, la seule manière d’atténuer, pour ne pas dire compenser, les effets des échecs accumulés sur le plan domestique est de remporter des victoires — quand bien même celles-ci seraient insignifiantes — sur la scène internationale. Lorsque Félix Tshisekedi a pris la présidence de l’UA, cela a été présenté à Kinshasa comme un événement inédit, quand bien même la fonction est symbolique. Jusqu’à l’annonce de désistement de ce lundi, les proches et les partisans de Félix Tshisekedi ne manquaient pas de faire un parallèle entre la candidature de la RDC au Conseil de sécurité et le leadership du chef de l’État congolais sur la scène internationale. Mais à voir comment les choses se sont déroulées, on peut parler d’un pari raté. Plus encore, c’est l’image de la RDC et de sa diplomatie qui est sérieusement écorchée...

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